Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

DEPUIS LE MOIS D'AVRIL 1814 JUSQU'AU MOIS DE

DÉCEMBRE 1815.

A LORD HOLLAND*.

Paris, 14 avril 1814.

Votre première lettre ne m'est jamais parvenue, mon cher lord, mais j'avais appris notre nouvelle perte, et j'ai déploré ce malheur avec tous les sentiments de ma tendre et reconnaissante amitié. En me disant que j'aurais pu revoir notre cher Fitz-Patrick, et votre illustre et excellent oncle, je sens plus cruellement, s'il est possible, tout ce que nous avons perdu depuis notre séparation. Permettez-moi d'espérer que je ne tarderai pas à parler avec vous de ces respectables et bien-aimés objets de mes regrets. Leur mémoire s'unit à notre sollicitude pour la grande cause dont ils ont été les dignes soutiens. Je vous remercie bien tendrement de la gravure qui me devient encore plus précieuse en la tenant de Vous **

Il a fallu pour ouvrir aux alliés la France et Paris

Voy. les p. 71, 126, 131 et 132 du neuvième vol.

** Le portrait de Charles Fox, oncle de lord Holland.

que le despotisme destructeur et corrupteur de Bonaparte ait paru à notre nation le plus grand des maux. Encore y a-t-il eu, malgré les folies du chef, assez de résistance et de moyens pour démontrer que ce n'est pas à la force étrangère que nous avons cédé. J'avais souhaité, et même espéré qu'un mouvement national précéderait son intervention. Ce vœu n'a pas été secondé ; mais puisque enfin, par une suite de circonstances bizarres, le résultat de tant de gloire militaire a été pour nous l'apparence d'un peuple vaincu, il est heureux que le progrès des idées libérales, les sentiments personnels de l'empereur Alexandre, les déclarations du sénat et une opinion publique non douteuse aient tourné cette réunion de belligérants, devenus alliés même avant la paix, vers un ordre de choses constitutionnel. Si la dynastie rappelée sur un trône légal adopte, comme elle l'annonce et comme je l'espère, les principes essentiels à la liberté publique et les institutions qui les garantissent, son nom sera un gage de plus à la paix intérieure... sinon, ceci ne sera stable ni pour elle ni pour nous. J'ajouterai que la paix du monde dépend beaucoup de la manière large et libérale dont il convient que cette dynastie soit traitée par toutes les puissances et surtout par votre gouvernement. C'est par ces divers motifs que les bons citoyens se sont attachés cordialement à un moyen de salut presque unique dans la situation actuelle, à un gouvernement qui doit nous reporter autant qu'il nous maintiendra

sur les principales bases de notre révolution primitive. — Voulez-vous bien, mon cher lord, offrir mes remerciments et mes hommages à milady Holland et aux personnes qui ont la bonté de se souvenir de moi.

Agréez, etc.

A M. JEFFERSON.

Lagrange, 14 août 1814.

MON CHER AMI,

Votre lettre du 3 novembre et celle que vous adressiez le 8 décembre à notre chère madame de Tessé, sont les dernières que j'aie reçues. Elle n'a pas assez vécu pour jouir de ce dernier gage de votre souvenir. M. de Tessé, qui s'était affaibli rapidement, est le premier que nous ayons eu à pleurer; elle l'a assisté jusqu'au dernier moment, l'a regretté avec les sentiments d'une vive affection et d'habitudes anciennes ; mais sa constitution délicate n'a pu supporter une telle douleur... six jours après la mort de son mari, elle n'existait plus. Sa maladie paraissait légère, et sa mort a été douce. Vous savez quelle femme a été enlevée à la société, quelle amie j'ai perdue!

Vous conservez le souvenir des heures heureuses

10 MÉM. DE LAFAYETTE

2

et des conversations animées de Chaville... que ces temps et ceux du vénérable hôtel Larochefoucauld sont loin de nous ! Et nous, qui comptons encore parmi les vivants, n'appartenons-noùs pas surtout à ceux qui ne sont plus?

Les journaux et la correspondance du ministre vous auront appris la succession d'événements qui ont renversé Bonaparte, ramené les Bourbons, et encore remis au sort les destinées de la liberté en France comme dans toute l'Europe. Les puissantes facultés et le singulier génie de Napoléon avaient perdu toute leur harmonie par l'excès de son ambition, l'immoralité de son esprit, et ce grain de folie qui n'est pas incompatible avec d'immenses talents, surtout quand il est développé par l'amour et les succès du despotisme. Il a joué et perdu complétement d'énormes armées, transporté chez l'étranger tous les magasins militaires de la France épuisée et laissée sans défense; en un mot, sa résolution d'arracher à l'Europe son dernier homme et son dernier écu n'était que trop évidente. Cependant, la supériorité morale de nos troupes et l'énergie du peuple ont été telles, que leur chef a pu manœuvrer pour la défense du territoire avec une admirable habileté. Malgré l'infériorité du nombre, les soldats français ont encore soutenu leur réputation, et une partie de la population qui n'aurait pas voulu défendre le système impérial, voyant s'avancer les étrangers, s'est levée pour les combattre; mais une malheureuse manœuvre par laquelle Bonaparte

espérait se rendre maître de l'empereur d'Autriche, et attirer les forces ennemies sur le Rhin, ouvrit aux alliés la route de Paris.

Les chefs du gouvernement avaient fui; une capitulation, retardée par la crainte qu'inspirait l'empereur, fut signée. Talleyrand, depuis quelques mois en correspondance secrète avec les princes ennemis et les Bourbons émigrés, était en même temps le seul grand dignitaire qui se trouvât à Paris; il prit la direction des affaires. Vous avez vu les décrets du sénat, la proclamation et l'ordonnance royale appelée Charte constitutionnelle.

Mes vœux avaient été bien différents. J'étais à Paris avec ma famille je n'aurais pu habiter Lagrange avec convenance pendant l'invasion des alliés. Je souhaitais une insurrection nationale contre le despotisme intérieur; le succès eût amené un traité avec les étrangers, ou un soulèvement général et énergique pour les repousser. Dans les deux cas, nous eussions été maîtres de notre gouvernement. Je me suis adressé aux chefs militaires les plus considérés, aux principaux citoyens de la garde nationale: tous étaient bien disposés, mais croyaient la tyrannie impériale trop fortement organisée pour qu'il fût possible de l'ébranler. Après la dispersion du gouvernement bonapartiste et la retraite du roi Joseph, la garde nationale prit les armes, et vingt sénateurs se réunirent chez M. Lambrecht; malheureusement les habitudes de vingt années l'ont emporté, jusqu'au dernier jour, sur la possibilité de

« ZurückWeiter »