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dévouements qu'exigent les luttes de cette nature, n'existaient plus dans les masses; la force insurrectionnelle du parti s'était successivement épuisée dans les soulèvements de Lyon et du midi, dans les guerres de la Vendée et dans la prise d'armes de vendémiaire. Le sentiment royaliste ainsi affaibli, la contrerévolution dut se transformer: elle conspira. La trahison concertée avec Pichegru fut le premier pas des Bourbons dans cette voie nouvelle; la tentative venait d'avorter par le rappel du général, quand Louis XVIII arriva sur les bords du Rhin.

Le séjour de ce prince à l'armé de Condé fut d'assez courte durée; les défiances de l'Autriche ne lui permirent pas de le prolonger au delà de quelques semaines. Ce fut à Blackenbourg, dans le duché de Brunswick, qu'il transporta sa petite cour. Il y arriva dans les derniers jours de juin 1796. Une fois installé dans cette résidence, il s'efforça d'imprimer une nouvelle activité et une direction uniforme aux nombreuses agences qui se formaient à cette époque sur tous les points de la république; toutes devaient porter leurs efforts sur la composition des administrations communales et départementales, sur les choix du corps électoral, et s'efforcer d'y faire dominer l'élément royaliste. Le renversement de la république par les pouvoirs légaux devint le mot d'ordre du parti. Les circonstances étaient favorables. Le pouvoir exécutif, partagé entre cinq personnes de caractères différents et d'opinions souvent opposées, manquait de décision et d'énergie; les bases du système électif, d'un autre côté, étaient assez larges pour permettre tous les choix; grâce à la liberté absolue dont jouissaient la presse, et la parole, on pouvait tout imprimer et tout dire. Les changements apportés depuis 1789 dans toutes les positions et dans toutes les fortunes, mettaient, en outre, à la disposition des royalistes, une masse considérable d'individus dont l'existence était déclassée, et auxquels venait se joindre la foule des mécontents de toutes les époques et des ambitieux trompés de tous les régimes. Ces nombreux éléments de trouble et d'agitation furent bientôt en

travail. Chaque matin, cinquante à soixante journaux provoquaient ouvertement au renversement de la république; chaque soir, plusieurs théâtres offraient aux applaudissements d'un public passionné, des pièces écrites dans un esprit hostile aux nouvelles institutions et au nouveau régime; dans tous les lieux de réunion publique, on n'entendait circuler que des propos calomnieux ou de grossières plaisanteries contre le Directoire, ses membres et ses ministrės.

Les membres de l'agence royaliste de Paris, dupes de ces manifestations que pourtant ils soldaient en partie, crurent leur triomphe assuré. Ils perdirent toute mesure. L'audace de leur langage et de leurs démarches contraignit le Directoire à sortir enfin de sa tolérance léthargique; le 31 janvier 1797, il adressa aux deux Conseils Législatifs (les Anciens et les Cinq-Cents) un message dans lequel il annonçait la découverte d'une vaste conspiration contre-révolutionnaire, l'arrestation des principaux coupables, et la saisie de leurs papiers. Parmi les individus arrêtés figuraient l'abbé Brottier et ses deux collègues Duverne de Presles et Lavilleheurnois. Ces arrestations et ces saisies, simple incident dans la lutte engagée entre la contre-révolution royaliste et le gouvernement républicain, mettaient aux mains du directoire quelques conspirateurs et quelques correspondances; mais elles ne lui livraient pas la conspiration. Le danger, pour la république, était ailleurs que dans l'agence et dans ses membres.

Pichegru n'avait point renoncé à ses projets de Restauration royaliste. Nommé, quelques jours après son rappel de l'armée, à l'ambassade de Suède, il avait refusé de quitter la France et s'était rendu à Arbois, sa ville natale, où ne tarda pas à le joindre un des agents les plus actifs de l'émigration. Cet agent lui remit 72,000 livres en or fournies, portion par Louis XVIII, portion par M. Wickham, résident anglais à Francfort, ainsi qu'une lettre du roi dont nous citerons les passages suivants :

« Je dépose en vos mains, Monsieur, toute la plénitude de ma puissance et de mes droits; faites-en l'usage que vous croirez nécessaire à mon service. Si les intelligences précieuses que vous avez à Paris et dans les provinces, si vos talents et votre caractère surtout pouvaient me permettre de craindre que quelque événement impossible à prévoir vous obligeât à sortir du royaume, c'est entre M. le prince de Condé et moi que vous trouveriez votre plàce. Si j'en connaissais une plus digne de vous, je vous l'offrirais.

« Je me flatte que M. Wickham continuera de fournir avec la même générosité les secours que vous pourrez désirer. Je sens combien ils deviennent nécessaires lorsqu'il faut plus que jamais former et diriger l'opinion publique. Ne négligez rien pour produire cet effet dont l'importance est si majeure.

«< M. Louis Fauche' vous remettra cette lettre; je lui ai donné mes pouvoirs, afin que, dans le cas où vous jugerez à propos de faire faire des démarches auprès des généraux de l'armée d'Italie, elles n'éprouvent pas le moindre retard: vous êtes le maître de décider à cet égard..

Cette lettre de Louis XVIII, datée de Mutzingen, le 9 juin 1796, faisait de Pichegru le chef politique de la contre-révolution; il accepta ce rôle. Nommé par ses compatriotes membre du conseil des cinq-cents, il se rendit à Paris, décidé à renverser la république à l'aide des pouvoirs politiques chargés de la maintenir. La majorité dans les deux conseils était nécessaire ; il s'efforça de l'obtenir en ralliant successivement autour de lui, d'abord, les membres que leurs opinions ou leurs intérêts attachaient encore à l'ancien régime; ensuite les monarchistes modérés, désignés sous le nom de constitutionnels de 89, puis un assez grand nombre de révolutionnaires repus qui désiraient placer leur position et leurs nouvelles richesses sous la protection d'un gouvernement plus solide que le gouvernement directorial. La coalition d'intérêts aussi divers ne pouvait être l'œuvre d'un jour. Ce travail était pourtant assez avancé quand l'arrestation des trois principaux membres de l'agence royaliste et la saisie

1. Fauche-Borel, ancien imprimeur à Neuchâtel (Suisse).

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de leurs papiers vinrent porter l'effroi parmi les conspirateurs des Conseils.

Ce trouble, toutefois, ne fut que passager. Le bruit causé par le message du Directoire ne tarda pas à se perdre au milieu du retentissement produit par les prodigieuses victoires de notre armée d'Italie et par les discussions violentes qui agitaient chaque jour les séances des Conseils eux-mêmes. Pichegru se remit donc à l'œuvre. Mais dans l'intervalle quelques dévouements avaient été ébranlés. Plusieurs pièces saisies chez l'abbé Brottier et publiées par le directoire annonçaient que les princes exilés n'avaient renoncé à aucune de leurs exigences, ni perdu aucune de leurs illusions. Pichegru fit comprendre à Louis XVIII la nécessité de calmer les inquiétudes des partisans d'une constitution. Ce prince lui adressa une proclamation où se trouvait ce passage:

« Français, nous avons dit à nos agents et nous leur répétons sans cesse: Rappelez notre peuple à la sainte religion de nos pères et au gouvernement paternel qui fut si longtemps la gloire et le bonheur de la France; expliquez-lui la constitution de l'État, qui n'est calomniée que parce qu'elle a été méconnue; intruisez-le à la distinguer du régime qui s'était introduit depuis longtemps; montrez-lui qu'elle est également opposée à l'anarchie et au despotisme; consultez les gens sages et éclairés sur les parties dignes de perfection dont elle est susceptible, et faites connaître les formes qu'il faut adopter pour travailler à son amélioration. »

Ce langage était fort différent de celui qu'avait tenu le même prince dans sa proclmation d'avénement'. Il n'exigeait plus, comme on le voit, le retour pur et simple au régime de 1788. Louis XVIII faisait enfin la part du temps; part bien faible, à la vérité, mais que Pichegru, dans ses commentaires officieux, prenait soin d'étendre et de grandir. Les élections de l'an y (mai 1797) vinrent ajouter aux forces de la conspiration; elle s'étendit et compta bientôt des complices jusque dans le sein

1. Voy. page 7.

du directoire lul-même. Barras, Rewbell, Laréveillère-Lépeaux, Carnot et Barthélemy étaient alors directeurs. Carnot savait l'existence de la conspiration, mais il en ignorait le but; mécontent de ses collègues et de la direction qu'ils donnaient aux affaires, scandalisé par des dilapidations qui se commettaient sous ses yeux et que ses réclamations isolées ne pouvaient empêcher, il acceptait sans répugnance la possibilité d'un changement dans la politique et dans le personnel du gouvernement. Barthélemy. était mieux instruit; les royalistes pouvaient compter sur son concours. Ce double appui, quelque puissant qu'il fût, ne donnait pas le gouvernement. Les trois autres directeurs, formant la majorité, constituaient par cela seul le pouvoir directorial. Cette majorité ne put être entamée; ce fut avec elle que la lutte s'établit.

Malgré le renfort apporté par les dernières élections, le parti royaliste n'avait pas davantage la majorité dans les deux conseils. Ses meneurs durent songer à gagner quelques corps de troupes auxquels on remettrait l'initiative ainsi que l'exécution matérielle du complot; Pichegru et ses collègues se réservaient le soin de compléter le mouvement, puis de le légaliser à coups de décrets. 80,000 livres sterling (2,000,000 de francs), envoyées par le cabinet de Londres pour faciliter l'opération, furent retenues ou dissipées par les mains auxquelles on les confia. Il fallut attendre de nouvelles ressources. D'un autre côté, à mesure qu'approchait le moment d'agir, les dissentiments qui séparaient les différents groupes dont se composait le parti, devenaient plus profonds. S'emparer du pouvoir ne suffisait pas. Quel serait le gouvernement du lendemain? Là on cessait de s'entendre. Les uns, comme nous l'avons dit, exigeaient le rétablissement de l'ancien ordre de choses; ceux-ci demandaient la constitution de 1791; ceux-là n'acceptaient la monarchie que dans les conditions existantes, c'est-à-dire avec Louis XVIII à la place du directoire. Le temps se perdait au milieu de toutes ces discussions que Pichegru s'efforçait en vain d'ajourner après la victoire.

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