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explosion suspendit le combat pendant un quart d'heure; mais les Anglais, déjà sûrs de la victoire, la poursuivent avec une ardeur indomptable; leurs vaisseaux les plus maltraités se rendent encore terribles; jamais ils n'ont mis plus de précision dans leurs manœuvres; l'avant-garde française s'anéantissait par degrés; le Franklin, le Tonnant, étaient fracassés dans leur mâture; l'Artémise était enflammé; l'Heureux et le Mercure échoués sur des rochers; le Guerrier, le Conquérant, le Spartiate, l'Aquilon, le Peuple-Souverain, entièrement démâtés, étaient au pouvoir des Anglais; enfin, à deux heures, l'amiral Villeneuve coupa ses câbles et prit le large, emmenant le Guillaume-Tell qu'il montait, le Généreux, et les frégates la Diane et la Justice: voilà tout ce qui fut sauvé du plus magnifique armement. Nelson avait été servi par la fortune bien audelà de ses espérances; en détruisant une telle escadre, il pouvait se flatter d'avoir isolé de l'univers la plus brillante armée de la France. Mais la flotte victorieuse offrait elle-même le plus triste spectacle: on n'y voyait que des mâts brisés et des voiles déchirées. Plusieurs marins français avaient donné l'exemple de la plus

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1798. haute intrépidité; il faut mettre à leur tête le malheureux amiral Bruéys, qui, après avoir reçu deux blessures, n'avait pas voulu quitter son banc, et dont le corps fut séparé en deux par un boulet; le capitaine du même vaisseau, de l'Orient, Casa-Bianca, avait été blessé mortellement ; son jeune fils âgé de dix ans lui rendait des soins et refusait de l'abandonner, tandis que la flamme dévorait déjà plusieurs parties du vaisseau. Le malheureux père parvient enfin à le placer sur un mât qui est jeté à la mer; mais tout à coup le vaisseau saute, et ses éclats engloutissent cet enfant généreux. Le capitaine de vaisseau du Petit-Thouars, qui avait commandé l'expédition pour la recherche de La Peyrouse, et qui montait le Tonnant, se battit jusqu'à la fin de l'action, et fut percé par le dernier boulet de la bataille. La perte des Français fut de près de huit mille hommes, parmi lesquels le plus grand nombre était prisonnier. Plusieurs de ceux qui gagnèrent le rivage furent massacrés par des Arabes; les Anglais sauvèrent avec humanité plusieurs des victimes du vaisseau l'Orient, qu'ils recueillirent; le capitaine Folley eut, après Nelson, la plus grande part à cette vic

toire; les Anglais regrettèrent vivement le capitaine Westcott; leur perte fut de neuf cents hommes. Le courage fut égal entre les deux armées, mais les Anglais eurent pour eux la confiance, la tactique et la fortune.

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Gouverne. ment de Bo

Le général français reçut avec une force d'âme remarquable la nouvelle de cet épou- naparte vantable désastre. La sécurité qu'il lui conve- Egypte.

nait d'affecter devint bientôt réelle. Dans des idées de fatalisme qui lui étaient communes avec tous les conquérans, et qu'un séjour auprès des Musulmans devait accroître, il regarda comme un partage arrêté par les destins l'empire des mers aux Anglais, et celui de la terre aux Français. Son premier soin fut de plaire au peuple qui allait vivre sous ses lois : la différence de la religion paraissait un obstacle insurmontable. La manière dont Bonaparte l'éluda, quoique fort usitée parmi les conquérans grecs, romains ou tartares, est un des plus graves reproches qui s'élèvent aujourd'hui contre sa mémoire; il montra beaucoup de vénération pour le culte mahométan, et fit tout pour persuader au peuple que lui-même serait assez disposé à l'embrasser. Il invita les généraux à contracter

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des mariages avec des Musulmanes un seul d'entre eux lui donna cette preuve de déférence; c'était le baron de Menou, ancien membre de l'Assemblée Constituante. L'esprit de courtisan en fit un apostat; il est certain du moins qu'il prit un nom musulman, et ce nom le rendit la fable de l'armée. Quant à Bonaparte, on le vit assister à la fête principale du prophète; dans ses proclamations, il affectait de citer des passages du Coran; enfin, près de ces murs illustrés par la constance chrétienne de Saint-Louis captif, le vainqueur de l'Égypte emprunta cette formule: Dieu est Dieu, et Mahomet est son prophète. J'ai vu l'une de ces proclamations : quelques personnes prétendent qu'elle a été forgée par les Anglais. Cependant il relevait d'une oppression héréditaire les chrétiens nommés Cophtes, regardés comme les descendans des vieux Égyptiens. Il leur confiait des emplois fiscaux, et s'en servait comme d'utiles et fidèles surveillans. Du reste, il se défendait sans peine de la mollesse orientale, et s'interdisait ces voluptés de harem, dont la facilité misérable amène bientôt la langueur et le dégoût.

Le général Désaix restait chargé de la con

quête de la Haute-Égypte, Activité, constance, génie militaire, il porta tout dans cette expédition. Les Mamelucks se représentaient plus terribles dans les déserts de la Thébaïde ou de la Nubie, et souvent ils se recrutaient d'une nuée d'Arabes. C'était tous les jours de nouveaux combats; ils y déployaient l'excellence de leur cavalerie et l'ardeur de leur courage; ils espadonnaient avec une merveilleuse dextérité. MouradBey, qui les commandait encore, montrait des ressources et des combinaisons que l'on n'attendait point d'un barbare. Les soldats français durent à de tels ennemis de se perfectionner encore dans le maniement des armes. On les voyait maintenant quitter sans regret des lieux d'abondance et de délices pour venir chercher le désert, le besoin et les combats. Les généraux Dayout et Belliard eurent une part glorieuse à ces combats multipliés, dont le détail embarrasserait l'histoire.

Des savans et des artistes accompagnaient Désaix au milieu de déserts où le sable étend chaque jour ses désastreuses conquêtes. Ils bravaient dans leur avide curiosité ces

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