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1799. Cromwell avait un langage à part en parlant à ses illuminés: Bonaparte pouvait avoir le sien en parlant à ses grenadiers. Un fait certain, c'est que leur dévoûment ne fut pas un moment ébranlé; bientôt le général le mit à l'épreuve les montagnards, désolés d'avoir vu le dictateur soustrait à leurs coups, mais fiers de l'avoir mis en fuite, pressaient ardemment le décret de mise hors la loi. Heureusement c'était Lucien Bonaparte qui présidait l'Assemblée; il refusait avec un courage obstiné de se rendre l'organe du décret : « Osez«< vous, disait-il, proposer à un frère une lâ<< cheté si atroce?-Sois Brutus, lui criait-on; «<le sang se tait quand la patrie parle; prouve « au moins que tu n'es pas un traître. » Cependant il était assailli sur son fauteuil : «Vous << osez, dit-il, condamner un héros sans l'avoir << entendu; son frère n'a qu'un devoir à rem<< plir, c'est celui de le défendre. » En même temps il dépose les insignes de la présidence et veut monter à la tribune; bientôt il court le même danger auquel son frère vient d'être soustrait. Le général, instruit de ce mouvement, a donné à des grenadiers l'ordre d'entrer dans la salle et de délivrer son frère; ils obéissent avec empressement, se font ouvrir

les rangs en silence, et conduisent Lucien Bonaparte vers son frère. Ce fut alors que tout prit un caractère plus déterminé autour du général. Lucien, en sa qualité de président du Conseil, se présentait à propos pour écarter les derniers scrupules de ces soldats qui, après avoir tremblé si long-temps sous la Convention, pouvaient se troubler en présence d'une Convention nouvelle; sa harangue fut courte, précise, pleine de dignité et d'énergie; elle se terminait par ces mots : « Je vous somme « d'aller dissoudre une assemblée factieuse, en << révolte contre les lois, contre son président, « où l'on a tenté d'assassiner le plus illustre « des défenseurs dé la patrie ». Murat, le premier, répond à cet appel. Bientôt le général Lefebvre et les autres suivent son exemple; les grenadiers se forment en colonnes serrées, le bruit du tambour annonce leur marche, ils entrent dans la salle la baïonnette en avant. Ce fut alors un ridicule et misérable spectacle que de voir ces députés, qui tout à l'heure avaient failli donner au monde l'exemple d'un nouveau César immolé au sénat, jeter précipitamment leur toge, s'élancer par toutes les portes, sauter par les croisées, et venir tout éperdus se cacher à Paris. On dit

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que le général Lefebvre animait les troupes en leur disant : « Chassez les manteaux rouges »>, par allusion à un corps autrichien que les soldats français rencontraient avec beaucoup d'horreur dans les batailles. Du reste il ne fut commis sur eux aucune violence. Bonaparte était fidèle à répéter sur tous les points le rôle de César. Le danger qu'il venait de courir ne le détournait point d'une noble clémence; mais son ambition se déclara d'une manière qui fit comprendre à tous ses partisans, et même à Syeyès, qu'il ne souffrirait pas d'égal, et qu'il se piquait peu d'entendre les idées d'équilibre, de garantie et de contrôle constitutionnel. Cinquante ou soixante députés de son parti, qui restèrent assemblés pendant la nuit, figurèrent le Conseil des Cinq-Cents, et, de concert avec la majorité des Anciens, ils rendirent des décrets qui consolidaient la dictature aux dépens de la constitution et de la République. Cette nuit fut, pour la révolution, ce que la nuit du 5 août 1789 avait été pour les derniers débris du système féodal. Syeyès avait l'air de dicter les décrets que lui imposait Bonaparte. Cabanis, Daunou, Chénier étaient stupéfaits et comme épouvantés de leur com

plaisance. Quelques républicains restaient encore, mais il n'y avait plus de République. Il est vrai que le pouvoir semblait également partagé entre Bonaparte, Syeyès, et RogerDucos; mais ce partage tenait au bon plaisir du premier, et la loi du bon plaisir était introduite par le fait. Bientôt Roger-Ducos s'éclipsa devant son trop puissant collègue par humilité, et Syeyès par prudence. Le marché que fit celui-ci en abdiquant le pouvoir devint un modèle pour beaucoup d'hommes qui firent aussi marché de leurs principes. Paris avait fait éclater la joie la plus vive qu'on eût ressentie depuis le 9 thermidor, et cet enthousiasme devint universel en France. Tout marcha vers l'ordre, en courant à la fortune; on parla tant de gloire qu'on oublia jusqu'au mot de liberté. La révolution trembla, et surtout s'humilia devant son héritier. Les Français connurent la concorde, mais en perdant leur dignité; tant de crimes inouïs, consommés contre l'autorité légitime la plus douce, la plus bienveillante, la plus facile, ne tournèrent qu'au profit de l'autorité absolue. A peu d'exceptions près, républicains, royalistes, pontifes, souverains, empereurs, tout se prosterna sous les arrêts

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434 HISTOIRE DU DIRECTOIRe exécutif. multipliés de la victoire; un seul homme alla toujours s'élevant, jusqu'à ce qu'il employa la force de sa volonté indomptable et délirante à creuser un abime pour sa magnifique armée et pour lui-même ; mais il avait tout préparé à son insu pour faire renaître l'autorité des Bourbons; et c'était d'eux que nous devions tenir la liberté constitutionnelle jusque-là si mal comprise, liberté qu'on ne peut ni exagérer ni détruire sans dire à la révolution : Reparais!

FIN DE L'HISTOIRE DU DIRECTOIRE EXÉCUTIF.

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