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1796.

brillant et sage jurisconsulte. Il touchait à la vieillesse lorsqu'il fut appelé au Conseil des Anciens. Tous les préjugés révolutionnaires s'élevaient contre une assemblée où les auteurs de la Constitution de 1795 avaient déposé timidement un germé aristocratique. L'arme si dangereuse et si décriée du véto était confiée au Conseil des Anciens. Par un singulier renversement des idées démagogiques, le petit nombre, c'est-à-dire deux cent cinquante hommes, qui avaient pour tout privilége d'avoir au moins quarante ans accomplis, et d'être ou d'avoir été mariés, pouvait casser les résolutions du grand nombre, c'est-à-dire du Conseil des Cinq-Cents. Quelques années plus tôt le peuple eût lapidé le premier orateur qui aurait proposé de faire usage d'un tel droit. Portalis l'invoqua pour presque chacune des résolutions de l'autre Conseil, et parvint à en faire rejeter quelques unes. Il se faisait écouter avec plaisir, et avec une attention respectueuse, de ceux mêmes qu'il combattait. On goûtait auprès de lui le charme continu d'une improvisation correcte, ingénieuse, et qui, bien qu'assez abondante, n'offrait jamais rien de stérile pour la pensée. Sa prodigieuse mémoire ornait tous les autres dons

de son esprit. Avait-il entendu une seule fois le 1796. texte d'une loi longue, compliquée, aride, il pouvait en répéter plusieurs articles sans la plus légère altération. Mais il était sans aptitude comme sans prétention pour le rôle de chef de parti. Monarchique par sentiment et par méditation, il n'aurait pas fait les frais d'une révolution nouvelle pour rétablir la monarchie. Quoiqu'on soit assez porté à contester la bonhomie aux hommes dont l'esprit est doué d'une grande finesse, chez lui ces deux qualités s'alliaient fort bien. Son caractère tournait à l'incurie, chaque fois qu'il n'était pas sollicité par un profond sentiment de justice. Quand il s'agissait d'agir, son esprit, à force de prévoyance, restait souvent incertain.

M. Barbé-Marbois, qui sous la monarchie avait rempli de hautes fonctions administratives, portait à la tribune la dignité rigide du magistrat, et tout indiquait qu'il y portait aussi les vœux secrets d'un royaliste. Une figure noble, un maintien austère, une élocution précise et ferme, des connaissances variées et positives, agrandies par les idées de morale qui éclairent si bien l'administration, le faisaient marcher sur la même ligne que l'éloquent Portalis. On prononçait tou

1796. jours ces deux noms ensemble : c'étaient deux amis qui se servaient de supplément l'un à l'autre. M. Barbé-Marbois combattait l'iniquité dans toutes les lois du jour, mais particulièrement dans les finances, où la révolution l'avait si cruellement multipliée. Entouré d'hommes qui rappelaient de fàcheux souvenirs, il ne cédait point à la haine, mais il cachait mal son mépris. L'ordre sévère était son élément.

Tronçon - Ducoudray montrait une éloquence plus passionnée, plus avide d'ornemens, il brillait surtout dans les répliques, et lorsqu'il n'avait pas le temps d'embellir ses discussions. J'ai parlé de son courage et de son dévoûment dans le procès de la reine. C'était par un effort de caractère et par l'impulsion d'une âme honnête qu'il tenait au parti modéré; car il avait un excès de chaleur et un éclat d'imagination qui eussent fait la fortune d'un tribun du peuple.

MM. Mathieu Dumas, Lafond-Ladebat et Muraire recommençaient au Conseil des Anciens la carrière honorable qu'ils avaient suivie dans l'Assemblée législative. Tous trois s'y étaient montrés les adversaires constans de la révolution nouvelle que consomma la catastrophe du 10 août. M. Dumas, quoi

que avide de faire briller des talens militaires 1796. qu'il avait annoncés dans la guerre d'Amérique, s'éloignait avec regret, mais fidèlement, des hommes qui dispensaient alors les grands emplois; il n'aimait pas la République, et il en augurait mal, mais il avait plus de liaisons avec MM. de Lafayette et de Lameth qu'avec des royalistes prononcés. MM. Dupont de Nemours et Lebrun, tous deux membres de l'Assemblée Constituante, suivaient à peu près la même ligne. Le premier, par la vivacité de son esprit et la candeur de son caractère, semblait doué du don d'une jeunesse perpétuelle. Élève et ami de M. Turgot, il se regardait toujours comme sous la tutelle de ce grand maître. Turgot lui avait prédit (et c'était Dupont lui-même qui le rappelait) qu'il ne serait toute sa vie qu'un jeune homme d'une brillante espérance. Aimable, enjoué, éminemment courageux, plein d'honneur, né pour le travail, susceptible de beaucoup d'illusions et sur les hommes et sur les événemens, enclin à l'esprit systématique, il croyait toujours marcher vers un âge d'or que la raison enfanterait; mais l'injustice et le crime le rendaient bouillant d'indignation. Il paya

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sans doute tribut à l'erreur; mais je n'ai pas connu d'homme plus porté à sacrifier soit au bien public, soit à l'amitié, les intérêts de sa fortune et ceux même de sa gloire. *

M. Lebrun était connu dans le monde littéraire par deux traductions, l'une de la Jérusalem délivrée, dont le style offrait un heureux mélange de verve et de goût; l'autre de l'Iliade, écrite dans une prose brillante mais trop ambitieuse. Dans sa jeunesse il avait été attaché au fameux chancelier Maupeou, et c'était lui qui avait rédigé les élégans préambules des édits despotiques qui renversaient l'ancienne magistrature. Un tel début semblait le préparer peu aux principes de l'Assemblée Constituante; il les approuva cependant, quoique avec un peu de réserve. Un organe sourd et voilé laissait sans effet à la tribune ses discours les plus habilement travaillés ; d'ailleurs, ami d'une précision lumineuse, il recourait trop souvent à un style coupé qui nuit à la franchise et à l'abandon des mouvemens oratoires. Son

* J'ai tracé ce portrait avec plaisir, et peut-être avec trop de détails, mais j'ai cru tracer en même temps celui d'un frère que j'ai perdu.

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