Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

et cet aveu signifie beaucoup dans la bouche d'un rival qui ne pardonnait pas à Shakspeare de lui avoir le premier servi d'appui au théâtre, et dont au moins la reconnaissance ne se manifesta guère que par une amitié mêlée de quelques nuages, et par une admiration avare et jalouse.

Ce maître en fait de sublime portait, dans les entretiens familiers, une élocution abondante et vive, qui faisait, dit-on, le charme d'une réunion de beaux-esprits, appelée le club de la Syrène (*). C'est là que, dans maint combat d'esprit, il savait mettre en défaut la pesante artillerie d'érudition que traînait par-tout Ben-Johnson, en escarmouchant contre lui avec un feu roulant de bons mots et de saillies.

Quelques grands seigneurs accueillirent en lui l'auteur qui les amusait. Plusieurs de ses pièces furent représentées devant Élisabeth, et cette reine, qu'il nous peint comme une belle vestale assise sur le trône d'Occident (**), ne repoussa pas ses éloges. Il paraît qu'elle daigna même une fois faire intimer des ordres à son génie (***). JacI lui donna la direction du théâtre de Black-Friars; ques mais le poëte avait vieilli, et il ne songeait plus qu'à se soustraire aux agitations d'une vie publique, comme il l'appelait, et à passer le reste de ses jours dans le repos. En effet, peu d'années avant sa mort, Shakspeare sc retira dans sa ville natale, où il vécut avec la petite for

[ocr errors]

(*) Il avait été fondé par cet aimable et aventureux Walter Raleigh, qui essaya de tous les genres de gloire, et dont la vie se présente comme un long roman, avec une fin tragique.

(**) A fair vestal throned by the West. Le songe d'une nuit d'été. (***) Voir les Joyeuses Bourgeoises de Windsor.

tune qui lui venait de son patrimoine, ou qu'il avait amassée par son travail; Malone en évalue le revenu annuel à deux cents livres sterlings. Alors, il mena une vie de bon père de famille et de campagnard, cultivant son jardin, et y plantant de ses mains un mûrier devenu célèbre (*). Il fréquentait les propriétaires des environs, et son humeur était toujours enjouée, si l'on en juge par une plaisanterie qu'il improvisa, dit-on, sur un voisin. C'était un usurier qui lui demandait, en badinant, une épitaphe; le poëte répondit par ce distique :

Dix

pour cent gît sous cette pierre ; Cent contre dix qu'il est damné.

Nous avons son testament, naïf et piquant témoignage de ses affections domestiques; il n'y fait qu'un seul legs à sa femme (**); encore n'est-ce que dans un interligne; et il ne lui lègue rien qu'un lit ; et ce lit n'est que le second après le meilleur. De ses deux filles, Suzanna et Judith, la seconde n'a qu'une faible part dans l'héritage. L'aînée est instituée légataire universelle. On concevra sans peine cette prédilection pour Suzanna, si, comme son épitaphe l'assure, elle fut douée d'un esprit qui passait la portée de son sexe, et tenait de celui de Shakspeare; mais il faut se défier des qualités d'épitaphes.

En 1596, Shakspeare avait perdu son unique fils, Hamnet, frère jumeau de Judith. S'il fallait en croire une anecdote contestée, il aurait laissé un autre fils, qui s'est

(*) Voir, au commencement du volume, l'explication de la gravure représentant la procession du Jubilé.

(**) Elle lui survécut sept ans. Suzanna mourut en 1649, Judith en 1661.

plus tard rendu fameux en Angleterre. Suivant la tradition, Shakspeare, chaque fois qu'il allait de Londres à Stratford, s'arrêtait dans l'auberge de la Couronne, dont l'hôtesse, douée d'une grande beauté, et d'un esprit brillant, était assez mal mariée à un certain John Davenant, personnage grave et mélancolique. Elle accueillait le poëte avec une bienveillance marquée, et il fut le parrain d'un fils qu'elle donna à son mari. En grandissant, l'enfant montrait pour son parrain une affection édifiante. Un jour, apprenant qu'il venait de descendre dans l'auberge, il quitta son école pour aller le voir; et, comme il courait très vîte, quelqu'un lui ayant demandé où il allait, — «Voir mon parrain » (mon père en Dieu) (*), cria-t-il. «<Cela prouve un bon naturel, reprit le questionneur ; mais prends garde d'employer le nom de Dieu en vain (**) ».

[ocr errors]

Shakspeare mourut âgé de 52 ans, le 23 avril 1616, jour anniversaire de sa naissance, le même jour que mourut à Madrid le plus grand écrivain de l'Espagne, Michel Cervantes.

Il fut enseveli dans la grande église de Stratford, où un monument le représente assis, tenant une plume dans sa main droite, la main gauche appuyée sur un manuscrit. En 1740, les dames de Londres lui érigèrent, dans l'église de Westminster, un magnifique mausolée.

(*) God-father.

(**) Cet enfant, dont la naissance était si glorieusement entachée, justifia depuis une telle illégitimité, et fut ce sir William Davenant, non moins célèbre pour avoir amusé la cour de Charles 1 par des comédies qu'on appelait Mascarades, et pour avoir remplacé BenJohnson dans le titre de poëte Lauréat, que par l'échange d'une protection obtenue de Milton sous la république de Cromwell, rendue à Milton sous la royauté des Stuart.

Ici se termine tout ce que nous sommes parvenus à re cueillir de renseignements sur Shakspeare; mais l'histoire d'un poëte consiste moins dans les événements de sa vie que dans les réflexions qui sortent de ses ouvrages, et dans l'examen de la littérature qu'il a trouvée avant lui.

Ce n'est pas ici le lieu de parler des pièces dont nous offrirons bientôt l'analyse : et, d'ailleurs, signaler les divers caractères dont elles sont empreintes, ce serait un travail à la fois inutile et téméraire, depuis que l'un de nos plus grands écrivains, M. Villemain, l'a exécuté avec un goût si pur et avec une si vive éloquence.

Contentons-nous donc de jeter un coup d'œil rapide sur ce qu'était la littérature, et particulièrement le théâtre, en Angleterre, au moment où Shakspeare s'est montré. Établir le point de départ, c'est aider à mesurer l'étendue de la course.

T. I.

B

SUR L'ÉTAT DU THÉÂTRE ANGLAIS,

AVANT SHAKSPEARE,

ET SUR QUELQUES AUTEURS,

SES DEVANCIERS OU SES CONTEMPORAINS.

Le théâtre a commencé chez les Anglais, comme chez nous, par des mystères; en général, dans toute littérature, tant qu'on ne sait pas encore faire parler les hommes, on trouve qu'il est plus commode de faire parler les dieux. Les principales aventures des deux testaments étaient travesties en spectacle, et, circonstance curieuse, l'église accordait jusqu'à mille jours d'indulgence à quiconque allait voir dans son berceau ce théâtre qu'elle devait proscrire, parvenu à la virilité.

C'est qu'il obéissait alors à la direction de sa main ; c'est qu'elle s'en était servie elle-même pour remédier aux désordres des représentations bouffonnes données par les jongleurs. Laissons la partialité des protestants anglais reprocher au clergé catholique de ne s'être mis en cette occasion à la tête d'un progrès littéraire, que pour en arrêter la marche. Comparons plutôt sa prudence à celle du citoyen de Solon, qui, dans une ville turbulente, se fera factieux, pour régler l'irrégularité des factions.

pas

Et, par exemple, quels scandales secrets n'auraient enveloppés les fêtes tumultueuses des corporations d'artisans, à une époque de confusion et de licence, si le clergé n'avait eu l'art de les transformer en solennités

« ZurückWeiter »