Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

1799.

n'était point une habile mesure, parce qu'elle
n'était point nécessaire. On avait craint sans
doute la multitude de Paris; mais depuis
plus de quatre ans elle avait oublié ses fu-
reurs et déposé son pouvoir; fidèle d'ailleurs
à son instinct naturel, elle se tenait immo-
bile en présence des soldats. Toute la classe
moyenne avait manifesté un vif enthousiasme
pour une révolution nouvelle dont chacun
pénétrait facilement le secret; les grands
capitalistes menacés et déjà cruellement at-
teints par la loi de l'emprunt forcé; les no-
bles condamnés à l'horrible sort des suspects
par la loi des otages, saluaient le libérateur
espéré avec un enthousiasme qui réagissait
sur le cœur des soldats et les affermissait dans
leur dévoûment pour le général. D'un autre
côté ces vives acclamations apprenaient au
Conseil des Cinq-Cents combien on lui re-
prochait le secours qu'il prêtait à la tyrannie
expirante. Sortir de Paris dans de telles
circonstances, c'était se priver de l'appui
d'un peuple qui du moins savait battre des
mains à son libérateur. Quelque activité que
l'on eût mise à préparer les salles du palais de
Saint-Cloud, elles ne purent être prêtes qu'à
une heure après midi. L'Orangerie était des-

tinée au Conseil des Cinq-Cents; et la galerie 1799. de Mars à celui des Anciens. Les salles disposées subitement dans des lieux mal préparés à la délibération devaient rendre le tumulte plus vif. L'ennui d'une longue attente n'avait fait qu'exalter la sombre irritation des CinqCents. «< Voilà, disaient-ils, les égards que << nous témoigne le maître qu'on veut nous <«< imposer : s'il commence son règne avec tant << d'insolence, où s'arrêtera-t-il dans ses dé<<< dains? >>

La séance s'ouvre, c'est Lucien Bonaparte qui la préside; Émile Gaudin prononce un discours dans lequel il se montre comme oppressé du poids d'un grand secret qu'il voudrait laisser deviner; il parle des dangers de la patrie et de la gloire de Bonaparte, à peu près dans les termes obscurs et emphatiques dont on s'est servi la veille au Conseil des Anciens, et demande la formation d'une commission chargée de présenter des mesures extraordinaires. A peine a-t-il parlé, qu'un tumulte affreux ébranle toute la salle. On arrache de la tribune Boulay de la Meurthe qui voudrait venir à l'appui de son collègue; mille cris s'élancent: Point de commission, point de mesures extraordinaires, point de dictature,

1799.

point de tyrannie; la constitution ou la mort! On traverse la salle, on assiége la tribune et le fauteuil du président. Le nom de Bonaparte n'est plus prononcé qu'avec imprécation, le député Grandmaison parvient à se faire entendre: « Dans le moment, dit-il, où la vio<«<lence militaire veut nous imposer le plus «< infâme parjure, vous n'avez qu'une mesure « à prendre, c'est de renouveler le serment « de fidélité à la constitution: ceux qui s'y re«<fuseront se dénonceront eux-mêmes comme << des ennemis de la patrie, comme des traîtres, «< comme les nouveaux sujets du tyran qui << s'annonce ». La proposition est accueillie avec enthousiasme; ceux même des députés que Bonaparte a fait entrer dans sa conspiration affectent encore du zèle pour cette constitution dont tout à l'heure ils ne laisseront pas subsister le moindre débris; ils paraissent heureux d'en être quittes pour un serment. On a voulu que chaque député montât successivement à la tribune, et cet appel nominal consume deux heures. Deux heures! les premiers Jacobins en auraient autrement calculé le prix. Les députés voudraient se mettre en communication avec le Directoire; mais quelle est leur stupeur lorsqu'ils apprennent que le

Directoire n'existe plus, et que dès la veille $799. Syeyès, Roger-Ducos et Barras avaient douné leur démission!

"

Enfin le secrétaire du Directoire exécutif, Lagarde, annonce que Gohier a suivi cet exemple, et que Moulins ayant été mis en surveillance par ordre du général Bonaparte, il ne se trouve plus de Directoire. «< Un Di« recteur arrêté, et les autres en fuite ou en pleine trahison ! Quelle violence! s'écrie<< t-on de tous côtés. Sachons trouver des gardiens plus fidèles et plus courageux de notre « sainte constitution. » On propose à l'instant de former les listes décuples pour la création d'un nouveau Directoire; autre opération qui va consumer un temps précieux : mais on ne manque pas de l'interrompre de temps en temps par des vociférations contre le dicta

«

teur.

Un mouvement si vif dans le Conseil des Cinq-Cents venait de réagir sur celui des Anciens; l'opposition, qui la veille s'y était à peine laissé entrevoir, se montrait plus audacieuse et plus forte. Un député nommé Alphonse lui prêtait un appui d'autant plus respecté qu'il avait souvent combattu des mesures révolutionnaires.

1799.

Ces fàcheuses nouvelles avaient été promptement transmises à Bonaparte et à Syeyès; ce dernier se tenait à la grille du château de SaintCloud, dans sa voiture, soit pour être plus prêt à fuirsi l'événement se montrait contraire, soit pour être plus à portée de donner ses ordres à ses partisans ou ses conseils au général. Bonaparte vient faire tête à l'orage; il se présente d'abord au Conseil des Anciens, et le trouve agité; une partie de son état-major l'a suivi à la barre. Voici le discours qu'il tient :

[ocr errors]

mais

« Vous êtes sur un volcan; la République << n'a plus de gouvernement; le Directoire est << dissous; les factions s'agitent; l'heure de prendre un parti est arrivée. Vous avez appelé mon bras et celui de mes compagnons « d'armes au secours de votre sagesse ; «<les instans sont précieux, il faut se pronon«cer. Je sais que l'on parle de César, de Crom<< well, comme si l'époque actuelle pouvait se «< comparer aux temps passés. Non, je ne veux « que le salut de la République, et appuyer « les décisions que vous allez prendre.... Et << vous, grenadiers, dont j'aperçois les bon<< nets aux portes de cette salle, dites-le, vous ai-je jamais trompés? ai-je jamais trahi mes << promesses, lorsque dans les camps, au milieu

« ZurückWeiter »