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duire le lecteur sur les funestes bords du Sinnamari.

Lorsque Pichegru entra dans la prison du Temple, l'infâme délateur de ces illustres victimes, Duverne-du-Presle, fit éclater une joie atroce. Au moins ils furent affranchis du supplice d'avoir un tel compagnon de leur triste voyage. On juge bien On juge bien que le traître dont le témoignage avait été si utile aux magistrats proscripteurs, quoique condamné à la déportation, ne subit point cette peine; on favorisa son évasion, et sans doute il reçut son salaire. On ne sait en quel lieu il alla cacher sa honte. Quelques uns des députés qui avaient été arrêtés dans la salle des inspecteurs, et qui n'étaient point compris dans la liste de déportation, furent mis en liberté. On fit de sévères recherches pour s'assurer de tous ceux qui avaient été condamnés à cette peine. La plupart trouvèrent des hôtes généreux qui, en leur offrant une retraite, s'associèrent à leurs dangers, ou des guides fidèles qui les conduisirent hors de leur patrie. Il fallut reprendre le chemin de l'exil; plusieurs revirent les mêmes lieux qui leur avaient servi de refuge pendant le régime de la terreur. Portalis, aveugle, fut confié aux

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Directoire contre ses victimes. Mais suivons ceux qui furent les plus malheureux entre les députés fructidorisés. (Qu'on me pardonne de m'être servi de ce mot, il devint d'une acception familière; peu de temps après, une autre journée qui chassa du Directoire les auteurs du 18 fructidor, fit naître le mot de prairialisé. Si la révolution eût encore prolongé son cours, chacun des mois du nouveau calendrier eût été désigné par une proscription.)

Pichegru armait de son courage les nouveaux amis que lui donnait le malheur. On ne leur laissa passer qu'un jour dans la prison du Temple. Privés de toute communication au-dehors, ils ne purent se préparer aucune ressource pour un long voyage et pour un horrible séjour sous la zone torride. Comme on les conduisait à Rochefort, de brigade en brigade, ils se virent arrêtés d'une manière qui leur causa un profond attendrissement. C'était un messager qui avait obtenu de leur parler, et qui leur apportait une somme d'argent offerte par la veuve de l'un des savans les plus distingués du dix-huitième siècle, et de l'une des victimes les plus regrettées de la révolution. J'ai ouï dire que cette somme se mon

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tait à quatre-vingt mille francs. Plusieurs
recurent à Rochefort les dons de l'amitié
ou ceux de leur famille. Pendant la route,
ils avaient été livrés à des persécutions de
tous genres; ils n'avaient, pour tout gîte,
que
des prisons empestées, où ils étaient re-
çus par des malfaiteurs. La traversée sur mer
surpassa encore les dégoûts du voyage à Ro-
chefort. Jetés dans l'entre- pont d'une cor-
vette, ils pouvaient à peine respirer. La plu-
part, exténués de fatigue, et chez qui la
maladie avait usé les forces même de l'espé-
rance, saluèrent dans la Guiane leur tom-
beau.

On ne leur accorda que quelques jours de repos, dans l'île et dans la ville de Cayenne. Plusieurs durent la vie aux soins qu'ils recurent dans l'hôpital de cette ville. C'étaient des sœurs grises qui les leur prodiguaient. Ces voyageuses de la charité avaient accueilli, deux ans auparavant, dans ce même hôpital, l'effroyable Collot-d'Herbois, et ce Billaud-Varennes chez qui le crime avait peut-être encore plus de profondeur. Le premier avait déjà succombé sous ses excès. J'ai dit ailleurs quelles étaient les occupations de l'autre, dans sa farouche solitude. Pichegru était donc condam

né à partager le sort, et peut-être à devenir le voisin d'un homme que lui-même avait fait conduire sur ces plages, pour venger l'humanité et faire respirer sa patrie. Les proscrits apprenaient à Cayenne la fin déplorable des colons qui les avaient précédés dans ce brûlant séjour. A peine pouvait-on leur montrer quelques vieillards qui avaient survécu à une nombreuse population, qu'en 1765, le duc de Choiseul, trompé par des rapports et des agens infidèles, avait envoyée pour ranimer une colonie languissante.

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Bientôt il faut partir pour l'intérieur de la Guiane, pour l'affreux Sinnamari, et la place qui leur est réservée est celle où des milliers d'hommes ont été engloutis en quelques mois. « Voilà des bêches et des râteaux, dit-on aux déportés; que vos travaux donnent à ces << lieux la salubrité qui leur manque encore. » Quelques nègres, payés par ce qui leur reste d'or, les aident dans leurs besoins et leurs travaux ; il faut construire avec eux des huttes ou se faire des hamacs. Même à ces horribles conditions, ils ne jouissent point encore de la liberté leurs habitations sont dominées par un fort où veillent des soldats qu'on a dévoués à la contagion du climat, pour pré

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