Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

1799. d'eux est averti pour une heure différente; il reçoit l'assurance de leur dévoûment sans leur faire part de ses desseins. Que fera-t-il de Barras? il n'en veut ni pour victime ni pour complice; déjà il lui a enlevé ses partisans, ses amis; en l'isolant, il le renverse. Mais comment tromper la surveillance des deux Directeurs qui restent fidèles à la cause du Manége et du Conseil des Cinq-Cents. Bonaparte choisit le genre d'expédient le plus propre à faire tomber tous les soupçons; il écrit un billet amical à Gohier, président du Directoire, et s'engage lui-même à dîner chez lui avec sa famille pour le lendemain, 18 brumaire. Une démarche si ouverte préparait le succès d'une autre ruse plus propre à ses desseins. Le même soir, madame Bonaparte invita Gohier et sa femme à déjeuner, pour huit heures du matin, sous prétexte de l'entretenir de choses très intéressantes. Pour cette fois Gohier conçut quelque alarme, et n'envoya au rendez-vous que sa femme. La pensée du général était sans doute de faire au Directeur des offres très brillantes. de fortune, et s'il le trouvait inébranlable, de le tenir en chartre privée.

[ocr errors]

Syeyès, de son côté, montrait la même force

de dissimulation. Afin de rendre moins suspecte sa sortie du Luxembourg au signal convenu, il prenait depuis plusieurs jours des leçons d'équitation dans la cour de ce palais, et supportait fort patiemment les risées que se permettait le directeur Barras sur l'allure de cet écuyer novice.

1

1799

Journées des 18 et 19

8 et 9 sept.

1799.

Cependant le Conseil des Anciens avait été convoqué pour une heure qui annonçait des brumaire. mesures extraordinaires ; c'était à sept heures du matin. Les conjurés s'y étaient rendus avec diligence; les autres s'arrachaient avec peine aux douceurs du sommeil. Régnier s'était chargé d'ouvrir l'attaque; il était forcé de s'énoncer dans des termes fort obscurs, car il ne fallait pas laisser connaître, et peut-être lui-même ne connaissait-il pas toute l'étendue du plan qu'on se proposait de suivre; mais il parla de dangers imminens, d'une conspiration découverte, de la nécessité de se rallier contre les progrès de l'anarchie, contre le terrorisme renaissant, et de prendre des mesures énergiques pour rendre à nos armées toute leur gloire et pour rentrer dans toutes les conquêtes. Le nom de Bonaparte, prononcé avec assurance, avec emphase, était pour les députés non initiés la seule clef de

1799.

ce discours énigmatique. Régnier demandait qu'aux termes d'un article de la constitution, le Corps-Législatif fût trans féréà Saint-Cloud sur la demande du Conseil des Anciens, et que le général Bonaparte fût chargé de l'exécution de ce décret. Les députés Cornudet, Fargues, Lemercier et plusieurs autres appuient cette proposition sans la rendre plus claire. Les mots qui circulent sur tous les bancs sont : Bonaparte le veut. Bonaparte et Syerès veulent mettre fin à l'anarchie; il faut une autorité forte; la constitution n'est plus qu'un fantôme que personne ne respecte, et qui ne peut rien défendre. Si nous n'agissons avec fermeté, si nous ne donnons à la République des chefs vigoureux, nous n'avons plus que le choix de tomber victimes des Chouans ou des Jacobins ; il est temps de changer le Conseil des Anciens en un Sénat puissant.

Ces insinuations, répétées à demi-voix, ont produit leur effet; ceux même qui voudraient tenter une opposition sentent le danger de se commettre avec la force militaire, avec Bonaparte qui la met en mouvement; leurs représentations sont vagues, embarrassées. Le décret est rendu dès huit heures du matin; ce décret est une révolution tout entière, jus

qu'où ira-t-elle dans sa marche rétrograde? un
seul homme le sait. Un quart d'heure après
Bonaparte se présente au Conseil des Anciens ;
son escorte est imposante; ses rivaux de gloire,
Moreau et Macdonald, viennent se mêler avec
les premiers compagnons de sa fortune, tels
que Berthier, Lannes, Murat, Marmont, etc.
Le général Lefebvre, que le Directoire a nom-
commandant des troupes de la garnison de
Paris, marche dans leurs rangs; Bernadotte
seul a refusé de les suivre. Partout la joie a
éclaté sur leur passage; tout sourit à la révo-
lution qui se prépare; quinze cents cavaliers,
que Bonaparte avait convoqués pour une re-
le suivent avec la plus vive allégresse.
Ce qu'ils comprennent le mieux de l'événe-
ment, c'est qu'ils vont être enfin hors de la
tutelle des avocats, c'est que le pouvoir mili-
taire commence. Pourvu que l'on conserve le
mot de République qui leur est si cher, ils ne
s'apercevront pas, ou ne voudront
pas s'aper-
cevoir que la République n'existe plus.

vue,

Bonaparte, introduit à la barre du Conseil des Anciens, et accompagné de son brillant cortége, prononce ces paroles : « Vous êtes la << sagesse de la nation, c'est à vous d'indiquer, << dans cette circonstance, les mesures qui peu

1799.

1799.

<< vent sauver la patrie; je viens, environné de << tous les généraux, vous promettre l'appui « de tous leurs bras. Je nomme le général "Lefebvre mon lieutenant.

« Je remplirai fidèlement la mission que « vous m'avez confiée; qu'on ne cherche pas «< dans le passé des exemples pour ce qui se << passe. Rien dans l'histoire ne ressemble à « la fin du dix-huitième siècle; rien dans le « dix-huitième siècle ne ressemble au moment <<< actuel. >>

Cependant tout dormait au Luxembourg. Deux des Directeurs, Syeyès et Roger-Ducos, s'étaient échappés dès le matin du palais, pour se rendre à celui des Tuileries, où siégeait le Conseil des Anciens; et Syeyès, pour rendre moins suspecte cette course matinale, était parti à cheval. Barras, déjà éveillé, mais pourtant exempt d'inquiétude, avait, suivant sa coutume, éclaté de rire à la vue de l'apprenti cavalier. Barras prenait un bain, lorsqu'une dame de ses amies vint lui faire part du fatal décret des Anciens. Il témoigna plus de surprise que de colère, et pea de résolution; il vint pourtant donner l'alarme à ses collègues Gohier et Moulins. Honteux tous de se voir surpris par un événe

« ZurückWeiter »