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Christ, en présence des écoliers de l'université de Cambridge.

Un autre professeur du même collége, Thomas Preston, donna, dix ans plus tard, et déjà sous le règne d'Élisabeth, une tragédie de Cambyse, qui est digne de remarque, en ce qu'elle tient le milieu entre la novice et gauche imitation des chefs-d'œuvre antiques, et la repro duction perfectionnée du genre des moralités. Rien n'est piquant, en toute matière, comme une époque de transition. N'est-il pas curieux, par exemple, de voir le personnage allégorique du Vice, ce moteur obligé de l'action, dans les pieuses ébauches de la scène, maintenir encore ici son nom et sa place, mais pour ne jouer que le rôle d'un bouffon de cour, d'un de ces fous qu'entretenaient auprès d'eux les rois du moyen âge? Jadis objet de terreur, il n'est plus que ridicule. Quel costume pour le tentateur du genre humain, qu'un sac sur la tête en guise de casque, et une écumoire au lieu d'épée !

Du reste, on nage dans le sang; tout se passe en horreurs et en bouffonneries; et, entre deux crimes de Cambyse, l'assassinat de son fils et celui de sa femme, le Vice apporte un plat de noix qu'il renverse sur la scène. On sourit, en voyant figurer, dans la liste des personnages, d'anciens noms persans, avec des divinités païennes, et les allégories d'un christianisme puéril, lord Smirdis, Praxaspes, Vénus, Cupidon, la Cruauté, la Préparation, la Preuve, la petite Habilité. Les moyens de représentation répondaient à la conception de l'ouvrage. Un acteur était chargé de plusieurs rôles à la fois; et, dans toute la tragédie, ne se trouve peut-être pas un trait plus réjouissant que celui ci-après, copié sur la même liste :

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Si l'auteur eût eu affaire à un auditoire moins grossier, il n'eût pas eu tort de lui demander indulgence et conseils, comme il le fait dans l'épilogue, où il prie qu'on tolère la simple action de sa pièce, en attendant, dit-il, que le temps amène un meilleur écrivain pour façonner d'autres ouvrages.

Son vœu, sincère ou non, allait être exaucé au moment où il le formait. La tragédie prend tout à coup un plus noble essor, et devance la comédie par l'apparition de Gorboduc, la première pièce originale de l'Angleterre qui soit suivie et raisonnable. Il faut peu s'en étonner; le drame tragique est par-tout le premier fruit de la jeunesse des sociétés, comme souvent de celle des écrivains.

Thomas Sackville, "auteur de Gorboduc, joua un assez grand rôle dans les affaires de son pays, et mena de front les succès de la diplomatie et ceux de la littérature. Sorti d'une famille opulente, lui aussi il avait, dans sa jeunesse, étudié les lois à Inner-Temple, non moins fertile pépinière de poëtes que de jurisconsultes. Il associa de bonne heure la culture de la poésie à l'aride apprentisde la législation, se préparant ainsi à écrire en vers son Miroir des Magistrats, composition originale, où il donna aux Anglais l'exemple d'appliquer l'art du rythme et de l'élégance aux événements sérieux de l'histoire de leur patrie. Nous verrons plus tard que ce

sage

grand exemple ne fut pas perdu. C'est par là sur-tout que Sackville a fondé sa renommée, et de son temps elle fut immense; son double talent d'homme d'état et d'écrivain le porta aux plus hautes dignités de l'Angleterre. On regrette de trouver une tache dans cette vie si glorieuse. Sackville vota, dans les conseils d'Élisabeth, pour la mort de Marie Stuart. Tel était cependant l'éclat qui l'environnait, que le fils de Marie, Jacques 1, parvenu au trône, ne voulut pas se souvenir de cette circonstance, et créa comte de Dorset l'assassin juridique de sa mère. Mais l'oubli des offenses, qui sied si bien aux rois, n'a rien de commun avec la justice de l'histoire.

Il est évident que Sackville, en écrivant Gorboduc, ne conçut pas une pensée plus haute que celle de jeter un sujet à peu près national dans le moule consacré du drame grec. Quoiqu'il n'observe pas la rigoureuse unité de temps, que nous avons prêtée aux anciens en croyant la leur emprunter, l'action de sa tragédie est d'une grande simplicité, et presque tout entière en récits.

Gorboduc, roi fabuleux de la Bretagne (son règne remonte à six cents ans avant Jésus-Christ), partage ses états entre ses deux fils Ferrex et Porrex. La discorde se met bientôt entre les deux princes; et le plus jeune, Porrex, tue son frère. La reine, qui aimait tendrement son fils aîné, venge sa mort en assassinant le meurtrier. Ému par tant d'horreurs, le peuple se soulève; Gorboduc meurt de chagrin, et la reine est tuée par les rebelles.

Cette pièce est entremêlée de choeurs; et elle offre surtout une particularité singulière. D'un acte l'autre, sont indiqués des intermèdes, espèce de panto.

a

mimes (*) qui, par des emblèmes et des allusions, préparent les événements, en expliquent les causes, les résultats. C'est ainsi, par exemple, qu'en avant du premier acte est jetée, en guise de prologue, la fameuse allégorie du faisceau qu'on ne peut briser qu'après la séparation des dards, ingénieux moyen de faire prévoir les conséquences du partage médité par Gorboduc.

Ne taisons pas qu'on distingue, dans ce premier essai d'un drame régulier, quelques traits d'éloquence, des sentiments nobles, et sur-tout des maximes politiques qui sentent l'homme d'état, quelquefois aussi, par malheur, le ministre d'une reine absolue. La doctrine de l'obéissance passive y est traitée ex professo dans des vers fanatiques, que l'auteur aurait pu inscrire au bas de sa signature sur la sentence de Marie Stuart.

Tandis que l'importation des formes de la tragédie grecque semblait devoir assujettir long-temps le théâtre anglais à un goût servile peut-être, mais pur et simple, une lutte en sens contraire était engagée par un auteur bizarre, nommé Lillie, qui, entr'autres pièces, en composa une, intitulée Campaspe, mais dont la célébrité repose principalement sur un ouvrage qui exerça en Angleterre la même influence, et plus grande encore, que chez nous les romans de mademoiselle Scudéry. Le titre de cet ouvrage en désigne le but: Euphuès (**) et son Angleterre. Le cadre adopté par l'auteur est celui d'un roman; son style, une prose systématiquement boursoufflée; quant à

(*) Dumb Show.

(**) C'est un mot grec qui signifie: doué d'une heureuse nature, de facultés supérieures.

son dessein, il ne s'agissait de rien moins que de créer un langage à part pour les personnes du bon ton, une sorte de franc-maçonnerie de belles pensées et de bien-dire. L'abus de la métaphore et de la comparaison, l'hyperbole, les plus étranges alliances de mots, et un débordement d'épithètes; voilà ce qu'il donnait et ce qu'on prit sur sa parole pour la véritable élégance. Walter Scott, dans le roman du Monastère, introduit, dans la personne de sir Shafton, un apôtre et comme un représentant de l'Euphuïsme, et nous montre quelle vogue obtint d'abord cette mode folle et nouvelle. L'Euphuïsme se parla long-temps à la cour d'Élisabeth, et de là, s'attaquant à la franchise d'esprit d'une nation maritime et commerçante, il pénétra peu à peu sur le théâtre, pour y corrompre de sa contagion l'expression des sentiments les plus naturels.

C'est à cette invasion d'une fausse poésie dans le langage usuel et courant, qu'on doit demander compte des subtilités et de l'affectation qui nous froissent si souvent dans Shakspeare. Sans doute, son heureux génie lui faisait sentir la niaiserie de ces bulles de savon vides et gonflées, et il semble même avoir eu en vue de ridiculiser ce genre, dans une de ses comédies (*). Mais il n'est pas le seul réformateur qui ait commencé par subir l'influence de ce qu'il devait combattre plus tard. Quand le mauvais goût est universel, il est plus facile d'en rire que de s'en préserver. Il s'imprègne dans l'esprit insensiblement, comme les odeurs dans une étoffe. Notre Molière lui-même, qui bafoua les précieuses ridicules, n'a-t-il pas été taxé par Labruyère d'obscurcir quelque

(*) Voir les Peines d'amour perdues.

T. I.

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