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<«< des privations, je vous promettais la vic- 1799. << toire, l'abondance, et lorsqu'à votre tête

je vous conduisais de succès en succès? Dites«<le maintenant, était-ce pour mes intérêts ou << pour ceux de la République ? »

Cette apostrophe aux grenadiers devait irriter tous ceux des Anciens qui tenaient à l'indépendance sénatoriale; elle dénotait sans doute quelque trouble dans l'âme du général, dont les paroles, quoique véhémentes et fortement articulées, avaient été mal suivies, mal liées. Quoi qu'il en soit, les grenadiers y répondirent en agitant leurs bonnets, et cette démonstration vint fortifier à la fois le général et ses partisans. Cependant un député de l'opposition, Linglet, se leva, et dit d'une voix forte: « Général, nous applaudissons à ce que «< vous dites; jurez donc avec nous obéissance « à la constitution de l'an III, qui peut seule << maintenir la République ». Le général sentit combien il s'avilirait par une dissimulation maladroite. « La constitution de l'an III, re<< prit-il d'une voix élevée, la constitution << de l'an in! est-ce à vous de l'invoquer ? Vous « l'avez violée au 18 fructidor, quand le gou<< vernement a attenté à l'indépendance du Corps-Législatif; vous l'avez violée au 30

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prairial an vII, quand le Corps-Législatif a << attenté à l'indépendance du gouvernement; « vous l'avez violée le 22 floréal, quand, par « un décret sacrilége, le gouvernement et le « Corps-Législatif ont attenté à la souverai<< neté du peuple, en cassant les élections faites « par lui. La constitution violée, il faut un << nouveau pacte, de nouvelles garanties. »

Le général eut à subir encore d'autres interpellations, il y répondit en exprimant l'intention de faire cesser des mesures de terreur que l'on croyait des remèdes à l'anarchie, et qui n'en étaient que les alimens. Il fit des allusions directes à la scène tumultueuse du Conseil des Cinq-Cents. Enfin, dans cette épreuve oratoire, nouvelle et difficile pour un soldat, il montra le talent de produire des pensées fortes, mais non celui de les lier. Pendant qu'on délibérait ainsi aux Anciens, le tumulte et la rage avaient redoublé au Conseil des Cinq-Cents. Les députés, après avoir flotté entre plusieurs mesures, commençaient à se prononcer pour la plus énergique et la plus audacieuse; le fatal décret de mise hors la loi était invoqué contre Bonaparte, et c'était son frère à qui l'on ordonnait de le prononcer.

Je suis bien loin de partager l'opinion de 1799. ceux qui ont reproché à Bonaparte de n'avoir montré qu'un faible courage et que peu de présence d'esprit dans cette journée. La résolution qu'il prit d'entrer dans le Conseil des Cinq-Cents, où l'on demandait sa tête, ressemblait assez à celle du duc de Guise qui, dans la première journée des Barricades, osa pénétrer seul dans ce Louvre où Henri III s'appuyait sur d'intrépides favoris qu'il avait rendus idolâtres de son autorité. Ici le danger n'était pas moins grand; les partisans que Bonaparte avait au Conseil des Cinq-Cents ne lui promettaient qu'un faible secours. Ne venaient-ils pas, pour détourner la fureur de leurs adversaires, de prêter un serment à la constitution, le parjure dans le cœur? Bonaparte connaissait les menaces dont il était l'objet. Un fait venait de confirmer les alarmes qu'on lui avait données pendant la nuit. Le général Augereau, qui lui avait fait la veille des offres de service, venait de l'aborder en lui disant avec une pitié insolente: «< Eh bien! vous voilà dans une jolie position. >> N'était-il pas à craindre que les généraux Augereau et Jourdan ne vinssent, appuyant par l'épée et par le souvenir de leurs exploits l'effet de leur toge sénatoriale, haranguer les

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soldats, et réchauffer en eux cet esprit d'égalité républicaine qui avait été leur première passion? Le patriotisme de ces temps était sans doute très fanfaron; mais un homme intrépide pouvait se rencontrer parmi tant de députés furieux. Bonaparte entre et ordonne aux grenadiers qui le suivent de s'arrêter à la porte du Conseil; seulement il en place deux de manière à pouvoir surveiller ses dangers. La disposition de la salle de l'Orangerie accroissait beaucoup le péril; la barre de l'Assemblée, où le général devait paraître, était située de manière qu'on ne pouvait s'y rendre sans traverser la moitié de l'enceinte, et c'était précisément celle où siégeaient les plus intraitables républicains. A peine a-t-il paru qu'un violent murmure s'élève; il continue sa marche. On a cru remarquer de la pâleur sur ses traits; on l'entoure, on le presse : « Vous violez le sanc<< tuaire des lois, retirez-vous, lui disent plu<< sieurs députés.-Que faites-vous, téméraire? <«<lui crie Bigonnet. C'est donc pour cela << que tu as vaincu », lui dit Destrem. Bonaparte fait signe qu'il veut parler; les cris de vive la constitution! lui ferment la bouche; mais bientôt l'anathème se prononce d'une manière plus terrible. On crie de tous côtés,

A bas le Cromwell! à bas le dictateur! hors la loi le dictateur! Aréna, député corse, s'avance vers son illustre compatriote un poignard à la main, il en montre la pointe, on croit qu'il va frapper: « Tu feras donc la << guerre à ta patrie », lui crie-t-il. Les deux grenadiers placés en surveillance ont vu ce mouvement terrible; ils se sont élancés la baïonnette en avant, et se sont fait jour jusqu'à leur général; d'autres grenadiers les ont suivis : leur soin est d'emporter le général hors de cette mêlée; celui qui était accouru le premier, Thomé, fut, dit-on, légèrement blessé.

Bonaparte, sorti de la dangereuse enceinte, descend dans la cour du château, fait battre au cercle, monte à cheval, et harangue la troupe. Ceux qui ont été à portée de l'entendre dans cette circonstance ont raconté, d'un commun accord, qu'il lui était échappé des paroles emphatiques, gigantesques, vides de sens, telles que celles-ci: Je suis le dieu de la guerre, je porte la foudre avec moi : ils ont voulu me frapper, mais la gloire m'a rendu invulnérable. Il n'en faudrait pas conclure que le trouble de son esprit ne lui permettait plus d'idées saines et fortes.

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