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Il y a environ huit ans (1) que je fus invité par le gouvernement de l'empereur à écrire l'histoire de France sous le règne de ses deux derniers rois. Je demandai les moyens de connaître la vérité et la liberté de la dire : on m'accorda les uns et l'on me promit l'autre. Plusieurs personnes, informées de l'entreprise dont j'étais chargé, s'empressèrent de me communiquer, soit des mémoires inédits, soit une foule de pièces officielles conservées dans leurs familles. La richesse et la nouveauté de ces matériaux ont soutenu mon courage contre l'immensité du travail que m'a coûté leur étude. J'ai dû m'applaudir de ma constance lorsque j'ai appris que six cents volumes de documens originaux que j'achevais à peine de compulser avaient passé entre les mains des puissances dont Paris a reçu les armées à la fin du mois de mars 1814; en sorte qu'aujourd'hui il est probablement plusieurs circonstances historiques pour lesquelles je puis seul, en France, faire autorité.

(1) C'est en 1816 que Lemontey écrivait cette préface; l'invitation dont il parle ici est de 1808. (Note de l'Éditeur.)

Ces deux volumes sont le premier fruit de mes veilles. Ils embrassent une époque singulière où la France fut gouvernée par les chefs des deux branches collatérales de la maison régnante, et ils forment, sous ce point de vue, un ouvrage distinct et complet. Cette période de dix années se fait remarquer par une prodigieuse variété d'événemens et par un jeu de passions qui intéresse sans relâche l'observateur. Jusqu'à présent elle a été peu connue; et parce qu'on la jugeait légèrement, on la croyait d'une légère importance. La nécessité d'une révision paraîtra peu douteuse si l'on considère à quelles sources il a fallu, jusqu'à ce jour, puiser la certitude historique sur cette portion de nos annales.

Le duc de Saint-Simon est le Procope de la régence. Le public ne connaît que la moindre partie de ses Mémoires. L'extrait qu'on lui en a donné est fait sans discernement, sans liaison, sans aucune vue historique (1). Les manuscrits de ce duc sont considérables. Ses Mémoires forment douze volumes in-folio d'un caractère serré et d'une lecture pénible. L'abbé de Voisenon en tira, pour l'amusement de Louis XV, des morceaux piquans et scandaleux, dont il composa trois volumes in-4°, qui sont restés inédits. Le duc de Saint

(1) Les Mémoires complets ont été publiés depuis que cette Préface a été écrite. (Note de l'Éditeur.)

Simon s'était procuré le Journal du marquis de Dangeau. Il le fit copier par articles séparés, et y ajouta de sa main un énorme commentaire qu'on peut regarder comme une nouvelle version de ses propres Mémoires. Ce travail remplit trente-trois gros volumes in-folio. Il faut y joindre une correspondance immense et variée, et de nombreux traités de politique et d'érudition sur diverses matières. La collection de cet écrivain infatigable s'élève à près de cent volumes.

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On ne saurait exploiter cette mine sans de des précautions. Les Mémoires de M. de SaintSimon se terminent à la mort du Régent, et ne parlent que par forme d'épisode du ministère de M. le duc de Bourbon. Mais l'auteur les composa dans sa vieillesse long-temps après les événemens ; aussi lui arrive-t-il fréquemment d'oublier les dates, de confondre les faits, de se méprendre sur les personnes. La trempe de son esprit le rendait peu propre aux grandes affaires, et l'on voit que, même sous la régence, où il joua un rôle important, il ne connut que très-superficiellement le système de Law et le complot du prince Cellamare. J'ai d'ailleurs la preuve que plus d'une fois le duc d'Orléans prit plaisir à le tromper par de fausses confidences. Mais ce qui l'égare le plus souvent, ce sont ses passions, son fanatisme ducal, ses haines, ses jalousies. Il accueille et am

plifie, sur parole, des sarcasmes sans vérité, des bruits fabuleux, de méprisables calomnies. Par exemple, il se condamne à entasser cent absurdités pour prêter quelque vraisemblance à un mariage imaginaire du cardinal Dubois. Quand, aigri par la solitude, il compose son fiel, tout lui semble bon, pourvu que ce soit méchant, étrange ou scandaleux. Sa correspondance, qui dura toute sa vie, offre à l'historien un aliment plus pur et plus substantiel; quelquefois elle explique ou rectifie les injustices de ses Mémoires. Au lieu de réminiscences équivoques, on y entend, pour ainsi dire en présence des faits, le langage de l'homme vrai et du citoyen courageux. Cependant je ne conseillerais de s'abandonner entièrement à la foi de M. de Saint-Simon que sur les affaires où il a été personnellement acteur désintéressé, et lorsque son récit est confirmé par des témoignages moins suspects que le sien.

Le maréchal de Villars eut le projet de laisser des Mémoires. Quelque temps après sa mort, trois volumes, sous ce titre, parurent en Hollande. Un tiers seulement provenait d'une copie dérobée des papiers du maréchal, le reste était une compilation de gazettes. Ce ne fut qu'en 1769 que le duc de Villars, indolent héritier de ce grand capitaine, remit au marquis de Castries les manuscrits de son père, et le pria de les examiner. Le marquis

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