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1798. dame, le lendemain même du 18 fructidor, avait elle-même ruiné son crédit, en reprochant aux Directeurs la cruauté de leurs proscriptions, et en leur arrachant quelques victimes. Elle se trouvait à une fête très-élégante que donnait à Bonaparte le ministre Talleyrand. En lui témoignant son éloquente admiration, elle devait ajouter beaucoup pour lui aux plaisirs de cette fête. Bonaparte reçut, avec assez de froideur, un hommage qui n'était point à dédaigner, même pour son ambition. Madame de Staël, sans se déconcerter, lui fit une question où la vanité peut-être se faisait sentir. Elle lui demanda quelle était la femme qu'il préférait, soit dans les temps anciens, soit dans les temps modernes, et même contemporains. Bonaparte, cédant au plaisir de frustrer cette dame du tribut qu'elle attendait en retour de ses éloges passionnés, lui répon dit : « Madame, c'est celle qui a eu le plus « d'enfans. » On ne pouvait esquiver une galanterie avec plus de rudesse et moins d'esprit.

Le Directoire pressait, avec une extrême activité, l'armement de la flotte qui devait cingler vers l'Égypte. Déjà pourtant les événemens politiques se déployaient de manière

à montrer combien cette diversion serait fâ- 1798. cheuse pour l'intérieur. Tout était culbuté dans l'Italie; le Directoire y exerçait, avec autant de violence que d'ineptie, son prosélytisme révolutionnaire, et il écrasait sous un même joug ceux des Italiens qui essayaient de lui complaire et ceux qui osaient lui résister. Le pape était indignement chassé de son trône électif. Le moment approchait où le roi de Sardaigne allait expier, par un exil, la fatale condescendance de son père envers la République française. Naples s'armait, en cédant à la loi de la nécessité. L'armée française, en Italie, se livrait à une fougueuse indiscipline, et ne pouvait plus supporter la cupidité qu'elle reprochait à ses chefs.

Déjà le Directoire préludait à l'un des crimes les plus atroces et les plus extravagans de sa politique extérieure: une invasion de la Suisse était commencée. Des négociations qui avaient été ouvertes à Lille, sur la demande de l'Angleterre elle-même, et où avait encore une fois figuré le lord Malmesbury, avaient été rompues avec un grand éclat d'indignation; tout faisait pressentir de nouveaux efforts d'une puissance dont le pavillon dominait sur toutes les mers, et dont l'or dominait

1798. sur toutes les cours. On s'était depuis longtemps tranquillisé sur les menaces fastueuses de l'impératrice de Russie; et l'immobilité constante des armées qu'elle avait tant de fois promises à la coalition, n'était plus qu'un sujet de risée pour les républicains.

La Sémiramis du Nord mourut le 9 novembre 1796, en laissant l'univers étonné d'un règne ouvert par un crime, et continué avec un singulier mélange de calme et de gloire, d'artifice et de grandeur, de vues bienfaisantes et de voluptés scandaleuses. Les révolutionnaires français pouvaient tout craindre du caractère emporté, absolu, mais sincère et chevaleresque, de son fils Paul [er, qui venait de monter sur le trône. La cour de Vienne elle-même, orgueilleuse du traité de Campo-Formio, qui, après tant de défaites, lui livrait des dépouilles inespérées, compatissait tout haut aux malheurs du pape, et même à ceux de la Suisse. Le général Bernadotte, ambassadeur de France auprès de cette cour, avait été insulté à Vienne, et jusque dans son propre palais; les négociations de Rastadt avec le corps Germanique, se traînaient avec une insupportable lenteur. Chacun voyait venir le moment où la fortune se

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lasserait de consacrer les combinaisons ab- 1798. surdes et violentes des cruels auteurs du 18 fructidor. Dans l'intérieur, le gouvernement montrait des signes de caducité qui n'auraient pas dû échapper aux regards pénétrans de Bonaparte. Tandis que le Directoire entassait des prêtres sur des bâtimens destinés à peupler les tombeaux de Sinnamari, tandis qu'il faisait fusiller, dans la plaine de Grenelle, des émigrés auxquels une commission militaire s'était contentée de demander leur nom, la vengeance éclatait dans le Midi par de nouveaux assassinats. La guerre civile, sous le nom de chouannerie, renaissait plus terrible dans les départemens de l'Ouest. De valeureux royalistes, tels que Scépeaux, Châtillon, Bourmont, Georges Cadoudal, et Frotté, donnaient aux bandes bretonnes une impulsion aussi ardente que soutenue. En même temps, le Directoire avait à se défendre contre une autre espèce d'ennemis, qui menaçaient de plus près sa puissance : c'étaient les Jacobins, qui ne cessaient de s'élever contre des crimes incomplets, et regardaient comme stupide le régime d'une demi-terreur dont ils n'étaient pas les ministres. Leurs propos étaient si audacieux, leurs écrits si violens, que le Direc

1798. toire se vit obligé de sévir quelquefois contre eux. Mais voici les proportions qu'il observait dans ce système, qui fut nommé la bascule politique : chaque fois qu'il était question d'arrêter un terroriste furieux, on commençait par arrêter vingt ou trente royalistes. La constitution n'était plus qu'un cadavre, que les Directeurs soulevaient quelquefois pour le laisser bientôt retomber. Ils vivaient sans amis, mais non sans créatures; ils exploitaient à leur gré la législation révolutionnaire, et prouvaient, par leurs subtilités, combien est odieux le glaive des tyrans remis à des légistes.

Le mois d'avril amenait, pour les deux Conseils, des élections nouvelles; les Directeurs redoublèrent de précautions. Dans de telles circonstances, diriger vers Alexandrie les derniers débris de notre puissance maritime, se priver de vingt-huit mille hommes, l'élite des troupes républicaines, et d'un général qui semblait avoir fait un pacte avec la victoire, c'était, de la part des Directeurs, un degré d'imprudence qui dénotait l'excès de ses alarmes jalouses.

Considérons maintenant les déplorables révolutions de l'Italie et celle de la Suisse.

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