Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

avare et fier, aussi blessé des pertes qu'il essuie qu'humilié des ruses qu'il n'a pas prévues. L'aspect de la Hollande fut tout contraire. Honteux d'un moment de faiblesse, ses sages commerçans s'empressèrent d'en assoupir le scandale et d'en effacer les vestiges par le travail et l'économie, comme on voit une république de fourmis réparer sans bruit et sans relâche son habitation qu'un accident a bouleversée. La physionomie de la France eut des traits particuliers. Le luxe et les plaisirs, nés du système, ornèrent sa décadence et survécurent à sa chute. Il y eut du bruit et point d'action, de l'embarras pour plusieurs et nul danger pour l'état. Les chansonniers établis sur le Pont-Neuf ne cessèrent pas un jour d'exercer leur justice distributive contre chaque espèce de dupes ou de fripons que la crise des finances mettait en spectacle. Le Français parut être un jeune dissipateur qui sort ruiné d'une maison de jeu en exhalant une colère équivoque où l'on entrevoit moins la douleur de sa perte que le regret de ne plus jouer et la vague espérance de recommencer un jour. Aussi la vie d'un homme ne se passa pas sans le retour d'un papier-monnaie, et quelques vieillards ont touché aux deux catastrophes (1).

(1) On m'a cité un conseiller du parlement de Toulouse qui a été remboursé en assignats de sa charge qu'il avait achetée en billets de banque. Forbonnais, écrivant sur le système en 1758, a fait cette

Les effets immédiats du système n'ont pu nous être transmis avec assez de fidélité. En quittant cette grande partie, les joueurs heureux eurent trop d'intérêt à dissimuler leur profit, et les malheureux à exagérer leur perte; les appréciateurs de cette crise compliquée furent exposés à confondre la violence du remède avec celle du mal, et ce qui n'était que déplacé avec ce qui était détruit. On n'en saurait douter, s'il est vrai qu'à la refonte il se trouva plus d'or dans la seule généralité de Paris que dans toute la Grande-Bretagne. Mais d'autres effets plus éloignés et plus sûrs sortirent de cette première source. Car il ne s'agissait pas de ces secousses extérieures qui se bornent à changer le titulaire d'un trône ou la ligne d'une frontière, mais d'une crise profonde qui pénétra jusqu'aux entrailles de la nation. Les provinces centrales, où la civilisation était plus retardée, en éprouvèrent surtout un ébranlement salutaire. Ces pays pauvres et indolens, où l'on avait vu le commerce et l'argent presque ignorés, les fruits de la terre sans valeur et la perception des impôts aussi pénible qu'improductive, s'animèrent d'une vie nouvelle, et entrèrent dans la rotation commune. L'irrésistible activité du système y rompit

prédiction: « Vraisemblablement un demi-siècle ne se passera pas « encore sans quelque grand événement de ce genre. » Recherches sur les finances, in-4o tom. II, p. 425.

ment que

l'antique torpeur, et la population inerte, remuée par des besoins, des plaisirs, de l'émulation et de l'industrie, n'a plus voulu rétrograder. Cette époque n'est point si éloignée que je n'aie pu en recueillir les souvenirs par la bouche de vieillards, habitans des contrées montagneuses qui s'élèvent entre le Rhône et l'Océan. Sous le rapport de la richesse, du prix des denrées, de la somme des contributions, de la vie sociale, et de l'importance politique, la renaissance de ce vaste territoire date du cataclysme de Law, et sa civilisation progressive depuis 1720 en est un meilleur monu les billets de banque qu'on y conserve encore dans quelques chaumières. Outre cette métamorphose, pour ainsi dire, économique et matérielle de la face du pays, dans une portion considérable de la France, je me réserve de montrer dans la suite l'influence du système sur la morale publique, sur la distribution des richesses, sur la situation respective des classes de l'État. Qu'il me suffise d'observer à présent que, si ce fut une égale leçon pour le gouvernement et pour le peuple, ils en tirèrent chacun des fruits bien contraires. Le peuple y puisa la banque, le commerce, l'industrie, la soif de jouir, la hardiesse à entreprendre. Le gouvernement en retint la défiance de tout système, la haine du mieux, la soumission aux traitans, l'indifférence à l'opinion

publique. L'histoire doit signaler cette époque comme un point de partage mémorable d'où les Français s'avançant toujours en lumières et en fortune, et leurs chefs rétrogradant sans cesse avec leurs préventions et leur timidité, les uns et les autres préparèrent à l'envi un affreux déchi

rement.

CHAPITRE XI.

De la Peste de Marseille et de la Provence, pendant les années 1720 et 1721.

Ce fut au moment où chancelait l'édifice du système, qu'un autre fléau non moins extraordinaire en pressa la ruine. Marseille sortait du sein des fêtes qui avaient signalé le passage de mademoiselle de Valois, mariée au prince de Modène. Le chevalier d'Orléans, né des amours du Régent et grand-prieur de Malte, revenait de Gênes où il avait conduit sa sœur. A côté de ses galères, encore décorées de guirlandes et chargées de musiciens, flottaient quelques vaisseaux apportant des ports de la Syrie la plus terrible calamité : on croit

communément que la peste était dans l'un de ces navires, commandé par le capitaine Chataud, parti de Seyde le 31 janvier 1720, avec patente nette, et arrivé le 25 mai à la vue du château d'If, après avoir touché à Tripoli, Chypre et Livourne, et perdu six hommes dans les quatre mois de sa traversée. La désinfection de ses marchandises causa dans les infirmeries la mort de quelques employés, sur qui les gens de l'art ne reconnurent aucun signe pestilentiel. Cependant les intendans de la santé ordonnèrent, pour le bâtiment et sa cargaison, une quarantaine de rigueur (1), et n'ac

(1) L'un et l'autre furent bientôt renvoyés à l'île déserte du Jarre, et ensuite brûlés par ordre de la cour. Voici, relativement à l'arrivée de ce vaisseau, une anecdote qui est consignée avec tous ses détails dans les archives de la ville de Cagliari. On raconte que vers ce temps-là, M. de Saint-Rémis, vice-roi de Sardaigne, fit un rêve pénible, où il lui sembla que la peste s'était introduite dans son gouvernement, et y faisait un affreux ravage. Précisément à son réveil, on lui annonça qu'un bâtiment de commerce sollicitait l'entrée du port, et il refusa sans hésiter. On revint à la charge en demandant qu'au moins le navire fût reçu dans le lazaret; mais le vice-roi, encore tout ému des angoisses de sa nuit s'y opposa avec véhémence, et menaça de faire tirer sur le navire s'il ne s'éloignait à l'instant. Toute la ville de Cagliari taxa ce procédé de caprice et de folie. Mais l'étonnement fut grand, quand on apprit que le bâtiment ainsi repoussé était celui du capitaine Chataud, qui avait ensuite porté la peste à Marseille. La singularité de ce fait et les pressentimens du vice-roi parurent assez remarquables pour qu'on les consignât dans les registres de la ville, où chacun peut encore en lire le récit.

[ocr errors]
« ZurückWeiter »