Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

CHAPITRE II.

[ocr errors]

Propositions de Louis XVIII et du comte d'Artois au premier consul. - Fermeture de la liste des émigrés; leur rentrée en France. Machine infernale. Louis XVIII est obligé de quitter Mittau et de se réfugier en Prusse; il séjourne à Memel, à Koenisberg, et s'arrête à Varsovie. L'Angleterre traite avec la république. Propositions des autorités prussiennes de Varsovie à Louis XVIII; réponse de ce prince; déclaration des membres de sa famille. Conspiration de Georges Cadoudal; Moreau; suicide de Pichegru; condamnations; arrestation et mort du duc d'Enghien. - Bonaparte, empereur. Protestation de Louis XVIII. Affaire Coulon. Entrevue de Louis XVIII et du comte d'Artois à Calmar; le premier y reçoit l'ordre de ne plus rentrer en Prusse; il demande et obtient de revenir à Mittau. Déclaration du 2 décembre 1804; lettre explicative. Traité d'alliance entre Alexandre et Napoléon. — Louis XVIII quitte une seconde fois Mittau; il s'embarque à Riga et arrive à Yarmouth; il ne peut débarquer. — Communication du gouvernement anglais à Louis XVIII; il prend pied en Angleterre et fixe sa résidence à Gosfield-Hall.

1800-1807. Les deux journées des 18 et 19 brumaire avaient mis au pouvoir de Bonaparte toute la puissance de la république, toute la grandeur, toutes les forces de la révolution, forces immenses qu'il devait affaiblir en les répandant sur tous les États de l'Europe, et qu'il acheva d'épuiser dans les steppes de la Russie. Le résultat de cet audacieux coup de main politique surprit les Bourbons sans les déconcerter. Pour eux, la France était toujours royaliste, ses besoins et ses vœux restaient monarchiques; le nom seul de ses gouvernants temporaires se trouvait changé; Bonaparte avait remplacé Barras au timon des affaires; les Bourbons oublièrent Barras et s'adressèrent à Bonaparte.

Ce n'était pas la première fois que l'émigration songeait à gagner ce général à la cause royaliste. La lettre écrite par Louis XVIII à Pichegru, le 9 juin 1796', autorisait ce dernier à tenter quelques démarches auprès des généraux de l'armée d'Italie. Ces démarches furent faites par le comte de Montgail

1. Voy. page 12.

lard, chargé, quelque temps avant le 18 fructidor, d'offrir à Bonaparte, au nom de ses maîtres, la vice-royauté de la Corse, la dignité de maréchal de France et le cordon bleu. Mais la négociation dut rester à l'état de projet. L'agent des Bourbons ne put aborder Bonaparte qui, dans ce moment-là même, envoyait à Paris le portefeuille du comte d'Antraigues, pressait le directoire de frapper les royalistes, provoquait dans son armée des manifestations en faveur de la république, et proposait de marcher à la tête de toutes ses troupes au secours du gouvernement directorial. Les circonstances, après le 18 brumaire, semblaient plus favorables. Les propositions arrivèrent de deux côtés.

Ce fut l'abbé de Montesquiou, un des membres de l'agence royaliste de Paris, qui se chargea de faire parvenir à Bonaparte une lettre écrite de la main même de Louis XVIII. Lebrun, alors troisième consul et ancien secrétaire du chancelier Maupeou, servit d'intermédiaire. Louis XVIII, dans sa lettre, débutait par une longue leçon politique sur les avantages de la légitimité et sur les dangers de l'usurpation; puis il ajoutait : << Vous auriez tort de tarder beaucoup à me rendre mon trône, il serait à craindre que vous ne laissassiez écouler des moments bien favorables; vous ne pouvez faire le bonheur de la France sans moi, et moi je ne puis rien pour la France sans vous; hâtezvous donc et désignez vous-même toutes les places qui vous plairont pour vos amis. »

Voici la réponse du premier consul:

« J'ai reçu la lettre de Votre Altesse royale; j'ai toujours pris un vif intérêt à ses malheurs et à ceux de sa famille; elle ne doit pas songer à se présenter en France, elle n'y parviendrait que sur cent mille cadavres : du reste, je m'empresserai toujours à faire tout ce qui pourrait adoucir ses destinées et lui faire oublier ses malheurs. >>

Louis XVIII avait abandonné à l'abbé de Montesquiou le soin de faire connaître à Bonaparte le prix dont on entendait payer son concours: c'était la dignité de connétable avec la direction de

la guerre. L'abbé de Montesquiou n'eut pas le loisir de soumettre au premier consul ces offres étranges; le soir même du jour où la lettre de Louis XVIII fut remise aux mains de Bonaparte, ce dernier fit signifier à l'abbé qu'il eût à quitter immédiatement la France, ou à cesser d'être le dépositaire des correspondances du Prétendant.

Le comte d'Artois, pour agir de son côté, n'avait pas attendu les confidences ou les ordres du roi son frère. Peu de jours après l'établissement du consulat, une dame qui était fort avant dans l'intimité du prince, la duchesse de Guiche, avait quitté Londres, chargée de sonder le nouveau chef de la république. Cette dame pénétra facilement auprès de madame Bonaparte, que sa naissance et son premier mariage mettaient en contact naturel avec les personnes de l'ancienne cour. La duchesse fut invitée à déjeuner à la Malmaison : durant le repas, elle fit intervenir, dans la conversation, Londres, l'émigration ainsi que les princes, et raconta négligemment que, se trouvant peu de jours avant son départ chez le comte d'Artois, on avait demandé devant elle à S. A. quelle serait la récompense accordée par la famille royale au général Bonaparte, dans le cas où il rétablirait les Bourbons. « Nous le ferions d'abord connétable, aurait répondu le prince; tout ce qu'il demanderait ensuite lui serait accordé, et comme ce ne serait pas encore assez, selon moi, nous élèverions sur le Carrousel une haute et magnifique colonne, surmontée de la statue de M. Bonaparte couronnant les Bourbons. >>

Madame Bonaparte, comme s'y attendait la duchesse de Guiche, rapporta cette conversation à son mari, immédiatement après le déjeuner. A quelques heures de là, l'amie du comte d'Artois recevait de la police l'ordre de reprendre dans la nuit même la route de Londres. Bonaparte, à l'occasion de cette double démarche, déclara publiquement que, tant qu'il gouvernerait, les Bourbons ne rentreraient pas en France. Il ajoutait, à l'occasion des négociations entamées par Barras et que l'abbé

de Montesquiou avait fait connaître à Lebrun : « Si, au 18 brumaire, j'avais connu cette affaire, j'aurais immédiatement fait fusiller Barras, avec ses lettres-patentes attachées sur la poitrine. »

Peu de jours après, le premier consul portait à la cause des Bourbons des coups plus funestes que ne pouvait l'être l'avortement de cette double tentative de négociation : il rappelait les déportés de fructidor, ouvrait la frontière à un nombre considérable d'exilés volontaires de toutes les catégories, fermait la liste des émigrés, facilitait les radiations, les opérait même de sa main et commençait à placer dans les administrations publiques tous ceux qui consentaient à s'attacher à sa fortune. La faiblesse de certains directeurs, la complicité salariée de leur entourage et d'un grand nombre de hauts fonctionnaires, la complaisance des autorités municipales d'un grand nombre de localités avaient élargi déjà la voie. La politique de Bonaparte, au début du consulat, avança singulièrement ce travail de rentrée. Le vide commençait donc à se faire autour du comte d'Artois et de Louis XVIII dans les derniers jours de 1800, quand un revirement inattendu de la Russie vint ajouter une déception nouvelle aux mécomptes qui accueillaient partout et depuis si longtemps les espérances de ces princes.

On a vu que Paul Ir avait embrassé avec feu la cause des Bourbons. Non content de défrayer la cour de Mittau et de prendre à sa solde l'armée de Condé, il avait mis au service de l'émigration une force navale et deux corps expéditionnaires considérables. Nous avons dit que ses vaisseaux avaient opéré en Hollande conjointement avec une flotte anglaise; Brune, à Berghem, avait fait échouer cette expédition. Mais les résultats de la défaite n'avaient pas été semblables pour les deux cours : les troupes russes, toujours placées en première ligne par le prince anglais commandant en chef, s'étaient rembarquées après des pertes considérables, n'emportant avec elles que des blessés, tandis que les généraux anglais, laissant leurs alliés supporter tout

le poids des régiments républicains, avaient uniquement employé leurs soldats à capturer la flotte hollandaise et à en emmener ensuite les bâtiments dans les ports britanniques. D'un autre côté, soit incapacité, soit jalousie, les généraux autrichiens n'avaient que faiblement appuyé Souwaroff et ses lieutenants. Paul, voulant tout à la fois sauver l'honneur de ses armes et se venger, accusa l'ineptie du Conseil Aulique ainsi que la perfidie anglaise du double échec qu'il venait d'essuyer: et, changeant inopinément ses alliances et sa politique, il reporta sur la France et sur Bonaparte toute la chaleur de ses affections. Ce fut encore l'émigration qui paya les frais de cette brusque conversion. Nonseulement les troupes russes furent rappelées, mais les hôtes du château ducal de Mittau perdirent leurs subsides et durent soudainement quitter ce lointain asile. L'ordre du départ parvint à Louis XVIII dans la saison la plus rude de l'année, au mois de janvier. Ses amis de Saint-Pétersbourg essayèrent d'obtenir un délai. Paul fut inexorable. Un événement qui venait de menacer les jours de l'homme alors l'objet de son admiration, du premier consul, peut seul expliquer ce caprice de brutale colère.

Le 3 nivôse, à cinq heures et demie du soir, le premier consul venait de quitter les Tuileries pour se rendre à l'Opéra, lorsque, arrivé aux premières maisons de la rue Richelieu, une forte secousse fait vaciller sa voiture, en brise les glaces et l'arrache en sursaut au demi-sommeil où il était plongé. « Nous sommes minés ! » s'écrie Bonaparte. Au même moment une détonation terrible, prolongée, se fait entendre; une épouvantable explosion de poudre enflammée, mêlée de mitraille, ébranle tout le quartier. Bonaparte en fut quitte pour la secousse; mais 46 maisons de la rue Saint-Nicaise furent à demi renversées, 28 personnes grièvement blessées, 8 tuées sur le coup. Un tonneau fortement cerclé en fer et en bois, rempli de poudre, de clous de toutes les grosseurs, de balles de tous les calibres, et placé sur une charrette de porteur d'eau, avait causé cette effroyable catastrophe. La charrette était attelée d'un petit cheval que gar

« ZurückWeiter »