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de venir se livrer à son attrait patriotique. Moreau, se présentant inopinément, dut être content de l'ef. fet qu'il produisit sur le malade et ses entours. Je vis souvent des Américains, quelques Anglais, l'aimable chef des Irlandais-Unis et Kosciusko ** qui, la première fois, lorsque je lui dis : « Vous "savez bien que ce ne sont pas là des malheurs, » me répondit : « Au moins votre patrie est encore » ensemble! » Bonaparte n'ignora pas mon bulletin, mais je n'eus de lui ni messager, ni mention de moi. Mon fils alla un jour à la parade avec son colonel; le premier consul demanda son nom et entendant que c'était le jeune Lafayette : « Ah ! » reprit-il vivement, « c'est son fils! » et il passa. Assez longtemps ensuite, abordant M. de Tracy, et après une de ces questions qui décèlent l'embarras, car il lui demanda si c'était son fils ou sa fille qui 'avait épousé George, il parla très-obligeamment de ma fracture et de ma guérison.

Pendant la durée de ce traitement, les ambassadeurs américains m'avaient communiqué l'heureuse

* M. Arthur O'Connor avait été jugé en 1798, à Meadston, comme chef des Irlandais-Unis ; on l'acquitta, mais il se vit contraint de chercher un refuge en France, où il épousa mademoiselle de Condorcet; le premier consul le nomma lieutenant général et il fut naturalisé Français.

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Après les derniers combats et le nouveau partage de la Pologne en 1794, Kosciusko fut deux ans prisonnier en Russie. Paul Ier l'ayant mis en liberté, il se rendit en Angleterre, puis en Amérique, et s'établit en France en 1798. (Voyez la p. 312 du septième vol.)

négociation qui acquit la Louisiane aux États-Unis*. Bonaparte mit d'abord un grand intérêt à la possession de ce pays; je parlai plusieurs fois contre ses projets à Talleyrand, qui, pour éviter la discussion, prenait avec moi le parti de tout nier. Il est probable que le premier consul, appliquant des calculs européens à la position de la Louisiane et à la navigation du Mississipi, s'était flatté d'acquérir une grande influence sur et peut-être contre l'Amérique libre; mais il reconnut son erreur au moment où les Anglais allaient faire partir une expédition contre la Nouvelle-Orléans. La ratification du congrès fut célébrée à Paris par un diner américain, où je me rendis de Lagrange, quoique marchant à peine. Les ministres français y furent très-aimables pour moi. Le lendemain je fis une visite à Joseph Bonaparte, de qui, pendant mon accident, j'avais reçu tous les jours un message, et de là j'allai voir le général Moreau quinze ou vingt jours avant son arrestation **.

A l'époque de la création des gardes nationales, Moreau commandait celle de Rennes ; il joignit l'armée à la tête d'un bataillon de volontaires; Chapelier me l'avait recommandé et vraisemblablement

* Ce nouveau traité avec les États-Unis fut signé à Paris le 30 avril 1803, trois semaines avant le départ de lord Witworth, ambassadeur d'Angleterre en France, et la rupture de la paix d'Amiens. Les États-Unis s'engageaient à payer une somme de quinze millions de dollars pour l'acquisition de la Louisiane.

Voyez plus loin, à la p. 83, la note du général Lafayette, et la date de ce récit, p. 7 de ce vol.

il eût été mon aide de camp; on le persécuta au 10 août comme fayettiste; bientôt après il manifesta pour la guerre ce génie qui lui assigne un des premiers rangs. Le reste de sa vie est tracé partout en traits glorieux *. Moreau témoigna souvent son intérêt pour les prisonniers d'Olmütz; lorsque mesdames de Maubourg et de Pusy, deux mois avant le 18 fructidor, munies d'une expédition de l'arrêté du directoire, passèrent à Strasbourg pour se rapprocher de nous, il alla les voir, leur exprima de l'attachement et de la déférence pour moi. Dans la conversation, il leur dit ces paroles remarquables : « Nous avons pris sur les chariots du général » Kinglin une correspondance qui compromet des » hommes très-marquants; je crois le danger passé » et ne veux point leur faire de peine, mais j'en parle hautement, et je veux qu'on sache que si on reprenait ces projets, je dénoncerais les con» spirateurs **. » Lorsque j'étais en Hollande, ma femme tenta vainement de le voir à Paris, chez Pétiet ***, que j'avais autrefois appelé de Bretagne au commissariat général de l'armée, et qui fut impatienté de la circonspection de son compatriote; il ne montra depuis son retour aucun empressement à se lier avec moi. Je savais cependant, et nommément par des amies anglaises, qu'en même temps

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Voy. sur M. Pétiet, membre du conseil des Cinq-Cents, les p. 209 et 310 du huitième vol.

qu'il parlait trop lestement de Bonaparte, il s'exprimait à mon égard en termes très-différents, et mon fils, qu'il rencontra deux fois, reçut de lui un accueil distingué.

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Le seul tête-à-tête que nous ayons eu commença par une observation de sa part sur l'inconvenance de vendre arbitrairement un pays qu'on avait déclaré appartenir à la France; j'en convins, mais en disant que c'était un heureux tort, utile à mes deux patries, qui me préservait du malheur de les voir en hostilités mutuelles, et « d'ailleurs, ajoutai-je, mon » cher général, la Louisiane est bien loin pour que nous nous montrions si rigoristes dans un temps » où ni vous, ni moi, ni personne, n'est sûr de >> coucher chez soi. » Ce début amena des épanchements politiques; je lui dis franchement que, de tous les chefs possibles de la France libre, celui qui m'aurait convenu le mieux était Bonaparte; mais je dis aussi que je n'en espérais plus rien. Il me répondit qu'après avoir lui-même refusé de faire un 18 brumaire, il s'était subalternisé à Bonaparte dans l'espoir que celui-ci remplirait ses engagements patriotiques; mais que, le voyant manquer à toutes ses paroles, il s'était éloigné. « Je vous avouerai,

ajouta-t-il, que j'ai mieux aimé prendre le motif » d'un mécontentement personnel, que de m'établir » le chevalier d'une cause dont on ne veut plus... >> faisant allusion au terrain, abandonné pour le moment, sur lequel je me trouvais. Ce fut moi qui introduisis les questions de l'avenir. J'observai que,

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veraient plus préparés que nous : « Je le crois des » royalistes, répondit-il, mais dans tous les cas, et » sans aucun préalable, nous sommes bien sûrs, >> vous et moi, de nous trouver et d'agir ensemble, car j'ai toujours pensé et voulu les mêmes choses » que vous. » Nous parlâmes des chances des Bourbons: « Ils se sont rendus trop méprisables, dit-il, » pour être à craindre. Lejeune d'Orléans pourtant » s'est bien battu sous nos drapeaux. » Et comme je rappelai sa réconciliation avec les autres : « Oui, » répliqua-t-il, ceux-là aussi se sont perdus. » Il prévoyait après Bonaparte la chance d'une guerre civile. « Nous serions du moins assurés, lui dis-je, » de l'avantage d'avoir avec nous le premier général » de l'Europe. » Il fut sensible à cette expression et me déclara de nouveau que je trouverais toujours ses dispositions et ses vues conformes aux miennes. Nous n'entrâmes point dans les détails; mais son penchant me parut être pour une représentation républicaine de propriétaires. Il tenait à la conscription en convenant néanmoins qu'elle pouvait être adoucie. Nous parlâmes de l'embarras où serait avec lui le premier consul, en cas de guerre en Allemagne. J'appris comment, en passant à Lunéville, et choqué des-airs que se donnait M. de Cobentzel *, il lui avait dit : « Monsieur le comte, je

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M. de Cobentzel fut chargé de traiter à Lunéville comme ministre plénipotentiaire de l'Autriche. Voy. la p. 27 de ce vol.

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