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la caisse vermoulue d'une espèce de phaéton, il la fit lier avec des cordes sur deux longues solives, et en chargea des chevaux en forme de litière. Il se plaça lui-même sur ce siège élevé et totalement découvert. Les Français de son cortège lui représentèrent en vain que cet appareil était aussi peu convenable à son rang que dangereux pour sa sûreté; car les chevaux, qui n'avaient pas l'habitude de porter de tels fardeaux, et de régler leurs pas comme l'exige le transport des litières, l'exposaient à chaque instant aux chutes les plus

Pour échapper à la première, il se plongeait dans les excès; la seconde lui fit entreprendre plusieurs de ses voyages sans utilité. Brusque, absolu, inconstant, il abhorrait toute gêne, et renversait les obstacles. Dur à lui-même, bon pour ses gens, familier avec le peuple, ombrageux sur l'étiquette; passablement instruit dans les sciences, habile dans plusieurs métiers; peu libéral, sachant le prix de toutes choses pour n'être pas trompé; d'une conception vive, d'un sens parfait, avec une sorte de grandeur dans les manières, mais peu soutenue: mélange assez piquant de l'ame d'un Tartare, du génie d'un grand homme, et des graces un peu sauvages d'un despote qui s'était poli lui-même.

Ses courtisans outraient ses défauts, sans égaler ses qualités. « Sa << cour est ivrogne sordidement. » D'Antin. « Cette petite cour est changeante, irrésolue, et, du trône à l'écurie, fort sujette à la co« lère. » Dulybois. « Toute la maison du czar, excepté lui, s'est « enivrée pour célébrer les Pâques. » De Nesle. « Le chapelain.exigeait pour ses prières une fourniture énorme de bougies qu'il << revendait impudemment dans la ville. » Dulybois. Un chambellan, appelé Lefort, traînait ce beau nom dans la fange; embauchait des ouvriers, et finit par être emprisonné pour dettes au fort J'Évêque.

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funestes. Mais le cżar, accoutumé à voir tout plier sous sa volonté, rejetà les observations avec impétuosité, et l'on fut plus effrayé de sa colère que de ses dangers. Des hommes soutinrent les chevaux et les brancards, et le souverain des Russies traversa deux de nos provinces, étalé avec indifférence sur cette grotesque et périlleuse machine.

Plusieurs relations nous ont transmis les particularités de son séjour; son enthousiasme à la vue du mausolée du cardinal de Richelieu; sa surprise à la Monnaie des médailles, où le balancier frappa sa propre image avec cette légende si ingénieuse vires acquirit eundo; sa visite à madame de Maintenon, où il fut embarrassé et non pas incivil; son admiration pour les établissemens grands et utiles, et son dédain pour tout ce qui n'était qu'agréable ou fastueux; enfin les nombreuses occasions où il déploya son avidité à s'instruire, son jugement exquis, et surtout l'extrême variété de ses connaissances, dont je rapporterai une preuve qui a échappé aux éditeurs d'anecdotes. En traversant l'infirmerie des Invalides, il aperçut un signe particulier attaché au lit d'un malade. On lui expliqua que c'était un moribond abandonné par les secours humains. Le czar s'avance brusquement vers le vieux soldat, le considère avec attention, lui tâte le pouls, et, jetant sur sa suite un de ces regards qui le ren

daient quelquefois si terrible, il prononce que le malade ne mourra pas. L'exact Dangeau assure qu'en effet la prédiction se réalisa.

Tandis que Pierre Ier feuilletait des manuscrits esclavons dans la bibliothèque de la Sorbonne, il fut harangué par des docteurs qui lui proposèrent d'éteindre le grand schisme des églises grecque et latine: « Je ne suis qu'un soldat,» leur répondit le czar; « mais je ferai volontiers examiner «<le mémoire que vous me remettrez. » La Sorbonne se hâta de rédiger cet écrit, qui m'a paru contenir autant de ménagement et de raison qu'en peuvent supporter de pareilles matières. Aussi, le pape et le clergé russe en furent également indignés, parce que le premier y vit avec horreur les libertés gallicanes, et le second les superstitions romaines. Mais le czar, qui n'avait pas abattu le despotisme de sa propre église pour subir le joug d'un pontife étranger, prit le parti des préjugés nationaux. Il institua une fête burlesque, où le pape représenté par un fou, et les cardinaux par des bouffons ivres, étaient les héros d'une bacchanale. A l'invention de cette parodie, qui n'est ni chrétienne ni philosophique, et qui fut le seul fruit du zèle indiscret de la Sorbonne, on reconnaît le monarque dont le duc d'Antin nous a révélé la confession dans les termes suivans : « Pierre Ier a peu << ou point de religion, et la regarde comme un

<< instrument de gouvernement, dont il faut être « le maître. C'est pourquoi il s'est fait son pa<< triarche par le conseil, dit-il, du roi Guil« laume (1). »

Le czar avait entamé en Hollande, avec le marquis de Châteauneuf, une négociation plus importante à ses yeux que cette querelle des théologiens. On sait que le cardinal de Richelieu, pendant la guerre de trente ans, jeta dans le nord de l'Europe, par notre union avec Gustave-Adolphe, un contre-poids à la maison d'Autriche. Depuis lors, l'alliance de la Suède nous était assurée par un subside annuel, qui faisait fleurir cette terre pauvre et martiale. Mais, presque anéantie par la démence de Charles XII, elle ne nous offrait plus qu'une amitié aussi indocile qu'onéreuse. A ses côtés s'élevait la puissance prussienne, développant avec sagesse les germes de sa grandeur future. La France, jalouse de sauver un ancien allié

(1) On lit dans une lettre de M. de Lavie, chargé des affaires de France en Russie, à la date du 27 mai 1717, que les jésuites qui s'étaient introduits à Pétersbourg, et y avaient fondé des écoles, étaient très-mortifiés du voyage du czar à Paris. Ils craignaient que cet illustre catéchumène ne fût séduit par la légèreté avec laquelle la bulle Unigenitus était traitée à la cour du Régent, et qu'il ne revînt janséniste en Russie. Ce jugement risible n'était pas dépourvu de toute prévoyance. Pierre, il est vrai, n'emporta de Paris que le titre d'académicien; mais à son retour il n'en chassa pas moins les jésuites de ses états.

et d'en acquérir un nouveau, venait de désarmer le roi de Prusse par un traité signé secrètement à Berlin le 14 septembre 1716, qui garantissait à ce prince sa conquête de Stettin. Cet acte d'une politique éclairée fut le principe d'un système fédératif qui subsista quarante années. Il ne faut pas en disputer la gloire au maréchal d'Uxelles, qui n'en mérita pas d'autre pendant sa courte influence.

Ce fut dans ces circonstances que le czar vint brusquement nous dire : « Je vaux mieux pour « vous que la Suède que j'ai vaincue. Versez dans << mes mains l'or que vous perdez dans les siennes; « je tiendrai ses engageinens, et je vous apporte << de plus l'alliance de la Prusse et de la Pologne. » La France n'était point accoutumée à cette politique franche, mercenaire, pleine de sens et de vigueur. On nomma le maréchal de Tessé, vieillard usé, spirituel et sans crédit, pour alimenter les conférences avec les ministres russes. Charles XII y fut abandonné par degrés à l'implacable ressentiment de son rival; on chicana sur les subsides de la Russie, comme ferait un maître avare avec un nouveau serviteur. L'affaire fut mêlée au projet d'un traité de commerce, sur lequel personne en France ne pouvait fournir de notions positives. Kniphausen, ministre de cette Prusse que le czar croyait nous vendre, et que

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