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un échec sans importance. « Dans cette affaire, dit négligemment William Pitt à la Chambre des communes, le sang français seul a coulé. - Oui, sans doute, s'écria Sheridan indigné; mais en revanche l'honneur anglais a coulé par tous les pores. >> La cour de Londres se montra moins accommodante à l'égard de l'avortement inévitable du mouvement vendéen que le comte d'Artois devait appuyer de son nom et de sa personne: car, cette fois, la destruction du brave corps d'officiers qui, durant la guerre de l'indépendance américaine, avait si souvent battu les escadres anglaises dans les mers de l'Inde et sur l'Atlantique, ne pouvait plus compenser les frais de cette insurrection; aussi lord Grenville, parlant du retour inopiné du comte d'Artois à MM. de Woronzoff et de Starenberg, ambassadeurs de Russie et d'Autriche, se plaignait en ces termes :

<«< Vous connaissez, Messieurs, les efforts et les sacrifices que le gouvernement britannique n'a cessé de faire pour les royalistes; vous savez que M. le comte d'Artois ayant désiré aller en Vendée, nous avons mis en mer une expédition digne de S. A. R. Mais à peine embarquée, S. A. a fait des démarches pour revenir; voici deux lettres originales par lesquelles elle demande instamment son retour. Je ne lui ai pas répondu; et cependant j'apprends que S. A. est arrivée d'elle-même sur le Jason; faites donc quelque chose pour ces gens-là ! »

Le découragement exprimé par lord Grenville avait également gagné la Prusse, quand, trois mois avant le second soulèvement de la Vendée, elle s'était décidée à signer le traité de Bâle et à reconnaître la république française. L'irritation qu'avaient donnée au cabinet de Berlin les folles illusions et les allures fanfaronnes de l'émigration, était allée même plus d'une fois jusqu'à la colère. Les émigrés, dans plus d'une circonstance, eurent à se plaindre de la brutalité des soldats prussiens et des autorités prussiennes; on ne se contenta pas de les injurier, on les maltraita. La paix faite, les émigrés purent, en outre, lire cette inscription sur des poteaux plantés à la porte des villes ainsi

qu'aux carrefours des routes de la Prusse et de quelques petits États qui avaient accédé au traité de Bâle : Défense de passer aux vagabonds et aux émigrés. Ceux-ci surent se venger; ils écrivirent à leurs amis, ils imprimèrent dans leurs brochures << que les soldats de Frédéric-Guillaume étaient dignes de fraterniser avec les patriotes et que tous les généraux prussiens étaient des philosophes. »

La Prusse, nous l'avons dit, avait fait la guerre dans des vues de conquête et de partage, beaucoup plus que dans l'intérêt de la royauté française et de l'émigration. Le même mobile avait armé l'Autriche. Mais il existait cette différence dans la position des deux cours, que le cabinet de Berlin, n'ayant pas perdu un seul village dans la lutte, avait pu traiter sans faire ni demander le moindre sacrifice, tandis que le cabinet de Vienne, auquel la guerre avait enlevé la Belgique, devait poser comme condition première de toute négociation la restitution de ce riche territoire. La restitution fut demandée. Le gouvernement républicain avait répondu d'avance en déclarant les provinces belges partie intégrante de la république. Décidée à les recouvrer, l'Autriche continua la guerre. C'étaient la méfiance ombrageuse et les mauvais vouloirs de cette puissance qui avaient en grande partie décidé le voyage puis le séjour de Louis XVIII en Italie; la continuation des hostilités força ce prince à changer encore une fois de résidence.

Le directoire voulut pousser cette guerre avec vigueur. En même temps qu'il faisait attaquer l'Autriche sur le Rhin, il lançait une armée sur les possessions italiennes de cette puissance. Les troupes françaises chargées d'opérer de ce côté furent confiées à Bonaparte; on sait la rapidité de sa marche et de ses

1. Voici la traduction littérale d'un avis affiché par ordre du landgråve de Hesse-Cassel à l'entrée de toutes les villes et de tous les bourgs de son landgraviat :

« Il est défendu à tous juifs, mendiants, vagabonds, ou émigrés français, de séjourner plus de vingt-quatre heures dans ce lieu.»>

premiers succès. Effrayé par l'approche de nos régiments, qui venaient de signaler leur entrée en Italie par la victoire de Montenotte, redoutant d'attirer sur lui la colère du vainqueur en tolérant plus longtemps sur ses domaines le séjour du chef de l'émigration, le gouvernement vénitien chargea le sénateur Carlotti de signifier à Louis XVIII l'ordre de quitter immédiatement le territoire de la république, Voici la réponse du prince à cette notification :

« Je partirai; mais j'exige deux conditions, la première, qu'on me présente le livre d'or où ma famille est inscrite, afin que j'en raye le nom de ma main; la seconde, qu'on me rende l'armure dont l'amitié de mon aïeul Henri IV a fait présent à la république. »

L'agent du sénat fit à cette protestation une réponse que Louis XVIII refusa de recevoir. La notification avait eu lieu le 13 avril 1796; le 21, huit jours après, le prince prit la route du Brisgaw; il se rendait au quartier général du prince de Condé. Cette direction nouvelle lui était indiquée par une négociation entamée depuis plusieurs mois entre le prince et le général Pichegru, négociation que des nouvelles assez récentes présentaient comme arrivée à son terme.

Pichegru n'était pas de ces hommes pour qui l'estime publique et le sentiment d'une gloire justement acquise sont la récompense suffisante des services rendus; le cœur chez lui n'était pas au niveau de l'intelligence. Jaloux de toutes les réputations qui s'élevaient à côté de la sienne, on l'entendait journellement blâmer les opérations des autres généraux en chef, ainsi que les ordres du gouvernement qui les lui donnait pour collègues. D'un autre côté, les grands commandements, à cette époque de notre histoire révolutionnaire, n'avaient pas encore donné aux généraux en chef une grande existence ni une grande fortune. La probité sévère imposée par la Convention à tous ses délégués, et dont la tradition vivait encore dans les hauts rangs de l'ar

mée, était un nouveau grief de Pichegru contre l'établissement républicain.

Il était difficile que son mécontentement échappât aux agents que l'émigration, aidée par les subsides de l'ennemi, entretenait près des quartiers généraux voisins de la frontière. Les régiments commandés par Pichegru composaient l'armée de Rhin-et-Moselle; échelonnés sur la rive gauche du Rhin, depuis Huningue jusqu'à Mayence, ils faisaient face à l'armée de Condé, disséminée par détachements le long de la rive droite. Un de ces hardis entremetteurs politiques, qui sont à la recherche de toutes les corruptions, cut la pensée de mettre ce voisinage à profit pour gagner Pichegru. Il parvint jusqu'à lui. Pichegru l'écouta; la négociation fut immédiatement entamée. La dignité de maréchal de France et le gouvernement de l'Alsace, le cordon rouge, le château de Chambord avec son parc, un million comptant, une rente de 200,000 livres et un hôtel à Paris, voilà quelles furent les offres faites à Pichegru qui les accepta, heureux de se livrer à des conditions si magnifiques. On exigea des gages. Pichegru, chargé de combinér un mouvement en avant de Mayence avec l'armée de Sambre-et-Meuse, fit manquer l'opération en laissant forcer ses lignes et enlever toute son artillerie par Clairfayt. Les gages étaient donnés, on s'occupa de conclure; là les deux parties cessèrent de s'entendre. Pichegru voulait passer le Rhin, grouper autour de lui l'armée autrichienne et l'armée de Condé, puis, la jonction faite, proclamer Louis XVIII, arborer le drapeau blanc, repasser le fleuve à la tête de toutes ces forces, et marcher sur Paris après avoir successivement occupé toutes les places mises sous son commandement, et qu'il aurait confiées d'avance à des officiers gagnés au complot. Ce plan était repoussé par le prince de Condé. Ce prince désirait que le mouvement fût exclusivement français; il voulait que Pichegru débutât par lui livrer Huningue, et deux autres places où les émigrés proclameraient euxmêmes le roi, et arboreraient le drapeau blanc; et c'était

seulement après l'accomplissement de ces préliminaires qu'il consentait à mêler ses soldats à ceux de Pichegru et à marcher ensemble sur Paris. Chacun d'eux, comme on le voit, se disputait le premier rôle. Disons-le pourtant : dans cette discussion, le prince émigré montrait un sentiment de nationalité que n'avait pas le général de la république. Ce n'est pas tout : Pichegru, avant d'arborer le drapeau blanc, voulait des garanties plus solides que les promesses transmises par les intermédiaires de la négociation; il exigeait un engagement écrit de la main du prince. Ce dernier éluda longtemps la demande. Sa résistance ne prenait pas sa source dans le dégoût qu'inspire la trahison à tous les cœurs honnêtes ; ce qui lui répugnait, c'était d'abaisser l'orgueil de son rang et de sa race au point d'entrer en correspondance directe, écrite, avec un parvenu républicain. Il dut pourtant céder; il écrivit '.

Les échecs si bénévolement essuyés par Pichegru devant Mayence avaient éveillé les soupçons du Directoire. Quelques indices sur la négociation qui se suivait augmentèrent sa défiance. Pichegru, dans les premiers jours d'avril 1796, reçut inopinément l'ordre de quitter l'armée, et se vit obligé de se rendre à Paris.

La contre-révolution royaliste, à cette époque, entrait dans un nouvel ordre d'efforts. Jusqu'à ce moment, elle avait procédé par voie d'insurrection. Mais le nombre, ainsi que l'énergie des

1. Voici quelques détails sur la lutte qu'un des négociateurs de l'affaire eut à soutenir contre le prince de Condé pour obtenir cette lettre; c'est le comte de Montgaillard lui-même qui raconte :

« Il fallut neuf heures de travail, assis sur son lit, à côté de lui, pour lui faire écrire au général Pichegru une lettre de neuf lignes. Tantôt il ne voulait pas qu'elle fût de sa main; puis il ne voulait pas la dater; puis il ne voulait pas l'appeler le général Pichegru, de peur de reconnaître la république en lui donnant ce titre; puis il ne voulait pas y mettre l'adresse; puis il refusait d'y apposer ses armes ; enfin il combattit pour éviter d'y placer son cachet. Il se rendit à tout enfin, et lui écrivit qu'il devait ajouter pleine confiance aux lettres que je lui avais écrites en son nom et de sa part.» (Pièces trouvées à Venise, dans le portefeuille du comte d'Antraigues, p. 9.)

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