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téressaient réellement que son amour-propre. Il conservait une puissance politique plus considérable et des limites plus étendues que les limites et la puissance dont il avait hérité, soit comme premier consul, soit comme empereur. Mais, habitué jusques alors à dicter ses volontés, sa fierté se révoltait à la pensée de subir les conditions d'adversaires tant de fois vaincus. II résista d'abord opiniâtrément à la suppression de ses titres de protecteur et de médiateur; à ses yeux, accepter cette renonciation, c'était déchoir : il débattít avec non moins de vivacité les deux questions d'Espagne et de Hollande. Les puissances tinrent ferme sur la suppression des titres; elles consentirent à réserver la discussion quant aux deux dernières questions. Cet ultimatum, résultat de longs débats, fut signifié à Napoléon, par l'Autriche, le 7 août, trois jours avant l'expiration de l'armistice; les alliés l'avertirent que si le 10 au soir il n'avait pas accepté, le congrès serait irrévocablement rompu et les hostilités reprises dès le lendemain.

Obligé de se prononcer, Napoléon flotta durant deux jours entre les résolutions les plus opposées : ce fut seulement le 10,, assez tard, qu'il chargea le général autrichien comte de Bubna, alors en mission à Dresde, de porter enfin sa réponse à l'empereur François II. Il consentait : 1o à l'abandon des provinces illyriennes, Trieste comprise, la frontière entre ces provinces et le royaume d'Italie devant être formée par l'Isonso; 2° à l'abandon du grand-duché de Varsovie au profit des trois puissances; 3o à la renonciation de ses titres de protecteur de la confédération du Rhin et de médiateur de la confédération suisse. Mais il ne s'expliquait qu'en termes assez vagues sur lá reconstitution de la Prusse, et ne disait rien de la garantie réciproque demandée pour l'intégrité territoriale de chaque puissance. Quant à la Hollande et aux villes anséatiques, Napoléon s'engageait à ne retenir ces possessions que jusqu'à la paix, et comme moyen de compensation pour obtenir de l'Angleterre la restitution des colonies françaises.

Ces concessions ne donnaient pleine satisfaction qu'à l'Autriche. C'était cette puissance, à la vérité, que Napoléon désirait surtout flatter et retenir. Sa confiance fut trompée. L'instant fatal fixé pour la rupture du congrès était sonné depuis plusieurs heures, quand arriva M. de Bubna: un geste, un mot de l'Autriche pouvaient renouer la négociation; mais cette puissance avait terminé ses armements; elle demeura immobile et muette; la guerre, aux termes de l'armistice, dut immédiatement recom

mencer.

Les alliés étaient-ils de bonne foi? Napoléon, de son côté, avait-il la ferme intention de traiter? Les alliés ne croyaient pas à la sincérité de leur adversaire; de là les premières lenteurs du congrès et le terme absolu assigné à ses délibérations. Malgré cette défiance et les engagements pris avec l'Angleterre, ils auraient probablement traité sur les bases proposées le 7 août, si Napoléon les avait sérieusement acceptées; les subsides promis par la cour de Londres, bons tout au plus pour solder les premiers frais d'une campagne, ne pouvaient certes pas entrer en balance avec les dépenses énormés, les sacrifices sans limites d'une lutte nouvelle, acharnée, dont le succès, d'ailleurs, restait incertain. Quant à Napoléon, désirant la paix, mais voulant sinon la dicter, du moins ne pas la subir, croyant, d'ailleurs, la France inépuisable, et refusant d'admettre que les nations, ainsi que le lui avait écrit le duc de Bassano le 9 mai précédent, se fatiguent de la nécessité de vaincre toujours, il trouvait exorbitantes les conditions exigées par les alliés, et il ne put se résoudre à les accepter. M. de Narbonne et le duc de Vicence étaient ses plénipotentiaires; non-seulement le premier, arrivé seul, le 5 juillet, à Prague, pour l'ouverture du congrès, ne reçut ses instructions que le 16; mais Caulaincourt, sans qui M. de Narbonne ne pouvait traiter, n'avait rejoint son collègue que le 28, douze jours avant le terme assigné à la durée des conférences. D'un autre côté, les trois jours donnés par les alliés à l'empereur, pour répondre à leur ultimatum, étaient un

délai suffisant; un courrier pouvait, en neuf ou dix heures, franchir les trente-cinq lieues qui séparaient son quartier général (Dresde) de la capitale de la Bohême. Sa réponse, d'ailleurs, était un refus véritable; on exigeait une acceptation pure et simple, et il envoyait une contre-proposition. Lui-même, au reste, l'a dit : « Les conditions du congrès étaient excessives et faites évidemment dans l'opinion qu'elles seraient rejetées 1. »

La reprise des hostilités amena sur la scène deux acteurs nouveaux, tous deux anciens généraux de la république, Bernadotte et Moreau.

Les intérêts de la Suède, que blessait profondément le blocus continental, peuvent faire comprendre l'accession de cette puissance à la coalition des trois grandes cours du Nord contre l'empire français et son chef; mais ce que l'on comprend moins, ce que rien ne saurait justifier, c'est le rôle que prit Bernadotte dans la lutte. Général en chef des armées de la république, ministre de la guerre à deux reprises différentes sous le Directoire, maréchal et prince de Porte-Corvo sous l'empire, il n'aurait jamais dû oublier qu'il devait à la France et à l'empereur sa nouvelle position, ainsi que le trône qui l'attendait. On a dit, pour excuser ce prince, que l'empereur avait contrarié son élection. Ce reproche n'est pas fondé. La Suède, à cette époque, gravitait dans l'orbite impérial, et ce fut précisément son double titre de maréchal de l'empire et d'allié de la famille de Napoléon2 qui fixa sur Bernadotte le choix des États suédois. Cette élection n'aurait pas eu lieu si l'empereur y avait apporté la moindre opposition, et Bernadotte lui-même n'aurait pas accepté si Napoléon, malgré les fautes graves du maréchal à Iéna et à Wagram, ne le lui avait point permis. « Pour prendre femme, a dit Napoléon à l'occasion du rôle de Bernadotte en 1813, on ne renonce pas à sa mère; encore moins est-on tenu à lui percer le sein

1. Mémoires de NAPOLÉON dictés au comte de Montholon, t. II, p. 222. 2. Joseph Bonaparte et Bernadotte avaient épousé les deux sœurs.

et à lui déchirer les entrailles. » Ce blâme énergique n'a rien d'exagéré. Si le prince royal de Suède avait eu le cœur au niveau de l'intelligence', il aurait compris que dans cette lutte sa place était à Stockholm, non à l'armée; il aurait laissé à un autre général suédois le soin de guider les coups portés à nos soldats par ses nouveaux compatriotes. Mais, comme le vulgaire des ambitieux, il se laissa entraîner par la pensée d'arriver encore plus haut qu'il n'était monté. Alexandre, dans une conférence qu'ils eurent à Abo, lui avait fait entrevoir la succession de Napoléon comme le but où il pouvait aspirer. Cette vision éblouit Bernadotte et lui fit oublier ce qu'il devait à son ancienne patrie, à sa propre gloire et au souverain qui avait eu la générosité de lui laisser prendre une couronne.

Si la conduite de Bernadotte fut coupable, on peut du moins l'expliquer. Il est plus difficile de comprendre le rôle de Moreau. Condamné à deux ans de prison par les juges qui envoyèrent Georges Cadoudal et quelques-uns de ses complices à l'échafaud, Moreau avait été gracié par Napoléon. Il y a plus: conduit sur sa demande à la frontière d'Espagne, et prenant congé du colonel de gendarmerie chargé de l'accompagner jusque là, il avait dit à cet officier : « Je vous donne ma parole « d'honneur que si la guerre avait lieu, et si l'empereur avait « besoin de moi, il n'aurait qu'à me le faire savoir; je revien<< drais plus vite que je ne m'en vais. » Réfugié aux États-Unis, à quelque temps de là, ce ne fut pas Napoléon qui le rappela en

1. On lit dans les Considérations sur la Révolution française, de madame de Staël :

<< Lorsqu'on vint annoncer à Bernadotte que les Français étaient entrés dans Moscou, les envoyés des puissances à Stockholm, alors réunis chez lui, étaient consternés; lui seul déclara fermement qu'à dater de cet événement la campagne des vainqueurs était manquée. Et, s'adressant à l'envoyé de l'Autriche dont les troupes, à cette époque, faisaient partie de l'armée de Napoléon « Vous pouvez le mander à votre empereur, lui dit-il; Napoléon est << perdu, bien que cette prise de Moscou semble le plus grand exploit de sa « carrière militaire.» J'étais près de lui quand il s'exprima ainsi, et j'avoue que je ne croyais pas entièrement à ses prophéties. »>

Europe; il y reparut sur l'invitation d'Alexandre qui, peu confiant dans l'habileté de ses généraux et dans le talent de ceux de ses alliés, voulut opposer à Napoléon un des hommes que la bravoure de nos armées républicaines avait le plus grandis, et que l'Europe, trompée par les exagérations des ennemis de l'empereur, regardait comme son rival dans l'art de la guerre. Voici la lettre que le tzar écrivit à Moreau et que lui remit M. Hyde de Neuville qui, également retiré aux États-Unis, depuis la dispersion de la dernière agence royale, et resté en correspondance avec la petite cour d'Hartwell, joua, assure-ton, un rôle actif dans cette négociation:

« Monsieur le général Moreau, connaissant les sentiments qui vous animent, en vous proposant de vous approcher de moi, je me fais un plaisir de vous donner l'assurance formelle que mon unique but est de rendre votre sort aussi satisfaisant que les circonstances pourront le permettre, sans qu'en aucun cas vous soyez exposé à mettre votre conduite en opposition avec vos principes. Soyez persuadé, monsieur le général Moreau, de toute mon estime ainsi que de mon affection.

«< ALEXANDRE. >>

Lors même qu'il n'existerait contre la mémoire de Moreau que cette demande de service, ce fait accuserait déjà tout son passé; on ne demande pas la trahison à qui l'on sait incapable de trahir. Non-seulement Moreau ne repoussa pas la proposition d'Alexandre, mais il mit un tel empressement à se livrer que, débarqué au port suédois de Gottenbourg, le 26 juillet 1813, il était à Prague le 10 août, jour de la rupture du congrès, discutant les plans des coalisés. On raconte que, dans une entrevue avec Bernadotte, à son passage à Stralsund, il essaya de masquer l'odieux de son nouveau rôle par la nécessité de rendre à la France les droits politiques et la liberté que Napoléon lui avait ravis. « Prenez garde, général, lui dit le nouveau prince suédois, les Français ne reconnaîtront jamais le vain<«<queur de Hohenlinden sous l'uniforme russe ! » Si Moreau,

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