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nage des postes, et il fut employé avec aussi peu d'utilité pour l'état que d'honneur pour lui

même.

Le duc de Noailles, en dirigeant les finances, était de fait un premier ministre, et l'on pouvait également tout craindre ou tout espérer de ce choix hasardeux. L'ambition avait toujours été dans ce courtisan le double besoin d'une ame avide et d'un esprit inquiet. Il devait des connaissances très-variées à son extrême application, et il avait tenu la plume dans les bureaux du con⚫trôleur général Desmarets, comme le czár avait manié la hache dans les chantiers de Sardam. Son élocution était facile, séduisante et pleine de ces saillies qui, dans les hommes d'un rang élevé, passent aisément pour de la profondeur. Il soutenait avec un rare talent des idées qu'il abandonnait un instant après, tant sa tête était mobile, sans arrêt, sans justesse, et refaisant toujours ce qu'elle n'achevait jamais. Les projets les plus extraordinaires, tels que celui de faire de Paris une place forte, d'expulser lés jésuites, de transporter par lambeaux Versailles à Saint-Germain, l'avaient sérieusement occupé. La gloire des bons citoyens le touchait, et quoiqu'il s'aimât lui-même bien plus que la patrie, il préférait la patrie à tout le reste. Un peu de folie dans son talent, un peu de vertu dans son égoïsme, ajoutaient aux variations

de ce Protée que la cour avait vu changer successivement de parti, de goûts, de mœurs, et qui probablement aussi eût changé d'amnis s'il en avait eu. Dans la suite, le temps épura son caractère sans corriger tous les défauts de son esprit. Le duc de Noailles trouva, dans une vieillesse utile et considérée, un port où se reposent rarement des ambitieux aussi inquiets,

Torcy avait été immolé au maréchal d'Uxelles. Noailles eut aussi sa victime. Ce fut Desmarets son maître, à qui un ministère rigoureux avait suscité beaucoup d'ennemis. Renvoyé avec menaces, le neveu du grand Colbert ne refusa pas le combat, et publia ce compte si fameux dans l'histoire de nos finances. C'est un modèle de clarté, de précision, de simplicité, sans plainte, sans ornemens, sans justification. Un genre de défense si ferme et si fier lui fit le plus grand honneur. On pardonna les duretés et l'on admira les ressources de l'homme qui pendant huit ans avait soutenu seul toutes les ruines de la France. Noailles eut plus de peur que de remords, et l'on se hâta de laisser en repos, sans le poursuivre et sans l'employer, un athlète si vigoureux.

Après la mort du chancelier Voisin, son successeur D'Aguesseau se réunit à Noailles et à d'Uxelles, et forma ainsi le premier triumvirat de la régence. L'élévation de ce grand magistrat pa

rut un affront à la cour de Rome et un hommage à la vertu. Le même jugement pouvait être porté sur les soins qu'on prit alors de la gloire de Fénelon. Quelques fraginens de Télémaque, dérobés à l'auteur, et furtivement imprimés, avaient disparu devant la colère de Louis XIV; le Régent fit lui-même donner la première édition de ce livre immortel (1), et du moins l'on ne reprochera pas à ce prince d'avoir voulu, au milieu de ses égaremens, anéantir les maximes qui le condamnaient.

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CHAPITRE III.

Refonte des monnaies. - Visa.-Chambre de
Première banque de Law. -D'Argenson.

LES chevaliers français introduits dans le sanctuaire de l'administration y apportèrent leurs mœurs et leur caractère. L'amour du bruit et de la gloire ne put s'accommoder des formes sévères et mystérieuses consacrées par les règnes précédens. L'usage des beaux préambules commença

(1)« On imprime le Télémaque,» écrivait madame de Caylus à madame de Maintenon, « et l'on s'en promet l'âge d'or. »

donc à cette époque, et chaque loi fut un thême où le législateur se montra plus jaloux d'être admiré que d'être obéi. Un arrêt du conseil invita même tous les citoyens à communiquer leurs idées sur l'amélioration des affaires publiques, et un bureau de rêveries fut légalement établi au sein du gouvernement (1). On douta cependant si c'était la modestie qui demandait des conseils ou la vanité qui tâchait d'échauffer les esprits et d'attirer les regards.

Nulle entreprise n'avait plus droit de plaire au conseil des finances que le projet de substituer une imposition proportionnelle à la taille arbitraire qui désolait les campagnes. Renaut, officier général, l'avait formé sur quelques idées du maréchal de Vauban. Cet homme, qui dans le corps d'un nain cachait l'ame la plus opiniâtre qui ait jamais existé, fit goûter ses vues au duc de Noailles. Des comtes, des marquis, transformés en financiers, furent envoyés dans les provinces pour fonder le nouveau système. La ville de Lisieux les accueillit avec des feux de joie; mais les paysans du Poitou menacèrent de les assommer. L'impatience et la présomption détruisirent ce plan vraiment utile. Un million de dépenses fut perdu. Renaut mourut de fatigue et de chagrin

(1) Arrêt du 25 avril 1716.

au milieu des désastres de sa croisade, et les vieux abus sortirent plus affermis que jamais d'une attaque mal concertée.

D'autres desseins eurent une issue différente. La compagnie de Guinée fut abolie et le commerce d'Afrique rendu libre (1). Peut-être était-il odieux d'abandonner à l'émulation de la cupidité un trafic dont la vente des hommes fait la base. Mais cette mesure fut absoute par le succès autant que le succès peut absoudre. Ce commerce, si languissant sous le monopole, fut quinze fois doublé par des mains libres, et, couvrant nos îles d'un peuple d'esclaves, commença la période si fatale et si brillante de notre prospérité coloniale. Les manufacturiers applaudirent aussi à la prohibition des étoffes et des tissus de l'Inde, poussée avec la vivacité d'une exécution militaire (2). Ni les palais des princes, ni les foyers domestiques ne furent un asile respecté. La torche du bourreau consuma les marchandises, les meubles, et jusqu'aux vêtemens saisis. Je ne rappelle cette espèce de guerre civile entre les fabricans avides et les consommateurs capricieux, à l'occasion de quelques pièces de toile étrangère, que comme une bizarrerie de cette régence où toutes les for

(1) Lettres patentes de janvier 1716.

(2) Arrêts du conseil du 20 janvier et du 22 février 1716.

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