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des pièces, des caractères et des morceaux universellement admirés, ils gagnent à n'avoir rien de plus.

Voilà quelles considérations nous ont engagés à offrir, de toutes les pièces de Shakspeare, une analyse complète et détaillée, scène par scène, afin de laisser le lecteur suivre l'action dans tous ses développements heureux ou bizarres. Sur tout ce qui choque, l'analyse passe comme un trait; mais, si nous rencontrons quelques grandes beautés dans une scène, nous les citons textuellement; si la scène tout entière nous semble belle, nous la citons tout entière.

Aucun passage, quelle qu'en soit l'étendue, n'est cité en français dans le texte, sans se trouver en anglais au bas de la page. C'est un moyen de faciliter ou de perfectionner l'étude de cette langue.

Du reste, nous avons fait main basse sur tout ce qui nous a paru détail oiseux, trivialité, conversation commune. C'est ainsi que, malgré les nombreuses additions de texte anglais, nous avons pu réduire à deux volumes les treize dont se compose la traduction de Letourneur, telle que l'ont publiée MM. Guizot et A. P. Nous nous sommes permis toutefois de mêler quelques changements à nos emprunts, non dans la pensée présomptueuse de faire mieux que des écrivains aussi distingués; mais telle expression, qui ne messied pas au milieu d'un ouvrage pris dans son ensemble, pouvait avoir mauvaise grâce, considérée isolément.

Peut-être nous accusera-t-on d'avoir mutilé Shakspeare. Qu'on nous permette, à ce propos, de raconter une anecdote que nous tenons d'un jeune peintre de nos amis. C'est lui qui parle :

Pendant mon séjour à Rome, j'allais souvent voir

Canova. Un jour, je le trouvai dans une vive agitation. Un potier de terre de Velletri, qui avait la passion et l'instinct de la sculpture, venait de lui apporter une statue. Soit rencontre, soit inspiration, la tête était pleine de génie, le torse admirable; mais les jambes, les épaules, les bras, posés sans art, bizarrement modelés.

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Quelle belle statue il a manqué de faire» ! répétaitCanova d'un ton d'impatience. Le lendemain, je retourne à son atelier. Jambes, bras, épaules, gisaient à terre, épars et brisés; et j'aperçus Canova en contemplation devant le «Voyez, s'écria-t-il, quelle statue parfaite! il n'y manque plus rien. » C'est qu'il n'avait besoin que de détruire la réalité des défauts, pour que son imagination, n'en étant plus offusquée, pût contempler la beauté de la statue. >>

reste.

Quand il n'y a qu'à briser, toute main vaut celle d'un Canova, et l'imagination des lecteurs français suffira de reste à l'application de l'anecdote.

Nota. A la fin du second volume, le lecteur trouvera une table alphabétique de tous les noms des personnages de Shakspeare, avec l'indication des pièces auxquelles ils appartiennent, et de la page où ils commencent à figurer dans l'analyse. Les fréquentes allusions que font les auteurs de l'Angleterre aux nombreux héros de leur poëte favori peuvent rendre cette table utile à tous ceux qui étudient la langue anglaise, ou qui lisent des traductions de l'anglais.

VIE

DE SHAKSPEARE.

On ne sait presque rien sur Shakspeare, et c'est un aveu que nous ne faisons pas sans regret : ses ouvrages inspirent tant de sympathie pour leur auteur! Tous les caractères éclos de son imagination sont devenus comme des êtres vivants pour ·la nôtre; faut-il que son propre caractère nous soit inconnu ? Lui, qui a peint notre nature jusque dans ses plus secrets détails, et nous a, pour ainsi dire, révélé la partie anecdotique de l'histoire du cœur humain, avec quel plaisir n'irions-nous pas, à l'aide d'une anecdote familière, le surprendre dans son intérieur, dans ses habitudes, dans ses petites faiblesses? Et quelle étude d'ailleurs nous y perdons! Puisque les passions et les sentiments ne sont pas choses qui se devinent, pour en produire au dehors de telles images songeons à ce qu'une ame si ardente a dû elle-même éprouver et souffrir.

On s'étonne, après tant de siècles, d'ignorer la destinée d'Homère; mais Shakspeare nous touche; il appartient au dernier renouvellement de la civilisation : il est des nôtres. Comment expliquer une telle pauvreté de souvenirs à un si court intervalle? Peut-être par une méprise des contemporains. Quelques-uns d'entr'eux avaient beau devancer pour lui le jugement de la postérité; la plupart, voyant un chétif comédien accumuler nouveautés sur nouveautés pour soutenir son théâtre, n'avaient garde de reconnaître en lui le plus grand poëte dont l'Angleterre dût jamais avoir à s'honorer. Ainsi, par une fatalité dont les exemples ne sont pas rares, on ne

s'avisa guère de la supériorité de l'auteur, que quand l'homme n'exista plus.

William Shakspeare naquit dans un jour de printemps, le 23 avril 1564, à Stratford-sur-l'Avon, dans le comté de Warwick. Son père, John Shakspeare, y faisait un commerce considérable de laines; il avait été revêtu des fonctions d'alderman et de grand-bailli; il tenait même d'un de ses aïeux, attaché au roi Henri VII, quelques fiefs et les titres d'une noblesse dont, plus tard, stimulé sans doute par les succès de William, il se fit accorder les armoiries (*). L'enfance du poëte fut donc élevée au milieu des dignités provinciales de son père, et il n'avait que douze ans lorsque furent célébrées dans le voisinage les fêtes splendides du château de Kenilworth. Ces impressions premières, déposées de si bonne heure dans son esprit, s'y retrouvèrent sans doute plus tard, comme une inspiration native de force et de magnificence.

On l'envoya quelque temps étudier dans une école publique, où il apprit le peu de latin qu'il sut jamais; mais, comme il était plus âgé que ses autres frères, et que son père avait essuyé quelques revers de fortune, il fut rappelé vers l'âge de quinze ans dans une famille malaisée, qu'il dut aider de son travail. On a dit que John exerçait alors l'état de boucher, et que son fils, qui lui servait de second, chaque fois qu'il avait à tuer un veau, assemblait les voisins, et prononçait avec pompe une ha

(*) Parmi les diverses pièces de ces armoiries, une lance se trouve ¡ndiquée. Shakspeare signifie, en anglais, secouer une lance. Faut-il voir dans ce nom adopté par la famille une allusion à quelques faits d'armes du serviteur de Henri VII, ou la lan ce n'a-t-elle pris place dans les armoiries que par allusion au nom de la famille qu'on anoblissait ?

rangue, comme pour un sacrifice d'une solennité grecque ou romaine.

Malone rapporte qu'il obtint ensuite un emploi d'intendant de campagne, ou de sénéchal de quelque terre seigneuriale des environs.

Nous ne sommes guidés que par quelques traditions incertaines et obscures.

Shakspeare était-il boiteux ? Homère était-il aveugle? Circonstance bien affirmée, bien incertaine, et assez indifférente pour nous.

On serait plus curieux de savoir à quelle religion il appartenait, à cette époque où, malgré le triomphe du protestantisme, l'ancien culte ralliait encore de nombreux partisans. On est presque tenté de le croire catholique (*), quand on se rappelle qu'il s'est complu à représenter sous les traits les plus vénérables plusieurs prêtres de cette croyance; et que, sans une défense expresse de la reine Élisabeth, il eût immolé au ridicule le nom d'un des anciens martyrs de la réforme naissante (**).

Livré à des occupations rustiques, il courait à des plaisirs plus grossiers encore. D'un village voisin était venu à Stratford un défi bien anglais; il s'agissait de décider si les Stratfordiens boiraient plus de bière que les champions qui les provoquaient. Shakspeare descendit avec ses camarades dans l'arène de cette lutte joyeuse. La victoire resta au parti ennemi, et les vaincus firent

(*) Comme son père, dont un hasard singulier a révélé les croyances religieuses. En 1770, un couvreur trouva, sous les tuiles de la maison où était né William, le manuscrit d'une profession de foi catholique, en quatorze articles, commençant tous par ces mots : Moi John Shakspeare.

(**) Le nom d'Oldcastle, remplacé depuis par celui de Falstaff. Voir la seconde partie du roi Henri IV.

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