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10,000 francs. Les deux généraux ne cessèrent plus de se voir, mais toujours avec un plus grand mystère à mesure qu'ils s'entendaient

mieux.

Les deux Conseils voulurent donner une fête à Bonaparte. Un festin de sept cents couverts fut servi dans l'église Saint-Sulpice. C'était pour Bonaparte une contrainte assez dure que de se trouver livré au feint enthousiasme, à l'examen, ou aux patriotiques instances de tant d'hommes qui le craignaient, et que luimême se proposait de congédier fort brusquement au bout de quelques jours. Les Jacobins eussent voulu l'assaillir de toasts qui lui eussent fait prendre des engagemens avec la cause sainte du Manége; mais les députés arrivaient avec des dispositions si contraires, si ennemies; ils s'observaient tous avec tant de défiance, qu'il n'y eut moyen pour personne de se livrer à l'enthousiasme projeté. Bonaparte rompit de bonne heure une séance incommode, seulement il eut la courtoisie de parcourir les tables et de dire quelques mots insignifians à chacun des députés. Ceux-ci, charmés d'être honorés de quelques mots d'un grand homme, ne surent pas voir en lui un souverain qui commençait son rôle.

1799.

1799.

Une circonstance favorisait l'exécution prochaine de ses plans, c'est qu'il se trouvait alors en garnison à Paris trois des régimens les plus dévoués de son ancienne armée d'Italie.

Les liaisons de Bonaparte et de Barras avaient été d'une telle intimité, qu'il était nécessaire à l'un et à l'autre de faire les frais d'un entretien confidentiel dans lequel ils chercheraient réciproquement à se tromper. Cette conversation eut lieu chez le Directeur, un soir après le diner c'était le 30 octobre. Si nous ajoutons une foi aveugle à la relation de Bonaparte, Barras lui tint cet étrange langage : « La République périt, rien ne peut << plus aller le gouvernement est sans force; <«< il faut faire un changement et nommer Hé<< douville président de la République. Quant « à vous, général, votre intention est de vous «< rendre à l'armée; et moi, malade, dépopu« larisé, usé, je ne suis bon qu'à rentrer dans << une classe privée. »

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Voici ce qu'ajoute ce récit, tiré des Mémoires de Sainte-Hélène : Napoléon le regarda fixement sans lui rien répondre; Barras baissa les yeux et demeura interdit: la conversation finit là. Le général Hédouville était un homme d'une excessive médiocrité. Barras

ne disait pas sa pensée ; sa contenance trahis- 1799.

sait son secret.

S'il est vrai que Barras fit avec si peu de précaution et une si misérable indolence une ouverture de cette sorte, on peut conjecturer qu'il n'avait voulu que pénétrer les desseins de Bonaparte, et le forcer à se déclarer en lui causant de la surprise et de la colère. Le nom du général Hédouville s'était sans doute placé comme au hasard sur les lèvres du Directeur. L'emploi de président de la République, ou en d'autres termes la dictature, était-elle indirectement offerte à Bonaparte ou Barras se la réservait-il? L'entretien fut coupé si brusquement, qu'on ne peut résoudre cette question.

Bonaparte rentré chez lui y trouva Talleyrand, Fouché, Roederer et Réal; de ces quatre personnages trois vivaient dans l'intimité du Directeur. Quoique Bonaparte songeât à en faire les appuis de sa conspiration, il crut devoir user de réserve avec eux, et leur raconta naïvement (je copie son expression) ce que Barras venait de lui dire; chacun d'eux jugea que le Directeur avait été fort gauche dans sa dissimulation. Le soir, Barras reçut par eux l'avis de l'effet assez fâcheux qu'il avait produit

1799. sur l'esprit de Bonaparte. Le lendemain Barras vint, à huit heures du matin, trouver Bonaparte qui était encore au lit ; et cette fois, pour réparer l'effet d'une feinte maladroite, ou peutêtre pour arriver plus sûrement à ses fins, il parut s'abandonner complétement au général, et protesta qu'il voulait être son second dans tout ce qu'il pourrait entreprendre. Bonaparte, plus que jamais résolu de garder son secret tout entier, parodia sans affectation le langage qu'il avait entendu la veille; il répondit qu'il ne voulait rien, qu'il était fatigué, indisposé; qu'il ne pouvait s'accoutumer à l'humidité de l'atmosphère de la capitale, en sortant du climat sec des sables de l'Arabie. Après un tel assaut de franchise, le Directeur et le général cessèrent de se rechercher.

Trois jours avant l'événement, Bonaparte vient concerter les mesures avec le directeur Syeyès; une seule entrevue leur suffit pour convenir de tout. Les chefs du Conseil des Anciens prendront l'initiative de la révolution nouvelle, et tâcheront de donner une forme légale à une révolte militaire. Rien ne trahit des alarmes chez tous ceux que cette révolution menace: il est vrai que Bonaparte ne perd pas un moment pour leur donner des

témoignages d'une insidieuse cordialité. Se trouve-t-il en présence d'hommes tels que Chénier et Daunou, il ne leur cache pas qu'il aspire au rôle de Washington, mais en le partageant avec Syeyès. Le jour le plus beau de sa vie, ajoute-t-il, sera celui où il sortira du pouvoir. Devant Roederer ou Boulay de la Meurthe, il trouve le rôle de Cromwell ignoble, parce que c'est celui d'un imposteur, d'un tartufe. Devant tous les amis de Syeyès, il rend hommage à ce génie profond devant lequel Mirabeau se prosternait; pour lui, il ne veut que courir aux armées, il n'entend rien aux combinaisons législatives. Devant tous les partisans des doctrines du Manége, il s'exprime en des termes qui rappellent assez bien ceux de cet ordre du jour par lequel il donna le signal de la journée du 18 fructidor; il se justifie devant eux de voir des hommes tels que Talleyrand et Roederer; c'est pour mieux pénétrer leurs secrets. Le 7 novembre il annonce qu'il passera le lendemain une revue générale de la garnison de Paris; au sortir de cette revue il partira pour la frontière : ce prétexte lui sert pour recevoir à diverses heures de la nuit les généraux sur lesquels il peut compter. Chacun

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1799.

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