Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

ment de sa mort. Mais ayant lui-même devancé de quelques jours le monarque dans la tombe, il n'eut pas les sceaux qui lui avaient été promis, et le spectacle d'un fou aussi impétueux décoré de la simarre du chef de la justice manqua aux singularités de ce siècle.

Les courtisans les plus déliés sentirent bientôt les mouvemens du duc d'Orléans. Ceux que l'affection du roi avait accoutumés aux faveurs furent saisis d'une si vive crainte de ne pas les conserver sous un nouveau règne, qu'ils n'hésitèrent pas à tromper leur bienfaiteur. L'avidité du duc de Noailles le poussa le premier à cette défection. Il voulait être principal ministre; on lui promit les finances, et il accepta provisoirement. Le duc de Guiche, son beau-frère, moins fier dans son ambition, vendit pour cinq cent mille francs sa foi et son régiment des gardes françaises; Reynolds y joignit les gardes suisses; le maréchal de Villars se livra pour la présidence du conseil de guerre. Plusieurs marchés de ce genre furent conclus directement ou par l'entremise des roués. Personne n'ignore que cette effroyable injure est le nom que le duc d'Orléans donna par plaisanterie à ses amis, que les plus aimables seigneurs acceptèrent avec orgueil, et que l'opinion publique leur attacha comme un jugement. Enfin, à cet encan, où se partageaient les dépouilles d'un

roi vivant, parurent deux hommes qu'on n'y attendait pas, deux favoris sans mérite, chargés des bienfaits de Louis XIV, et honorés de sa plus tendre confiance. Ce furent le maréchal de Villeroi et le chancelier Voisins, qui dévoilèrent le secret du testament, et stipulèrent leurs intérêts. Soit pour s'étourdir lui-même, soit par un effet de sa légèreté naturelle, Villeroi conduisit cette bassesse avec une arrogance et une présomption qui imposèrent au duc d'Orléans; en sorte que ce prince, quelque bien affermi qu'il fût dans son mépris pour tous les hommes, le laissa dicter la loi, et reçut avec l'humilité d'un protégé la fastueuse trahison du maréchal.

Philippe savait aussi gagner par d'adroites insinuations ceux qu'il n'avait pas achetés. Ainsi aux princes du sang il promettait l'abaissement des légitimés, aux ducs et pairs la victoire dans leurs débats d'étiquette avec le parlement, au parlement le droit de remontrance, et le maniement des affaires ecclésiastiques, aux grands seigneurs l'établissement aristocratique de plusieurs conseils, où les gens de qualité remplaceraient tous ces hommes de robe et de plume à qui la jalousie de Louis XIV avait prostitué les emplois du gouvernement. Chose étrange! la mauvaise réputation du séducteur augmentait ses moyens de séduire. Tous ceux à qui l'imprudente cabale de

madame de Maintenon avait dépeint le duc d'Orléans comme le meurtrier des princes, n'en étaient que plus ardens à s'attacher à lui (1). Soit respect pour une ambition aussi déterminée, soit espoir de récompense pour des services qu'on a rarement occasion de rendre, ils chérissaient dans la certitude de ses crimes passés le gage d'un dernier crime, et se hâtaient de faire un régent qui saurait bien se faire roi.

La facilité avec laquelle ces diverses intrigues. démontèrent pièce à pièce la cour de Louis XIV, et enlevèrent à ses bras mourans ses plus chers serviteurs, annonce le peu de confiance qu'inspiraient les princes légitimés, les seuls qui, durant la jeunesse du duc de Bourbon et du prince de Conti, auraient pu balancer la fortune du duc d'Orléans. En effet, ils dormaient avec sécurité sur les mines creusées par leur rival. Leur caractère et leur éducation expliquent ce prodige d'apathie ou d'incapacité. Les deux fils naturels de Louis XIV, élevés par une femme, dressés pour amuser un vieillard, étaient restés dans l'âge mûr des enfans du sérail. Le duc du Maine surtout n'avait résisté à aucun des vices de cette destination servile; comblé de dignités, il n'avait su mériter aucun respect; tout-puissant par son crédit, il n'avait obligé personne; enfin, il était affligé d'une ma(1) Mémoires du marquis de Lassay.

ladie mortelle en France, même pour les vertus, il était sans courage. Son frère, le comte de Toulouse, n'avait puisé dans la même école qu'un goût invincible pour la vie commune et presque matérielle. Bon et sincère, sans vices et sans tálens, il n'aspirait qu'à un bonheur obscur sur la route duquel on ne rencontre pas d'émules, et n'exigeait qu'une bienveillance oisive qu'aucun parti n'était tenté de lui refuser. Ainsi Philippe pouvait prévoir que pour lui disputer quelque chose dans la carrière où il entrait le duc du Maine manquerait toujours d'audace et son frère toujours de volonté.

Cette connaissance parfaite de ses ennemis lui apprit à se passer d'auxiliaires. En vain, Georges I lui fit alors offrir tous les secours d'argent, de vaisseaux et de soldats allemands qui lui seraient nécessaires pour conquérir la régence (1); il en accueillit la proposition avec une froideur qui ne laissa pas au comte de Stairs le courage de la renouveler. Ce ministre de Londres à Paris était un Ecossais souple et insolent, à qui son maître avait donné le périlleux emploi de venir en France intimider Louis XIV (2), et qui compo

(1) Lettres de l'abbé Dubois; récit de sa seconde entrevue à La Haye avec lord Stanhope, au mois de juillet 1716.

[ocr errors]

(2) Depuis que mylord Stairs est à Paris, nous sommes rare<<ment sortis de nos conférences bien ensemble.... Les particulari

sant sa politique de beaucoup d'esprit et de débauche, s'était facilement, avec de pareils titres, introduit au Palais-Royal. Il ne pardonna pas à un prince français d'avoir refusé la guerre civile, et son ressentiment se cacha mal sous le masque d'une affection outrée. Dès ce moment Philippe, le plus pénétrant des hommes, ne cessa de se défier de sa secrète malveillance (1).

Cependant le dépérissement que depuis une année on avait remarqué dans la personne du roi, se précipite avec des symptômes effrayans (2). Les courtisans, debout jour et nuit, pâles et souriant, errent avec inquiétude entre le maître qu'ils craignent encore et celui en qui déjà ils espèrent. On les entend gémir, non de la maladie, mais de ses alternatives. Le duc d'Orléans, tour à tour assiégé ou abandonné par eux, pardonne à un embarras dont le secret lui est connu, et juge fort

[ocr errors]

«tés que vous m'envoyez sur la famille de mylord Stairs promet« taient toute la douceur que nous voyons dans le fruit d'un pareil arbre. » ( Lettres de Torcy à M. d'Herville, des 8 juillet et 19 août 1715.) Le père et l'aïeul de Stairs étaient des avocats qui avaient rempli un rôle dans les guerres civiles. Pour lui, il avait, en jouant à l'âge de neuf ans, tué son frère d'un coup de pistolet. Son père, ne pouvant plus supporter sa vue, l'avait fait élever en Hollande. (1) Instructions du Régent à l'abbé Dubois, du 20 juin 1716.

«

(2) Notre roi est raccourci avant sa mort de la valeur d'une

tête... Il était changé de façon à n'avoir plus rien qui lui ressem« blât. » Fragmens des lettres originales d'Élisabeth de Bavière, belle

soeur de Louis XIV.

« ZurückWeiter »