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1798. vaient indolemment sous des magistrats révolutionnaires, qu'ils méprisaient tandis qu'ils les rendaient puissans et redoutables. Il ne restait plus pour l'ambition de Bonaparte qu'une seule chance, c'étaient les progrès de l'anarchie. Il voulut voir pourtant ce qu'il pouvait oser, ou ce qu'il devait remettre à d'autres temps, et revint de Rastadt à Paris. Il descendit dans la rue Chantereine, que l'enthousiasme public nomma bientôt rue de la Victoire; mais le maintien du vainqueur était composé, et l'excès de sa gloire commençait à l'inquiéter; son rôle était de jouer la simplicité républicaine; il semblait avoir laissé son sceptre en Italie. Les courtisans du Directoire affectaient de prendre Bonaparte au mot sur toutes ces apparences de désintéressement : il sortait peu, et ne s'entourait que de savans; la déportation prononcée contre trois membres de l'Institut laissait dans ce corps trois places vacantes; celle de Carnot, dans la section de mécanique, fut donnée à Bonaparte. Sa nomination parut le combler de joie tandis

qu'il rêvait au trône, vous l'eussiez cru absorbé dans les problèmes de la géométrie transcendante.

rendue à La

Quoique Bonaparte eût provoqué la jour- 1798. née du 18 fructidor par une dure et funeste Liberté proclamation, il paraissait cependant voir, Fayette par la sinon avec horreur, du moins avec degoût, po-Formio.

les suites monstrueuses de ce coup d'état. L'évasion de l'émigré d'Antragues, si évidemment favorisée par ce général, lui avait fait un titre auprès des royalistes les plus ardens. La liberté de La Fayette et de ses compagnons, qu'il avait obtenue par la paix de CampoFormio, donnait quelque espérance à ces constitutionnels encore nommés Feuillans, qu'un jour il adopterait leurs principes. Le Directoire se fût bien gardé de provoquer cette liberté. M. de La Fayette était encore, aux yeux des triumvirs régicides, un royaliste dangereux. J'ai parlé d'une tentative hardie et infructueuse qui avait été faite pour ménager l'évasion de M. de La Fayette par le moyen du médecin Bolman sa détention était un long sujet de murmures pour l'opposition anglaise. L'intérêt pour lui fut réveillé par une démarche bien digne du cœur de son épouse, modèle de toutes les vertus. Elle obtint en France un passe-port pour venir avec ses deux filles solliciter la liberté de son mari, et partager, en attendant, sa captivité. L'em

paix de Cam

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pereur François II l'avait reçue avec le plus vif intérêt ; mais il avait résisté à toutes ses instances, en lui disant avec regret : « J'ai « les mains liées ». Ces mots retentirent dans l'Europe, et firent penser que c'était M. Pitt qui prolongeait ainsi une détention si contraire au droit des gens, aux lois de l'hospitalité, et même aux calculs d'une saine politique. M. Fox éclata et prononça sur ce sujet, à la Chambre des Communes, un des discours les plus éloquens qui aient illustré la carrière d'un orateur en qui les Anglais voient leur Démosthène. La réponse de M. Pitt, quoique ne manquant ni d'habileté ni de force, laissait toujours à deviner quelle était la main mystérieuse et puissante qui prolongeait ainsi les tortures de M. de La Fayette et de ses trois compagnons, MM. de Latour - Maubourg, Bureaux-de-Pusy et Alexandre Lameth. On attribue aux démarches des généraux Clarke et Berthier l'intervention du vainqueur de l'Italie en faveur de ces captifs. Comme la révolution du 18 fructidor était déjà consommée, et qu'entre les victimes de cette journée se trouvaient plusieurs des amis ou des partisans de M. de La Fayette, la démarche de Bonaparte était

:

indépendante et hardie; on peut la regarder 1798. comme une des plus habiles combinaisons de sa politique les négociateurs de l'Autriche disputèrent peu ces prisonniers d'État au vainqueur, qui les réclamait noblement comme des Français, et la paix de Campo-Formio les remit en liberté.

il

Il fallut bien que le Directoire accordat quelque chose à l'enthousiasme public : fut convenu que Bonaparte recevrait au Luxembourg les honneurs d'une présentation solennelle. Ceux qui se réjouissaient le plus de cette fête étaient les parens, les amis des victimes qu'on venait de condamner aux horreurs de la Guiane; ceux des prêtres, des émigrés, et enfin de tous les opprimés dont le 18 fructidor multipliait le nombre. On regardait Bonaparte comme ennemi des cruautés gratuites. Ses actes, encore plus que ses paroles, décelaient de l'horreur pour l'anarchie. La haine qu'inspiraient les triumvirs faisait presque désirer sa dictature. Ceux mênies auxquels cette dictature aurait déplu, jouissaient du plaisir d'humilier la puissance en lui opposant la gloire, et de dire à des magistrats sans renommée : «< Voilà « un grand homme ».

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Les Directeurs s'étudièrent à cacher dans tout le cours de cette fête l'inquiétude et la jalousie dont ils étaient agités. Pour satisfaire à un immense concours de spectateurs, ils avaient voulu tenir l'audience, non dans l'enceinte de leur palais, mais dans la vaste cour du Luxembourg. Un autel de la patrie y était dressé : les trophées de l'armée d'Italie le décoraient; tout y parlait de gloire. Le Directoire avait envoyé au-devant de Bonaparte une garde d'honneur; le guerrier l'avait refusée, et s'était avancé accompagné seulement de son aide-de-camp Marmont, Quels transports! Quelles acclamations sur son passage! La capitale n'avait point goûté une ivresse plus vive depuis le 14 juillet 1790. Bonaparte arrive au Luxembourg : il passe sous une voûte formée de drapeaux qu'il a conquis, et voit rangés sur un amphithéâtre tous les principaux magistrats de la République. On se lève à son aspect, les cris de joie et d'admiration s'élancent.

Le ministre des relations extérieures, Talleyrand-Périgord, présenta Bonaparte au Directoire. Il y eut dans l'assemblée un de ces mouvemens subits où tous les yeux s'interrogent, où toutes les âmes veulent se devi

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