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1798. les Alpes, et de visiter le peuple à la fois simple et grand, dont elles protégeaient la liberté. Les seigneurs russes eux-mêmes se sentaient fiers d'avoir vu un peuple libre. En France, en Angleterre, en Allemagne, le voyage en Suisse était regardé comme un complément nécessaire à l'éducation d'un jeune gentilhomme et d'un jeune prince; le séjour de Voltaire à Ferney avait encore beaucoup contribué à mettre à la mode ce pélerinage; deux médecins renommés, Tissot à Lausanne, et Tronchin à Genève, voyaient venir à eux des colonies de valétudinaires, et surtout de jeunes femmes qui confiaient quelquefois une santé assez brillante à leurs soins renommés. Ce voyage semblait rajeunir l'imagination; alors on ne goûtait les plaisirs de la capitale qu'avec un superbe dédain, et l'on venait se reposer, suivant le jargon philosophique du temps, au sein de la nature et de ses belles horreurs.

La Suisse se montrait digne de tant d'hommages par l'éclat qu'elle jetait alors et dans la littérature allemande qu'elle semblait tirer du chaos, et dans la littérature française qu'elle savait enrichir encore. Genève était la gloire de la Suisse comme J.-J. Rousseau était la gloire de Genève. Dans cette Athènes

sérieuse et méditative, le savoir était répandu 1798. parmi toutes les classes. Il était plusieurs familles, telles que celles des Tronchin, des Vernet, des Pictet, des Cramer, des Necker et des Mallet, qu'enflammait une même ardeur de connaissances, et que récompensait une même célébrité. L'Europe applaudissait aux travaux géologiques du savant Deluc, et tous les voyageurs voulaient suivre, jusque dans les glaciers du Mont-Blanc, les traces de De Saussure, l'un des hommes qui avaient rendu le plus de services à l'histoire naturelle. Le métaphysicien Bonnet s'était montré le trop docile commentateur de ces hypothèses de Locke et de Condillac, sur lesquelles s'était enté le hideux matérialisme; mais il n'en était pas moins un défenseur fidèle de la religion révélée. Le grand Haller était pour la ville de Berne, sa patrie, ce que J.-J. Rousseau était pour la ville de Genève ; mais plus heureux, il ne sortait point de sa ville natale, qui rendait autant d'hommages à ses vertus qu'à son génie. Bâle avait ses titres d'orgueil dans l'illustre famille des Bernoulli, et dans son Euler, le plus grand génie qui eût paru dans les sciences après Newton. Schaffouse avait donné le jour à Jean Muller, qui

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consacra la vigueur de ses pinceaux et la noble indépendance de son caractère à l'histoire de sa patrie. Zurich était considéré comme un des plus illustres berceaux de la littérature allemande. Tandis que la gloire des Bodmer et des Zimmermann se répandait au-delà du Rhin, celle de Gessner se naturalisait plus heureusement parmi nous le frais coloris de ses tableaux avait rajeuni les scènes pastorales, et avait beaucoup contribué au charme de ces bienveillantes rêveries que nous avions le bonheur de connaître avant d'être livrés à une révolution. Lavater avait amusé les esprits par une analyse fine et subtile, mais souvent chimérique, du jeu de la physionomie. Ce savant et modeste pasteur charmait tous les étrangers par la candeur de son caractère, la beauté de ses traits, et par une éloquence naturelle qui semblait tenir de l'inspiration. Pas un de ces petits cantons, pas une de ces villes dont le nom retentit au loin, et qui égalent à peine les villages des environs de Paris ou de Londres, où ne se trouvât quelque savant, quelque artiste digne d'exciter et de satisfaire la curiosité des voyageurs. Ils admiraient la fidélité et le feu avec lequel des paysans de Schwitz, d'Uri et d'Appenzell,

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racontaient les faits de leurs ancêtres; les traditions avaient dans leur bouche une vivacité qui manque trop souvent à l'histoire. Partout le peuple des campagnes se distinguait par une connaissance de l'écriture beaucoup plus générale qu'en France et même en Angleterre jusque dans d'humbles cabanes on rencontrait des livres utiles. Lausanne et Neufchâtel étaient des villes toutes vouées aux entretiens littéraires, et quelquefois d'humbles artisans pouvaient y prendre part, et même s'y faire remarquer. Mais il est temps que je termine une esquisse qui me fait trop oublier les malheurs et les désastres dont je vais entretenir mes lecteurs. Je me bornerai à un tableau rapide, on en trouve le tableau complet dans l'histoire élégante et animée de la révolution helvétique, par M. Raoul-Rochette.

La perte de la Suisse fut décidée dès le jour où M. Barthélemy fut déporté. Ce pays avait trouvé en lui un défenseur zélé dans la longue ambassade qu'il avait remplie auprès des Treize-Cantons. Il s'était constamment attaché à modérer les ordres tyranniques de son gouvernement; il était le protecteur le plus sûr de l'hospitalité que la Suisse accordait aux

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1798. émigrés. Cependant en 1796 le Comité de Salut public notifia aux Treize-Cantons l'ordre de renvoyer ces proscrits. Le sénat de Berne eut la faiblesse d'y obtempérer au moins pour un temps d'autres cantons se montrèrent plus nobles et plus généreux. Le directeur Carnot, plus républicain qu'aucun de ses collègues, savait respecter dans les Suisses leurs grands souvenirs et leur félicité actuelle. Le Directoire, débarrassé de ces deux puissans contradicteurs, ne songea plus qu'à la conquête du trésor de Berne; c'était par le brigandage qu'il couvrait l'infamie toute récente de sa banqueroute. La paix de Campo-Formio lui laissait une sécurité au moins momentanée pour tous les genres d'oppression envers les États faibles. Bonaparte, qui avait conclu ce traité, semblait lui-même regarder les Suisses tantôt avec colère, tantôt avec un dédain affecté; ce qu'il venait de faire contre Venise le disposait mal pour Berne et pour Zurich. Comme il traversait la Suisse pour se rendre de l'Italie à Rastadt, il affecta sur son passage de relever avec aigreur les abus des divers gouvernemens de ce pays; il fit à un sénateur bernois une question de mauvais augure sur le trésor de

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