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DU THÉATRE ANGLAIS AVANT SHAKSPEARE. xix saintes, par l'attrait des tableaux animés de tant de miracles qui saisissaient fortement ces imaginations naïves? Chaque corporation avait sa pièce attitrée; nous déchiffrons une liste de mystères représentés à Chester, sous Édouard 111, en 1327 : la Cène par les boulangers, la tentation par les bouchers, le massacre des innocents par orfèvres. On voit qu'il ne s'agissait pas même de chercher un rapport entre le sujet des pièces et l'esprit des professions; autrement, les orfèvres auraient bien pu changer avec les bouchers.

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Les miracles des saints alternaient avec les mystères de la bible et de l'évangile, et l'on en retrouve, jusque dans le 12° siècle, des traces voisines de la conquête normande. Goventry luttait avec Chester pour l'éclat de ces parodies, qui auraient été sacriléges, si la superstition ne les eût rendues sacrées. Ce n'est pas la seule chose qui, chez les hommes, se soit jugée par la date; vertu d'hier, crime aujourd'hui. Il semble cependant que, même alors, quelques esprits, d'une précocité malicieuse, trouvaient là matière à raillerie; témoin certain vieil auteur qui fait dire à un de ses personnages : « ce démon et moi, nous sommes de vieilles connaissances; je l'ai vu à Coventry, faire le diable dans le corps de Jésus ».

Le drame commençait quelquefois à la Création, et finissait au Jugement dernier : c'était un moyen bien simple d'avoir unité de temps.

Echappons au dédale de ces grossiers commencements. L'art, du moins pour le choix des le choix des personnages, s'éleva bientôt en redescendant jusqu'aux hommes. Les moralités furent un perfectionnement des mystères. L'allégorie si familière aux littératures naissantes, quand l'homme n'ayant pas encore réfléchi sur lui-même, exa

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gère les causes de tout ce qui le frappe; l'allégorie vint personnifier les passions ou les facultés humaines. Ce que que Socrate se vantait d'avoir fait pour la philosophie, on le fit pour l'art théâtral, qui en doit être l'école ; on le rappela du ciel sur la terre; on cessa peu à de peu profaner dévotement les choses saintes, et la place resta libre aux enseignements de la vertu et de la sagesse.

L'invention de ce nouveau genre est attribuée à Skelton, poëte lauréat sous Henri vII; il en offre les premiers essais connus. N'oublions pas un rapprochement curieux ; ce réformateur du théâtre fut, chez les Anglais, le premier auteur de satires (*). Quand on commence à étudier les hommes, on est bien près de rire à leurs dépens.

J'ai sous les yeux trois moralités. Dans la première, on voit un homme abandonné au moment de la mort par ceux sur qui il avait le plus compté, et ne trouvant d'appui que dans le souvenir de ses bonnes actions. La seconde nous représente une espèce de Salmonée, un blasphémateur impie, qui, ayant beaucoup voyagé ( voyager, c'est s'instruire, s'instruire passait déjà pour aller à l'incrédulité), ayant comparé beaucoup de nations et de mœurs différentes, qu'il décrit avec emphase, affecte de railler la religion et la vertu, et voit ses doctrines victorieusement réfutées et confondues par la piété, la contemplation, et la persévérance. Dans la troisième moralité, dont on fixe la date au commencement du règne d'Édouard vi, et qui a pour titre la Jeunesse voluptueuse,

(*) Skelton, quoiqu'il fût curé, exerça sur-tout sa verve caustique contre les moines mendiants. Érasme l'appelle la lumière et la gloire des lettres britanniques. Ses satires sont écrites dans le goût macaronique, genre de poésie facétieuse, né chez les Italiens.

l'auteur étale les faiblesses et les fautes d'un jeune étourdi qui se laisse entraîner au plaisir, et que de sages conseillers ramènent dans le chemin de la vertu.

On peut remarquer une amélioration progressive dans la succession de ces trois pièces : la première n'est, pour ainsi dire, qu'un tableau intéressant; la seconde offre déjà une vue philosophique, quoique dirigée contre la philosophie; dans la dernière, on découvre presque une action, et on sent l'approche de la comédie.

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S'il est vrai que, suivant une ingénieuse parole, la littérature soit l'expression de la société, le théâtre n'està son tour, l'expression de la littérature, et comme la voix qui fait entendre au peuple la pensée publique ? Nous sommes donc forcés de détourner notre attention sur l'ensemble de la poésie anglaise, dont il faut chercher l'origine véritable au milieu du quatorzième siècle, lorsque Chaucer répudia l'idiome des Normands, pour imprimer le rythme et la force au jargon anglais. Le nom de ce poëte est encore aujourd'hui en honneur; l'esprit national de nos voisins n'avait garde d'oublier celui qui commença la destinée glorieuse de leur langue.

Geoffroi Chaucer, né en 1328, fils d'un marchand, à dix-huit ans auteur du poëme de la Cour d'Amour, plus tard étudiant en droit dans le Temple, ensuite page d'Édouard III, finit par attacher sa fortune à celle du duc de Lancastre, dont il chanta la passion pour Blanche de Castille. Il passa par toutes les vicissitudes du roman qui forme l'histoire de ce seigneur. Tour à tour comblé de bienfaits, parmi lesquels il faut mentionner un poł de vin qu'il recevait journalièrement de l'échanson du roi sur le produit des douanes; chargé de plusieurs missions honorables, à Gènes où il connut Pétrarque,

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en France où il approcha du sage Charles v; forcé, par les malheurs de son patron, de s'enfuir loin de son pays; il devait retirer de tant de voyages, et de ces alternatives du sort, l'expérience des hommes et des choses, la noblesse des pensées, l'audace des paroles. Il ne fallait pas moins qu'un tel contre-poids pour résister à l'ignorance et à la superstition qui avaient défiguré l'originalité native de sa jeunesse ; comme, par exemple, dans sa Cour d'Amour, où, une dame ayant promis à un poëte de lui accorder le don d'amoureuse merci, le premier de mai, dès que le matin de ce jour vient à poindre, les oiseaux, pour en célébrer l'aurore, chantent en chœur un office de l'église à la gloire de l'Amour : la partie du rossignol est le Domine, labia; celle de l'aigle, le Venite, etc..... Une autre production de la jeunesse du poëte, Troïlus et Créséide, nous montre un reflet d'antique érudition se glissant sur les formes fantastiques des légendes modernes. Il n'était pas inutile de surprendre à son origine ce travestissement de l'antiquité, qui exerça, deux siècles après, un reste d'influence sur Shakspeare.

Avec la maturité de l'âge vint pour Chaucer celle de l'esprit. Le temps des agitations de sa vie était passé; le duc de Lancastre lui avait fait épouser une sœur de cette Catherine Swynford, comme madame de Maintenon, gouvernante des enfants du prince, et depuis sa maîtresse. Après avoir été le troubadour de l'épouse légitime, il était donc le beau-frère de la rivale; il monta encore en grade dans cette bizarre hiérarchie de cour. Le duc, dont la fortune s'était rétablie sur la ruine de son ambition, devint veuf et épousa Catherine. Allié de si près à ce prince, Chaucer rentra dans sa faveur et

dans ses emplois; et plus tard même il se trouva tout près du trône, lorsqu'une révolution y porta, sous le nom de Henri iv, le fils de son beau-frère. Mais alors il était vieux; la cour n'avait plus pour lui d'illusions: son talent seul le rajeunissait encore; et, retiré paisiblement dans le château de Dunnington, il allait méditer des vers sous un chêne que la vénération populaire appela chêne de Chaucer. Dans cette solitude que peuplaient pour lui tant de souvenirs, il composa le plus mémorable de ses ouvrages, les Contes de Cantorbery, archives poétiques des vieilles mœurs de la Grande-Bretagne, où la vérité des caractères est rehaussée par la vivacité du style. Il mourut en 1400, emportant dans la tombe la littérature précoce qu'il avait créée, et il faut traverser presque deux siècles pour trouver dans Spenser un digue héritier de sa gloire.

A côté de lui, comme un faible rejeton près de la tige maternelle, s'éleva Gower, son contemporain, son ami, mais non pas son émule. Il était né huit ans avant lui, et il l'avait connu dans la société d'Inner-Temple où tous deux étudiaient les lois. Le lecteur pourra observer, dans le cours de cette esquisse, que presque tous les écrivains qui ont le plus avancé la littérature anglaise s'étaient essayés d'abord aux travaux du jurisconsulte.

Les premiers succès de Chaucer avaient rendu la cour avide d'un nouveau genre de plaisirs; il est probable que ce fut ce tourbillon de la mode qui poussa vers la poésie Gower, homme d'une nature trop raisonnable, pour se faire auteur avec préméditation. Il versifiait donc à la cour, sous le titre de conseiller du duc de Glocester, un des oncles de Richard 11. Le jeune monarque l'aimait, et lui demandait des vers, sans envier

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