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CHAPITRE V.

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Manifestation royaliste à Troyes; exécution du chevalier de Gouault. - État de l'opinion aut mois de février 4844. Conférence militaire de Lusigny. Première reddition de Soissons; reunion de tous les corps de l'armée de Blücher; ce général s'avance une seconde fois sur Paris. Napoléon quitte Troyes et marche sur la Marne pour arrêter le mouvement des Prussiens; il arrive à la Ferté-sous-Jouarre. Blücher met la Marne entre les Français et lui, et se retire sur l'Aisne; Napoléon le poursuit; seconde capitulation de Soissons; Blücher se retire sur Laon. Bataille de Craonne; les Prussiens, maîtres de Laon, sont attaqués par Napoléon qui se replie à son tour sur l'Aisne, occupe Soissons et chasse les Russes de Reims. Second mouvement de Schwartzenberg sur Paris; Napoléon marche sur la Seine; panique des souverains alliés; ils rétrogradent enco re au delà de Troyes. — Napoléon manoeuvre pour opérer sur les derrières de l'ennemi; bataille d'Arcis-sur-Aube. Pointe de Napoléon sur Saint-Dizier; décret de levée en masse; nouveau plan de campagne. Traité de Chaumont. Congrès de Châtillon; sa rupture, Concentration de toutes les forces alliées à Châlons-sur-Marne; elles se portent en masse sur Paris. Napoléon quitte Saint-Dizier, traverse Troyes, Sens, Fontainebleau, et arrive à cinq lieues de Paris, le 30 mars, à dix heures du soir.

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L'empereur Alexandre avait dans son état-major deux officiers d'origine française : le comte de Rochechouart, émigré, et l'exadjudant-général Rapateł, ancien aide de camp de Moreau. Durant les seize à dix-huit jours qu'ils venaient de passer à Troyes, ces officiers s'étaient naturellement mis en rapport avec les quelques habitants restés fidèles au culte de la vieille monarchie; dans leurs entretiens avec ceux-ci, tous deux témoignaient sans cesse leur étonnement dù complet oubli où était tombée la cause de la royauté; ils avaient pénétré jusqu'au centre de la France, disaient-ils, et pas un cri, pas un signe dans les villages ou dans les villes traversées par eux, n'avaient annoncé qu'il existât encore des royalistes. Leurs auditeurs se récriaient; ils répondaient que les royalistes étaient nombreux, mais que la crainte de se compromettre inutilement les empêchait de se prononcer.

Ces conversations, d'abord simples confidences, aboutirent à une démarche plus significative. Un ancien marquis, M. de Vidranges, se rendit auprès du prince de Wurtemberg, et s'enquit respectueusement des intentions des alliés sur le rétablissement de la maison de Bourbon. Le prince déclina la demande et conseilla au visiteur de s'adresser directement à Alexandre. Le marquis, soutenu, encouragé par MM. de Rochechouart et Rapatel, exalté par la pensée d'une glorieuse initiative, parvint à entraîner quelques-uns de ses amis, et, tous ensemble, ils se rendirent solennellement chez l'empereur que les sollicitations de ses deux officiers d'état-major avaient décidé à leur accorder une audience.

Ce fut le 11 février, à midi, que cette députation fut reçue; elle se composait de huit personnes dont voici les noms : marquis de Vidranges, chevalier de Gouault, Richemont, de Montaigu, Mangin de Salabért, Gaulon, Delacour-Bureau, et Picard, médecin. Les deux premiers étaient décorés de la croix de SaintLouis, tous avaient arboré la cocarde blanche. M. de Vidranges porta la parole en ces termes :

« Sire, organes de la plupart des honnétes gens de Troyes, <«< nous venons mettre aux genoux de Votre Majesté Impériale « l'hommage de notre humble respect, et la supplier d'agréer « le vœu que nous formons tous pour le rétablissement de la << maison royale de Bourbon sur le trône de France. »

Alexandre répondit qu'il voyait la députation avec plaisir; mais il trouvait la démarche de ses membres un peu prématurée. «Les <«< chances de la guerre sont incertaines, ajouta-t-il, et je serais << fâché de vous voir sacrifiés. »

Cette réponse n'était pas fort-encourageante : le marquis de Vidranges le comprit. MM. de Rochechouart et Rapatel lui avaient annoncé le débarquement du comte d'Artois sur le continent, et l'arrivée de ce prince en Suisse. M. de Vidranges, en homme avisé, s'imposa la mission de porter au comte la nouvelle de cet éclat royaliste. M. de Gouault resta.

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Vingt-cinq ans s'étaient écoulés depuis que la cocarde tricolore avait été substituée à la cocarde blanche: la croix de SaintLouis avait disparu depuis vingt-trois ans. La population de Troyes, lorsqu'elle vit défiler au milieu des rues ces couleurs et ces insignes oubliés, n'éprouva d'abord qu'un sentiment de profonde surprise. Mais quand ceux des habitants qui avaient connu l'ancien régime eurent expliqué la signification des croix et des cocardes, quand on apprit surtout la démarche de M. de Vidranges et de ses amis auprès du chef des coalisés, l'étonnement fit place à l'indignation on oublia les royalistes; on ne vit plus dans les membres de la députation que des ennemis et des traîtres. La colère fut si forte, que lorsque Napoléon entra le 24 dans la ville, des cris de vengeance se mêlèrent aux acclamations qui partaient de toutes les bouches. L'empereur dut céder au sentiment public. A peine descendu à son logement, il jeta ses gants sur une table, et, le fouet encore à la main, il ordonna la réunion d'un conseil de guerre. M. de Gouault seul y parut. Condamné à mort, famille essaya de le sauver. Une demande en grâce fut remise le lendemain matin du jugement par M. de Mesgrigny,. écuyer de service et compatriote du condamné. L'empereur ordonna immédiatement de suspendre l'exécution; mais quand l'officier d'ordonnance, porteur de l'ordre, arriva, M. de Gouault venait d'être passé par les armes avec cet écriteaù sur la poitrine : traître à la patrie.

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La manifestation du 11 février fut un acte de mouvement spontané, une tentative isolée. Aucun plan de restauration n'existait à cette date. Dans quelques salons de Paris, dans un petit nombre de châteaux de province, on commençait à regarder la chute de l'empire comme un événement possible, on échangeait des espérances encore vagues, on se cherchait pour obtenir des nouvelles ; mais on ne faisait rien au delà. Ce sont pourtant ces confidences à huis-clos, ces visites inaperçues que quelques écrivains, dupes des vanteries de châteaux ou de salons, n'ont pas craint de transformer en une vaste conspiration ayant son organisation, son

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mot d'ordre et ses chefs. C'est le sort de tous les gouvernements nouveaux d'avoir à subir la révélation d'une foule de dévouements avides qui ne se sont jamais produits, d'une foule de services, taxés très-haut, qu'on ne leur a jamais rendus. Il suffit de quelques vanités cupides, donnant un appui mutuel à leurs mensonges, pour faire accepter certaines fables politiques comme autant de vérités hors de conteste. Résultat de manoeuvres conçues, exécutées par quelques roués habiles au moment même de son avénement, la Restauration, comme on le verra plus loin, ne fut l'œuvre d'aucun effort, le produit d'aucune combinaison préparés à l'avance par une opinion ou par un parti politique. Comme parti, les royalistes ne présentaient que des individualités cachées dans toutes les administrations publiques et locales, ou isolées dans leurs terres; comme opinion, comme expression des sentiments ou des vœux d'une partie de la population, ils n'existaient plus. La population, considérée dans sa généralité, dans ses masses, se plaignait amèrement, sans doute, du régime économique et politique de l'empire, de cette passion de conquêtes et de batailles qui avait poussé l'empereur jusqu'aux limites de la Russie asiatique; mais elle ne demandait ni ne désirait une contrerévolution. Loin de là, toute décimée, tout épuisée qu'elle était par les levées incessantes qui, durant vingt-deux ans de guerre, avaient alimenté les armées de la république et de l'empire, elle soutint la cause de Napoléon, devenue, en face de l'ennemi, la cause nationale, jusqu'au dernier jour. Il n'est pas un seul des départements envahis par la coalition, dont les habitants n'aient pris les armes en grand nombre, pour harceler les détachements alliés, pour enlever les convois et se mêler dans l'occasion avec nos soldats. Ce fut même l'héroïque patriotisme de certaines populations urbaines et de toute la population rurale des Vosges, de la Lorraine, de la Champagne et de la Bourgogne, qui dicta à Napoléon ses derniers décrets, qui inspira son dernier plan de campagne. Il attendit trop tard!.

Ce dévouement des masses pour le gouvernement impérial, le

complet oubli où elles laissaient l'ancienne monarchie et ses princes, avaient vivement frappé les chefs des coalisés. En vain, renouvelant la tactique employée à une autre époque par d'autres coalitions contre le souverain le plus illustre de l'ancienne monarchie, ils déclaraient ne pas faire la guerre à la France, mais à Napoléon seul : pas un homme ne se rangeait de leur côté ; nulle part on ne se soulevait contre l'empereur; partout, au contraire, on résistait. Aussi, les souverains avaient-ils repoussé toutes les ouvertures tendant à faire admettre à leur quartier général un des membres de la maison de Bourbon; et, dans le midi même, comme on le verra au chapitre suivant, Wellington, reprochant aux quelques royalistes qui venaient de se déclarer à Bordeaux, l'imprudence et la nullité de cette vaine démonstration, leur signifiait qu'il dépasserait probablement « la ligne de ses devoirs s'il prêtait à leur cause le moindre appui. » Il y a plus; les alliés maintenaient le congrès de Châtillon, bien que le duc de Vicence eût formellement refusé, au nom de Napoléon, de consentir aux limites de 1789. « La Belgique, ainsi que les départements de la rive gauche du Rhin, avait dit le duc, ayant été constitutionnellement déclarés partie intégrante du territoire français, et reconnus comme tels par tous les traités conclus depuis leur réunion, l'empereur ne pouvait pas, de son autorité privée, accéder à cette clause. » Enfin, au moment même de la rentrée des Français dans Troyes, le généralissime Schwartzenberg négociait avec Napoléon une suspension d'armes.

Ces pourparlers, résultat d'une première proposition faite huit jours auparavant, le 17, à Nangis, par un des officiers du prince, le comte de Parr, furent sérieusement abordés, le 23, au hameau de Châtres, près Méry-sur-Seine, entre les quatre murs nus de la chaumière d'un charron où Napoléon venait de passer la nuit. Le négociateur, cette fois, était le prince de

1. Les puissances coalisées contre Louis XIV proclamaient dans leurs manifestes qu'elles faisaient la guerre, non contre la France, mais contre ce prince et sa politique de conquêtes.

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