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sance du parti que nous prenions, l'ayant fait connaître à la troupe avant de marcher.

« Maintenant, Monseigneur, pour tranquilliser les officiers sur leur sort, il serait urgent que le gouvernement provisoire fìt une adresse proclamative à ce corps, et qu'en lui faisant connaître sur quoi il peut compter, on lui fît payer un mois de solde; sans cela, il est à craindre qu'il ne se débande.

« Messieurs les officiers-généraux sont tous avec nous, M. Lucotte excepté. Ce joli monsieur nous avait dénoncés à l'empereur.

« J'ai l'honneur d'être, Monseigneur, etc.

« Le général de division, comte BORDESOULLE. »

Les généraux de Marmont avaient entraîné leurs régiments dans la fausse conviction que l'empereur connaissait le traité fait avec Schwartzenberg. Qui pouvait l'avoir prévenu? Un seul général avait refusé de les suivre, Lucotte. Les soupçons, dans les premières heures, se portèrent naturellement sur lui. Or l'empereur, la veille au soir et dans le courant de la nuit, ne savait rien du traité; il le connut seulement quand la désertion était accomplie. Lucotte ne l'avait donc pas averti. Quant aux officiers et aux soldats, la retraite précipitée de l'arrière-garde, les faits qui nous restent à raconter prouvent surabondamment que pas un d'eux ne fut complice du général Bordesoulle.

Pendant que ce chef était occupé à calomnier un de ses collègues et la troupe, dans le but, sans doute, d'amoindrir aux yeux du maréchal la gravité de sa désobéissance, les soldats, rassemblés en groupes tumultueux sur les promenades et sur les principales places de Versailles, s'emportaient contre leurs généraux et demandaient à rejoindre l'empereur. D'un autre côté, les colonels de toutes armes, convoqués par leur collègue Ordener, se réunissaient chez ce dernier et convenaient d'emmener le 6o corps à Rambouillet pour gagner ensuite Fontainebleau. La direction des troupes fut déférée à Ordener, qui prit aussitôt le commandement. Peu d'instants après, tous les régiments, infanterie, cavalerie et artillerie, quittaient Versailles aux cris répétés de vive l'empereur!

Cette révolte était de nature à tout remettre en question; elle pouvait devenir le signal de la lutte et imprimer aux efforts des troupes impériales indignées, furieuses, une énergie dont il était impossible de calculer les suites. Marmont, que la nouvelle des événements d'Essonne, on l'a vu, avait d'abord attéré, céda aux instances du gouvernement provisoire. Ses généraux, jusque-là, étaient allés plus loin que lui dans la défection. Il eut le malheur de sacrifier jusqu'au bénéfice de cette position en consentant à arrêter la marche de son corps et à prendre ainsi l'entière responsabilité hiérarchique et morale du mouvement. Se jetant aussitôt dans une voiture, il courut à Versailles qu'il traversa sans s'arrêter, parvint à atteindre ses régiments à deux lieues plus loin, au hameau de Trappes, et vint droit au colonel Ordener qu'il menaça de faire arrêter, puis traduire devant un conseil de guerre pour usurpation de commandement'. « Je << vous en défie ! » s'écria Ordener qui se laissa alors emporter aux paroles les plus violentes. Cette résistance déconcerta Marmont; il invoqua son droit de commandement; puis, rappelant ses services, ses blessures, et s'adressant alternativement aux officiers et aux soldats qui l'entouraient, il demanda si c'était un maréchal dévoué comme lui que l'on pouvait soupçonner de vouloir trahir les intérêts de l'armée. « Le 6° corps n'a quitté << Essonne, dit-il en terminant, que pour hater la paix; elle va « se conclure, croyez-en la parole de votre général. Obéissezlui, et tout sera oublié. » Les soldats, entraînés, se replacèrent sous l'autorité du maréchal, qui ne les quitta qu'après leur avoir fait abandonner le chemin de Rambouillet et prendre la route de Normandie.

1. En consultant l'Annuaire militaire de 1843, on trouve que le colonel qui, dans les circonstances que nous venons de rapporter, dut au suffrage de ses collègues le commandement momentané du 6e corps de l'armée impériale, est simple maréchal de camp commandant la subdivision militaire de Maine-et-Loire. En trente ans, le colonel de l'ex-30° dragons a avancé d'un grade.

Son retour était vivement attendu. L'alarme était revenue parmi les sénateurs et les membres du gouvernement provisoire; les souverains eux-mêmes montraient de l'inquiétude. Enfin le duc de Raguse parut. Voici en quels termes un personnage déjà cité, et témoin oculaire, raconte l'ovation qui accueillit le maréchal à son arrivée dans les salons de M. de Talleyrand : « Quinze «< ans sont passés, et il me semble encore assister à cette scène : a tout le monde avait fini de diner; il se mit seul à table devant << un petit guéridon placé exprès au milieu de la salle et sur le<< quel on le servit. Chacun de nous allait causer avec lui et le <«< complimenter. Il fut le héros de cette journée '. » Déplorable triomphe qui a fait maudire le nom de ce maréchal par tout un peuple, et qui laissera sur sa mémoire une tache éternelle!

La défection du 6o corps, dans la nuit du 4 au 5 avril, ne fit point la chute de Napoléon; la prise de Paris et Fabdication avaient brisé le sceptre entre les mains de ce souverain. L'établissement impérial, toutefois, restait encore debout; le duc de Raguse porta le coup de mort à cette cause, devenue, depuis l'invasion du territoire, la cause nationale, en apaisant, au profit du gouvernement provisoire, la patriotique révolte de ses soldats. Le 4 avril, au matin, l'empereur n'avait plus de couronne; le 5, au soir, l'empire était fini; la Restauration commençait. Ce fut seulement à la fin de cette dernière journée, après le retour de Marmont, que les partisans improvisés des Bourbons osèrent faire décider officiellement le rappel de ces princes. Avant de dire comment cet événement se produisit, nous suivrons l'empereur jusqu'à son départ pour l'ile d'Elbe.. Les quinze jours durant lesquels Napoléon séjourna encore à Fontainebleau, longue et solitaire agonie dont les secousses concentrées dans les murs de ce palais furent alors inaperçues à Paris comme dans le reste de la France, présentent un enseignement politique trop sérieux pour ne pas être racontés.

1. BOURRIENNE. Mémoires, tome X, page 109.

L'empereur venait de recevoir de Paris une copie du traité convenu entre Marmont et le prince de Schwartzenberg, lorsque des officiers, expédiés par le général Chastel, lui annoncèrent la défection du 6 corps. Il voulut d'abord douter. Quand la conviction fut enfin entrée dans son esprit, sa parole s'arrêta, son regard devint fixe, et il ne rompit le silence que pour laisser échapper ces mots sur Marmont, que l'on accusait d'avoir ordonné le départ des troupes : « L'ingrat! il sera plus malheureux que moi!» On dut le laisser seul. Quelques heures après, l'or ́dre suivant était lu à la tête de tous les régiments de l'armée :

ORDRE DU JOUR.

A l'armée.

« Fontainebleau, le 5 avril 1814.

«L'empereur remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne, et principalement parce qu'elle reconnaît que la France est en lui et non pas dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la fortune et l'infortune de son général, son honneur et sa religion. Le duc de Raguse n'a point inspiré ce sentiment à ses compagnons d'armes; il a passé aux alliés. L'empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a fait cette démarche; il ne peut accepter la vie et la liberté de la merci d'un sujet.

«Le Sénat s'est permis de disposer du gouvernement français ;-il a oublié qu'il doit à l'empereur le pouvoir dont il abuse maintenant; que c'est l'empereur qui a sauvé une partie de ses membres des orages de la révolution; tiré de l'obscurité et protégé l'autre contre la haine de la nation.

« Le Sénat se fonde sur les articles de la constitution pour la renverser; il ne rougit pas de faire des reproches à l'empereur, sans remarquer que, comme premier corps de l'État, il a pris part à tous les événements. Il est allé si loin, qu'il a osé accuser l'empereur d'avoir changé les actes dans leur publication. Le monde entier sait qu'il n'avait pas besoin de tels artifices. Un signe était un ordre pour le Sénat qui, toujours, faisait plus qu'on ne désirait de lui. L'empereur a toujours été accessible aux remontrances dé ses ministres, et il attendait d'eux, dans cette circonstance, la justification la plus indéfinie des mesures qu'il avait prises. Si l'enthousiasme s'est mêlé dans les adresses et les discours

publics, alors l'empereur a été trompé. Mais ceux qui ont tenu ce langage doivent s'attribuer à eux-mêmes les suites de leurs flatteries.

« Le Sénat ne rougit pas de parler de libelles publiés contre les gouvernements étrangers; il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein! Si longtemps que la fortune s'est montrée fidèle à leur souverain, ces hommes sont restés fidèles, et nulle plainte n'a été entendue sur les abus du pouvoir. Si l'empereur avait méprisé les hommes, comme on le lui a reproché, alors le monde reconnaîtrait aujourd'hui qu'il a eu des raisons qui motivaient son mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de la nation ; eux seuls pouvaient l'en priver; il l'a toujours considérée comme un fardeau, et lorsqu'il l'accepta, ce fut dans la conviction que lui seul était à même de la porter dignement.

« Le bonheur de la France paraissait être dans la destinée de l'empereur; aujourd'hui que la fortune s'est décidée contre lui, la volonté de la nation seule pourrait le persuader de rester plus longtemps sur le trône. S'il se doit considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait` volontiers ce dernier sacrifice à la France. Il a en conséquence envoyé le prince de la Moskowa et les ducs de Vicence et de Tarente à Paris, pour entamer la négociation. L'armée peut être certaine que l'honneur de l'empereur ne sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France.»

Aucun des adversaires du régime impérial n'a fait ressortir avec plus d'amertume les fautes de 'empereur et les vices de son gouvernement. Ces aveux de Napoléon sont la condamnation de tout son règne; ils font comprendre ses revers et sa chute, et s'ils n'absolvent pas les hommes, ils justifient l'événement.

Nous avons dit que les trois plénipotentiaires de l'empereur, en quittant Alexandre, étaient rentrés se reposer à l'hôtel du maréchal Ney. Ils revinrent à Fontainebleau dans la soirée. Ce fut Ney qui se chargea d'annoncer à Napoléon qu'on exigeait de lui une abdication pure et simple, sans autre condition que la garantie de sa sûreté personnelle. Sa parole fut sans ménagement. Il venait, au reste, de s'engager. Avant d'entrer dans le cabinet de l'empereur, il avait écrit à M. de Talleyrand pour lui annoncer sa résolution d'embrasser « la cause des anciens rois 1.»

1. Voici les passages essentiels de cette lettre :

« Je me suis rendu hier à Paris avec M. le maréchal duc de Tarente et M. le duc de Vicence, comme chargé de pleins pouvoirs pour défendre, près

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