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par cette occasion le sort de Copenhague. Les gazettes et tous les discours ne parlent que de paix. Il n'y a pas moyen d'empêcher sa conclusion sur le continent; toutefois, avant que le nouveau système soit en vigueur, on doit prévoir un nouvel emploi de la force militaire.

J'espère que les États-Unis pourront encore éviter la guerre ; cependant, s'ils étaient forcés à la faire, ne pensez-vous pas qu'il faudrait s'assurer la possession du Canada, afin d'avoir cette grande porte fermée aux attaques et aux complots? Plus l'Amérique sera éloignée du contact européen, plus il y aura de profit pour elle et même pour la liberté en général.

Mon fils et mon gendre, le neveu du philosophe agriculteur **, sont à présent avec nous. George a été assez heureux pour obtenir la bienveillance de tout le monde excepté d'un seul, qui lui est si contraire, qu'il a dû cesser toute activité militaire. Je suis avec tous les sentiments dont mon cœur est rempli, etc.

* Sélim III, sultan régnant depuis 1790, avait été déposé, le 29 mai 1807, par les janissaires, et remplacé par Mustapha IV, fils de son frère, qui fut lui-même déposé l'année suivante, et remplacé par Mahmoud.

** M. Charles de Lasteyrie.

A M. DE MAUBOURG.

Janvier 1808 ".

Je ne vous ai pas encore écrit, mon cher ami, du fond de l'abîme de malheur où je suis plongé... j'en étais bien près lorsque je vous ai transmis les derniers témoignages de son amitié pour vous, de sa confiance dans vos sentiments pour elle. On vous aura déjà parlé de la fin angélique de cette incomparable femme. J'ai besoin de vous en parler encore; ma douleur aime à s'épancher dans le sein du plus constant et cher confident de toutes mes pensées au milieu de toutes ces vicissitudes où souvent je me suis cru malheureux; mais jusqu'à présent, vous m'avez trouvé plus fort que mes circonstances; aujourd'hui, la circonstance est plus forte que moi.

Pendant les trente-quatre années d'une union où sa tendresse, sa bonté, l'élévation, la délicatesse,

* Cette lettre fut écrite peu de temps après la perte de madame de Lafayette, le 24 décembre 1807. Le général Lafayette y faisait part à son ami, alors absent, de toutes les circonstances de la maladie de madame de Lafayette, et des derniers témoignages d'affection qu'il en avait reçus. Ces détails sont trop intimes pour être publiés, mais nous n'avons pas cru devoir supprimer entièrement l'hommage qui les accompagnait.

la générosité de son âme charmaient, embellissaient, honoraient ma vie, je me sentais si habitué à tout ce qu'elle était pour moi, que je ne le distinguais pas de ma propre existence. Elle avait quatorze ans et moi seize, lorsque son cœur s'amalgama à tout ce qui pouvait m'intéresser. Je croyais bien l'aimer, avoir besoin d'elle, mais ce n'est qu'en la perdant que j'ai pu démêler ce qui reste de moi pour la suite d'une vie qui avait paru livrée à tant de distractions, et pour laquelle néanmoins il n'y a plus ni bonheur, ni bien-être possible. Le pressentiment de sa perte ne m'avait jamais frappé comme le jour où, quittant Chavaniac, je reçus un billet alarmant de madame de Tessé; je me sentis atteint au cœur. George fut effrayé d'une impression qu'il trouvait plus forte que le danger. En arrivant très-rapidement à Paris, nous vîmes bien qu'elle était fort malade; mais il y eut dès le lendemain un mieux que j'attribuai un peu au plaisir de nous revoir.

Voilà bien des souvenirs que j'aime à déposer dans votre sein, mon cher ami; mais il ne nous reste que des souvenirs de cette femme adorable à qui j'ai dû un bonheur de tous les instants, sans le moindre nuage. Quoiqu'elle me fût attachée, je puis le dire, par le sentiment le plus passionné, jamais je n'ai aperçu en elle la plus légère nuance d'exigence, de mécontentement, jamais rien qui ne laissât la plus

libre carrière à toutes mes entreprises ; et, si je me reporte aux temps de notre jeunesse, je retrouverai en elle des traits d'une délicatesse, d'une générosité sans exemple. Vous l'avez toujours vue associée de cœur et d'esprit à mes sentiments, à mes vœux politiques, jouissant de tout ce qui pouvait être de quelque gloire pour moi, plus encore de ce qui me faisait, comme elle le disait, connaître tout entier; jouissant surtout lorsqu'elle me voyait sacrifier des occasions de gloire à un bon sentiment. Sa tante, madame de Tessé, me disait hier: « Je n'aurais jamais cru qu'on pût être aussi >> fanatique de vos opinions et aussi exempte de » l'esprit de parti. » En effet, jamais son attachement à notre doctrine n'a un instant altéré son indulgence, sa compassion, son obligeance pour les personnes d'un autre parti ; jamais elle ne fut aigrie par les haines violentes dont j'étais l'objet, mauvais procédés et les propos injurieux à mon égard, toutes sottises indifférentes à ses yeux du point où elle les regardait et où sa bonne opinion de moi voulait bien me placer. -Vous savez comme moi tout ce qu'elle a été, tout ce qu'elle a fait pendant la révolution. Ce n'est pas d'être venue à Olmütz, comme l'a dit Charles Fox, «sur les ailes » du devoir et de l'amour, » que je veux la louer ici, mais c'est de n'être partie qu'après avoir pris le temps d'assurer, autant qu'il était en elle, le bienêtre de ma tante et les droits de nos créanciers; c'est d'avoir eu le courage d'envoyer George en

les

Amérique. - Quelle noble imprudence de cœur à rester presque la seule femme de France compromise par son nom qui n'ait jamais voulu en changer! Chacune de ses pétitions ou réclamations a commencé par ces mots : La femme Lafayette. Jamais cette femme, si indulgente pour les haines de parti, n'a laissé passer, lorsqu'elle était sous l'échafaud, une réflexion contre moi sans la repousser, jamais une occasion de manifester mes principes sans s'en honorer et dire qu'elle les tenait de moi; elle s'était préparée à parler dans le même sens au tribunal; et nous avons tous vu combien cette femme si élevée, si courageuse dans les grandes circonstances, était bonne, simple, facile, dans le commerce de la vie, trop facile même et trop bonne, si la vénération qu'inspirait sa vertu n'avait pas composé de tout cela une manière d'ètre tout à fait à part. C'était aussi une dévotion à part que la sienne. Je puis dire que, pendant trente-quatre ans, je n'en ai pas éprouvé un instant l'ombre de gène; que toutes ses pratiques étaient sans affectation subordonnées à mes convenances, que j'ai eu la satisfaction de voir mes amis les plus incrédules, aussi constamment accueillis, aussi aimés, aussi estimés, et leur vertu aussi complétement reconnue que s'il n'y avait pas eu de différence d'opinions religieuses; que jamais elle n'a exprimé autre chose que l'es

*La plupart des femmes d'émigrés avaient, en 1793, rempli la formalité d'un divorce simulé, pour mettre à l'abri une portion de leur fortune.

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