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1797. venir l'évasion des déportés. Il faut tous les soirs, et quelquefois aux heures brûlantes du jour, comparaître devant le commandant. Un caporal, un soldat, est souvent le juge du degré de liberté qu'on peut leur accorder pour quelques heures. S'adressent-ils au commissaire du Directoire, pour qu'il mette un terme à tant de vexations, ils ont à supporter et les froids refus et la cruelle ironie de cet agent; car il sent quelle importance lui donne la garde de tels prisonniers. C'est à son inhumanité qu'est attachée sa fortune.

Le climat les frappe, le découragement les atteint; une fièvre lente les consume. Déjà ils out perdu un de leurs compagnons les plus respectés c'est Murinais, membre du Conseil des Anciens, et qui souvent avait fait entendre à l'Assemblée Constituante, des protestations courageuses. De leurs mains languissantes ils lui creusent une tombe; TronçonDucoudray, qui déjà porte la mort dans son sein, s'avance au milieu de ses compagnons, pour faire l'éloge de l'homme de bien. Il avait pris pour texte ces paroles religieuses, que jamais un exilé n'entendit sans verser des larmes Super flumina Babylonis, illic sedimus et flevimus, donec recordaremur Sion.

:

Tous les malheureux que l'orateur proscrit
invitaient au courage déploraient, sans fai-
blesse, une mort à laquelle eux-mêmes étaient
préparés, tandis
que les soldats et les nègres,
témoins de cette scène lamentable, éclataient
en sanglots.

«

Bientôt Tronçon-Ducoudray expira luimême; ses amis s'étaient rassemblés autour de son lit de mort; il pressait chacun d'eux de ses mains mourantes; il les invitait à fuir. « Pour moi, disait-il, j'expire sans regret, << après avoir rempli tout le devoir d'un défen<< seur de l'ordre et d'un ami de la patrie. Il y a long-temps que j'ai fait connaissance avec << tout ce que le malheur peut avoir de plus af«< freux, avec toutes les consolations qu'il peut << recevoir d'en-haut. J'ai vu la reine à la Conciergerie. » Ainsi, la pensée secrète d'avoir défendu avec courage, quoique inutilement, cette reine martyre comme son époux, adou-cissait, pour Tronçon-Ducoudray, l'horreur d'une mort subie au milieu du désert.

((

Cependant l'amitié et ce sentiment d'admiration qu'inspire au loin un grand homme dans le malheur, veillaient sur le sort de Pichegru. On cherchait, pour lui ainsi que pour ses amis, un libérateur parmi les capitaines de

1797.

1797. bâtimens des États-Unis. Une somme considérable avait été déposée pour fournir les moyens de leur délivrance. Le capitaine Tilly, homme adroit et intrépide, se chargea de cette entreprise. Il se rendit à Cayenne, et de là parvint à entretenir une correspondance secrète avec Pichegru et la plupart des autres déportés. Quelques uns refusèrent, par différens motifs, le moyen de salut qui leur était offert; et parmi ceux-ci était M. Barbé-Marbois, dont l'âme stoïque paraissait prendre plai sir à braver un malheur extrême. Pichegru prit pour compagnons de sa fuite, son fidèle ami le général Willot, les députés Aubry, Larue, le directeur Barthélemy, le général Ramel et Dossonville. Leur huitième compagnon fut un domestique de M. Barthélemy, nommé Letellier, déporté volontaire, qui avait voulu partager le déplorable sort de son

maître.

Cependant quelque inquiétude commençait à régner parmi leurs sévères gardiens. Ils furent resserrés dans le fort; le capitaine Tilly avait envoyé une pirogue pour les attendre sur le rivage; mais ce rivage, comment le regagner à travers un pays où pas un chemin n'était encore tracé? Ils parvinrent

à s'échapper du fort de Sinnamari, à l'aide 1797. de subterfuges qu'ils avaient combinés depuis long-temps, et dont un peu d'or sans doute favorisait le succès. Ils avaient à franchir une épaisse forêt embarrassée de lianes; le travail d'écarter d'innombrables broussailles et le poids d'un jour brûlant les accablaient. Une bouteille de rhum, que le fidèle Letellier avait emportée pour son maître, servit à ranimer leurs forces; enfin ils ont franchi le rivage, ils découvrent la mer et la pirogue du salut. Leur navigation fut extrêmement pénible; rien ne les défendait de l'ardeur du soleil; ils arrivèrent enfin dans la colonie de Surinam. Le vainqueur de la Hollande fut accueilli avec intérêt, et secouru avec empressement par des colons hollandais, qui savaient combien son humanité et sa justice avaient modéré, pour leur métropole, les droits de la guerre et de la conquête on fréta un bâtiment pour conduire les fugitifs en Angleterre; il ne fut donné qu'à six d'entre eux d'y arriver. Deux avaient péri dans la traversée, l'un était le député Aubry et l'autre Letellier, cet intrépide compagnon du malheur de son maître; l'Angleterre honora Pichegru et ses amis, et le

1797. comte d'Artois leur sut autant de gré de leurs efforts, que si la fortune les avait secondés. Pichegru jura en son cœur de se dévouer encore une fois pour rétablir les Bourbons sur le trône de leurs pères.

Mais la mort frappait toujours sur les misérables cabanes de Sinnamari. La Villeurnois qui, dans cet affreux désert ainsi que devant ses juges, avait gardé une constance inébranlable, succomba, ainsi que l'abbé Brottier, sous un air pestilentiel. Ces deux royalistes, trop imprudemment zélés, avaient, pour voisins de leur hutte, deux Conventionnels régicides, Bourdon de l'Oise et Rovère. L'un et l'autre furent aussi victimes du climat. On attribuait l'heureux changement qui s'était opéré dans l'âme de Rovère à sa femme, qui, jeune et jolie, avait contribué avec madame Tallien, aux heureuses suites de la journée du 9 thermidor. On l'avait empêchée de suivre son mari dans un exil mortel, mais elle ne voulut point renoncer à une résolution généreuse; elle sollicita, auprès des Directeurs, une permission qui la dévouait aux plus affreux dangers; elle l'obtint enfin, mais trop tard. En arrivant à Cayenne, elle eut la douleur d'apprendre que son mari n'était plus. Le

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