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1799.

LIVRE HUITIÈME.

PRÈS d'atteindre au terme d'une histoire contemporaine, où figurent tous les peuples de l'Europe, et quelquefois même d'autres parties de l'univers, je vois les derniers événemens qui me restent à décrire se compliquer et se décolorer. S'agit-il des faits militaires : ils sont aussi tristes que nombreux ; je rencontre de toutes parts des désastres que l'exécrable et stupide politique du Directoire a seule provoqués, qui laissent intacte ou plutôt qui rendent plus éclatante encore la gloire de nos armées, et se terminent par un retour subit de la victoire. S'agit-il des événemens de l'intérieur : tout se rapetisse, s'avilit, se déchire et se rompt. A mesure que révolution s'éteint, elle use l'indignation à force de mépris. Mais ce livre est d'une extrême importance, il offre la transition de l'état d'anarchie à celui d'un ordre despotique. Le règne de la révolution va faire place au règne d'un conquérant.

la

nouvelle ligue.

Toute l'Italie, jusqu'aux rives de l'Adige, 1799. reconnaissait les lois des Français. La violence Apprêts d'une et l'iniquité du Directoire n'avaient exempté aucun État du nivellement politique qui faisait la honte et la misère commune. Le grand-duc de Toscane avait été renversé le dernier par cet orage qui planait sur la tête de tous les souverains. Tout le souvenir qu'on avait gardé de sa longue et trop fidèle neutralité, avait été une permission de quitter ses États, et de retourner en Autriche. La sagesse de la république de Lucques n'avait pas non plus désarmé nos impitoyables magistrais. Sa constitution, modèle de douceur et de stabilité, avait été condamnée comme féodale et gothique. Le Directoire avait en vain flatté le Piémont de la triste espérance d'avoir un gouvernement particulier et indépendant, comme ceux de la Cisalpine, de la Ligurie, de Rome et de Parthénope, On jugea ce malheureux peuple indigne même d'un bienfait de cette sorte. On fit de ces belles provinces quatre ou cinq départemens français; la fureur était au comble dans un État long-temps si belliqueux; mais elle attendait pour éclater l'arrivée prochaine et les victoires présumées des armées russes et autrichien

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nes; les Français étaient surtout inquiétés dans la possession de Naples. Dans les Abruzes et dans la Calabre, on trouvait un grand nombre de ces bandes qui, depuis, en Espagne ont été nommées guérillas, et qu'en France on nommait chouannerie. Le roi de Naples et les Anglais pouvaient facilement, par la Sicile, inquiéter les provinces méridionales. Bientôt un prince de l'Église parvint à donner une direction commune à tous ces mouvemens; c'était le cardinal Ruffo, homme ardent quoique valétudinaire. Le secours de l'Autriche n'était plus douteux; aurait-elle pu supporter sans avilissement l'occupation violente de la Suisse et de tous les Etats d'Italie? Le fardeau de la guerre n'allait plus porter sur elle seule, comme dans cette campagne où elle avait signalé sa constance. Deux armées russes s'avançaient, et Paul Jer avait fait pour la 'cause des rois et de l'Europe ce que l'on avait vainement attendu de l'impératrice sa mère. La plus puissante des armées, celle qui devait pénétrer en Italie, était commandée par un homme dont le nom rappelait de grands et terribles souvenirs; c'était ce Souwarow toujours victorieux dans ses campagnes contre les Turcs et les Polo

nais. Il était entré comme un exterminateur
dans la ville d'Ismaïlow prise d'assaut, et
dans Praga faubourg de Varsovie. Chez lui,
l'art de la guerre tenait plus de l'inspiration
que
du calcul. Il n'était en rien inférieur à
Bonaparte dans l'art d'enflammer le soldat;
à son exaltation prophétique, à son despo-
tisme militaire, à sa fureur dans les combats,
à ses stratagèmes profonds, on l'eût pris pour
un de ces conquérans arabes qui, en soixante-
dix ans,
soumirent une si grande partie de
la terre aux lois de Mahomet. Quelque part
qu'il fût, il s'emparait du pouvoir suprême
par la force et l'ardeur de son caractère. Tout
autre général, fût-il un allié, devenait son
lieutenant; il affectait un laconisme spartiate
et s'enveloppait quelquefois dans une obscu-
rité mystique, assez semblable à celle de
Cromwell. Ses traits étaient ceux d'un Tar-
tare, mais l'éclair partait de ses yeux. La gloire
de Bonaparte ne lui laissait point de repos;
s'il ne lui était point donné de se mesurer avec
un tel général, du moins il s'estimait heureux
de pouvoir combattre sur le même champ
de bataille, et il ne craignait pas d'annoncer
qu'il surpasserait encore la rapidité de ses
conquêtes. La passion du devoir le consu-

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mait, et il savait l'inspirer au soldat; malgré les deux actes inhumains qui lui étaient reprochés, il n'était capable d'emportement que sur le champ de bataille; mais il ne lui coûtait rien de dire : Point de quartier.

Déjà la guerre était allumée dans les montagnes des Grisons et de la Souabe. Les Grisons, qui faisaient partie de la ligue des Suisses, avaient montré la même aversion que les petits cantons pour le code helvétique, auquel le Directoire s'obstinait à les soumettre, Ils craignirent le sort de ceux-ci; ils appelèrent les Autrichiens à leur secours. Le général Hotze s'y était porté avec trente mille hommes. Le général Masséna n'avait pas craint de l'y attaquer dans la saison la plus défavorable, c'était au commencement de mars, et avec une armée inférieure en nombre. Après une suite de combats meurtriers, et secondé par le général Lecourbe qui commandait son avant-garde, il se rendit maître de tout le pays des Grisons, et fit un grand nombre de prisonniers. Il cherchait à se porter sur Bregentz, sur Linda: et sur la rive orientale du lac de Constance, pour communiquer avec le général Jourdan qui s'avançait dans la Souabe, tandis qu'une autre armée com

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