Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

1799. tardé à se faire sentir; le numéraire était caché

avec le même soin que lorsqu'il était en présence des assignats; le crédit public était tombé dans un si horrible avilissement, que le tiers consolidé, ce malheureux reste échappé à la plus infàme banqueroute, n'avait plus cours qu'à 7 ou 8 pour cent de sa valeur.

D'après ce tableau général des esprits, on ne s'étonnera plus qu'aucun des Directeurs n'eût osé considérer Bonaparte comme un transfuge de l'armée de l'Orient, ni lui reprocher d'avoir violé les lois sanitaires du pays. Une mesure sévère prise contre le conquérant de l'Italie et de l'Égypte aurait excité une réprobation générale, et décidé une catastrophe violente. Son rôle était de voir venir à lui les chefs des différens partis, et de les tromper, non par des engagemens positifs, mais par des paroles insidieuses.

Jusque-là toutes les conspirations avaient été faites à haute voix, à la tribune même des clubs et des assemblées; il en fallait une d'un nouveau genre pour abuser tant d'hommes versés dans la tactique révolutionnaire. Bonaparte convenait parfaitement à ce rôle: né du sang italien, dans une ile où se conservaient encore les mœurs italiennes du quinzième siècle, façonné

aux stratagèmes militaires, aux expédiens de la politique, il avait une supériorité marquée sur tous les Français, et peut-être sur tous les hommes, dans l'art de la dissimulation. Il eut soin de se prodiguer peu, d'éviter les acclamations publiques, et de se dérober au triomphe qui lui aurait été décerné au spectacle. Cet homme, qui venait de ressusciter en quelque sorte la puissance des soudans de l'Égypte, habitait un fort modeste appartement dans la rue Chantereine; sortait peu, et toujours avec l'uniforme de membre de l'Institut; recevait avec même cordialité les savans, les artistes, les ministres, les généraux et les Directeurs: les maux de la patrie semblaient l'avoir plongé dans une mélancolie profonde. En vain les deux directeurs Gohier et Moulins s'empressaient-ils, soit officieusement, soit pour rabaisser son orgueil, de lui vanter le triomphe décisif de Masséna à Zurich, et les nouvelles victoires du général Brune sur le duc d'York; Bonaparte affectait de ne pouvoir se consoler de l'Italie perdue. Toutefois il éloignait avec soin toute proposition d'un commandement qui l'eût éloigné de la capitale. Il fut question, parmi les Directeurs, de faire à son ambition trop pressentie

1799.

[ocr errors]

1799.

une part assez belle, en le faisant entrer au Directoire. Mais que serait devenue l'insigne médiocrité des Gohier, des Moulins, en présence d'un si puissant collègue! Pour ne pas lui faire place, ils affectèrent un respect scrupuleux pour cette constitution tant de fois violée, qui ne permettait pas d'entrer au Directoire avant l'âge de quarante ans accomplis; et Bonaparte n'en avait que trente. Luimême il montrait beaucoup d'indifférence pour un poste qui le rendait l'égal des hommes les plus vulgaires, et il savait donner à ses dédains l'apparence de la modération ou d'un désintéressement magnanime. Le pressait-on de s'expliquer ouvertement, il jouait l'embarras et l'incertitude d'un homme qui arrivé des bords lointains, avait tout à étudier dans la situation nouvelle de sa patrie. Par ce moyen, il attirait le secret de chacun, sans jamais livrer le sien. Déjà cependant ses plans se concertaient avec ceux de Syeyès; cette intrigue se conduisait par des intermédiaires, au nombre desquels étaient ses deux frères et MM. de Talleyrand, Roederer et Regnault de SaintJean-d'Angely. Plus leur conspiration allait se développant, plus Bonaparte affectait de parler de Syeyès d'un ton très voisin du

[ocr errors]

mépris ou de la haine. Il ne pouvait, disaitil, lui pardonner son dévoûment pour la Prusse, son attachement à la maison de Brunswick. « Ce ténébreux abbé, ce métaphysicien intrigant roulait sans doute quelque plan fu<< neste à la République. » Mme Bonaparte secondait à merveille son mari dans ces longues scènes de dissimulation. Un jour où Gohier les avait invités l'un et l'autre à dîner avec des membres de l'Institut, dont Bonaparte paraissait faire son inséparable et modeste compagnie: « Qu'avez-vous fait! dit Mme Bonaparte « à Gohier en voyant entrer Syeyès, ne savez<< vous pas que cet abbé est l'homme que « Bonaparte déteste le plus?» De son côté, le général affecta pendant tout le dîner de ne point regarder Syeyès; et celui-ci se leva de table en jouant la fureur. « Avez-vous remarqué, dit-il à Gohier, la conduite de ce petit « insolent envers le membre d'une autorité

qui aurait dû le faire fusiller?» A l'aide de cette feinte mésintelligence, Syeyès savait facilement écarter toute proposition qui aurait envoyé Bonaparte au loin et déconcerté la conspiration. « Quoi! voulez-vous, disait Syeyès, replacer un homme dangereux sur « un nouveau théâtre de gloire : cessons de

[ocr errors]

1799.

1799.

<< nous occuper de lui davantage, et tâchons, <«< s'il est possible, de le faire oublier. » Les Directeurs et Barras lui-même furent assez crédules pour s'imaginer qu'ils pourraient faire oublier Bonaparte, et qu'un tel homme se résignerait à l'oubli.

L'un de ses premiers soins avait été d'attirer à lui le général Moreau', qui, sans vocation et sans goût pour un premier rôle, paraissait tout prêt à seconder un puissant ennemi de l'anarchie. Ce fut d'abord chez le directeur Gohier qu'ils se rencontrèrent; ils ne s'étaient jamais vus, et se contemplèrent quelque temps en silence. Bonaparte le rompit le premier, et parut rendre l'hommage le plus empressé à un homme dont la renommée marchait sur une ligne presque parallèle à la sienne. Moreau, suivant sa modestie habituelle, lui dit : « Vous arrivez d'Égypte vic«torieux, et moi d'Italie après une grande « défaite ». Bonaparte affecta d'honorer dans son rival le talent, la grandeur d'âme et la simplicité avec lesquels il avait eu à réparer tant de fois des fautes et des revers qui ne pouvaient lui être imputés. Le lendemain il lui fit présent d'un damas garni de diamans qu'il avait rapporté d'Égypte, et qui était estimé

« ZurückWeiter »