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Austerlitz, le 14 frimaire an 14 ( 4 décembre 1803).

Trente-unième bulletin de la grande armée.

L'Empereur est parti hier d'Austerlitz, et est allé à ses avant-postes près de Saruschitz, et s'est là placé à son bivouac. L'empereur d'Allemagne n'a pas tardé à arriver. Ces deux monarques ont eu une entrevue qui a duré deux heures. L'empereur d'Allemagne n'a pas dissimulé, tant de sa part que de la part de l'empereur de Russie, tout le mépris que leur inspirait la conduite de l'Angleterre. « Ce sont des marchands, a-t-il répété, qui mettent en feu le continent pour s'assurer le commerce du monde. »

Ces deux princes sont convenus d'un armistice et des principales conditions de la paix, qui sera négociée et terminée sous peu de jours.

L'empereur d'Allemagne a fait également connaître à l'Empereur, que l'empereur de Russie demandait à faire sa paix séparée, qu'il abandonnait entièrement les affaires de l'Angleterre, et n'y prenait plus aucun intérêt.

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L'empereur d'Allemagne répéta plusieurs fois dans la conversation : « Il n'y a point de doute; dans sa querelle avec l'Angleterre, la France a raison. » Il demanda aussi une trêve pour les restes de l'armée russe. L'Empereur lui fit observer que l'armée russe était cernée, que pas un homme ne pouvait échapper: « Mais, ajouta-t-il, je désire faire une chose agréable à l'empereur Alexandre; je laisserai passer l'armée russe, j'arrêterai la marche de mes colonnes; mais Votre Majesté me promet que l'armée russe retournera en Russie, évacuera l'Allemagne et la Pologne autrichienne et prussienne. « C'est l'intention de l'empereur Alexandre, a répondu l'empereur d'Allemagne; je puis vous l'assurer d'ailleurs, dans la nuit, vous pourrez vous en convaincre par vos propres officiers. »

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On assure que l'Empereur a dit à l'empereur d'Allemagne, en le faisant approcher du feu de son bivouac : « Je vous reçois dans le seul palais que j'habite depuis deux mois. » L'em

pereur d'Allemagne a répondu en riant: « Vous tirez si bon parti de cette habitation qu'elle doit vous plaire. » C'est du moins ce que l'on croit avoir entendu. La nombreuse suite des deux princes n'était pas assez éloignée pour qu'elle ne pût entendre plusieurs choses.

L'Empereur a accompagné l'empereur d'Allemagne à sa voiture, et s'est fait présenter les deux princes de Lichtenstein et le général prince de Schwartzenberg. Après cela il est revenu coucher à Austerlitz.

On recueille tous les renseignements pour faire une belle description de la bataille d'Austerlitz. Un grand nombre d'ingénieurs lèvent le plan du champ de bataille. La perte des Russes a été immense. Les généraux Kutuzow et Buxhowden ont été blessés ; dix ou douze généraux ont été tués: plusieurs aides de camp de l'empereur de Russie et un grand nombre d'officiers de distinction ont été tués. Ce n'est pas cent vingt pièces de canon qu'on a prises, mais cent cinquante. Les colonnes ennemies qui se jetèrent dans les lacs furent favorisées par la glace; mais la canonnade la rompit, et des colonnes entières se noyèrent. Le soir de la journée, et pendant plusieurs heures de la nuit, l'Empereur a parcouru le champ de bataille et a fait enlever les blessés: spectacle horrible s'il en fut jamais ! L'Empereur, monté sur des chevaux très-vites, passait avec la rapidité de l'éclair, et rien n'était plus touchant que de voir ces braves gens le reconnaître sur-le-champ. Les uns oubliaient leurs souffrances et disaient: Au moins la victoire est-elle bien assurée? Les autres : Je souffre depuis huit heures, et depuis le commencement de la bataille je suis abandonné, mais j'ai bien fait mon devoir. D'autres: Vous devez être content de vos soldats aujourd'hui. A chaque soldat blessé l'Empereur laissait une garde qui le faisait transporter dans les ambulances. Il est horrible de le dire quarante-huit heures après la bataille, il y avait encore un grand nombre de Russes qu'on n'avait pu panser. Tous les Français le furent avant la nuit. Au lieu de quarante drapeaux, il y en a jusqu'à cette heure quarante-cinq, et l'on trouve encore les débris de plusieurs.

Rien n'égale la gaieté des soldats à leur bivouac. A peine

aperçoivent-ils un officier de l'Empereur, qu'ils lui crient : L'Empereur a-t-il été content de nous?

En passant devant le vingt-huitième de ligne, qui a beaucoup de conscrits du Calvados et de la Seine-Inférieure, l'Empereur lui dit : «< J'espère que les Normands se distinguerônt, aujourd'hui. » Ils ont tenu parole; les Normands se sont distingués. L'Empereur, qui connaît la composition de chaque régiment, a dit à chacun son mot; et ce mot arrivait et parlait au cœur de ceux auxquels il était adressé, et devenait leur mot de ralliement au milieu du feu. Il dit au cinquante-septième : • Souvenez-vous qu'il y a bien des années que je vous ai surnommé le Terrible. » Il faudrait nommer tous les régiments de l'armée; il n'en est aucun qui n'ait fait des prodiges de bravoure et d'intrépidité. C'est là le cas de dire que la mort s'épouvantait et fuyait devant nos rangs, pour s'élancer dans les rangs ennemis; pas un corps n'a fait un mouvement rétrograde. L'Empereur disait : « J'ai livré trente batailles comme celle-ci, mais je n'en ai vu aucune où la victoire ait été si décidée, et les destins si peu balancés. » La garde à pied de l'Empereur n'a pu donner; elle en pleurait de rage. Comme elle demandait absolument à faire quelque chose : « Réjouissez-vous de ne rien faire, lui dit l'Empereur: vous devez donner en réserve; tant mieux si l'on n'a pas besoin de vous aujourd'hui.

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Trois colonels de la garde impériale russe sont pris avec le général qui la commandait. Les hussards de cette garde ont fait une charge sur la division Caffarelli. Cette seule charge leur a coûté trois cents hommes qui restèrent sur le champ de bataille. La cavalerie française s'est montrée supérieure et a parfaitement fait. A la fin de la bataille, l'Empereur a envoyé le colonel Dallemagne avec deux escadrons de sa garde en partisans, pour parcourir à volonté les environs du champ de bataille, et ramener les fuyards. Il a pris plusieurs drapeaux, quinze pièces de canon, et fait quinze cents prisonniers. La garde regrette beaucoup le colonel des chasseurs à cheval Morland, tué d'un coup de mitraille en chargeant l'artillerie de la garde impériale russe. Cette artillerie fut prise; mais ce brave colonel trouva la mort. Nous n'avons eu aucun général tué. Le

colonel Mazas, du quatorzième de ligne, brave homme, a été tué. Beaucoup de chefs de bataillon ont été blessés. Les voltigeurs ont rivalisé avec les grenadiers. Les cinquante-cinquième, quarante-troisième, quatorzième, trente-sixième, quarantième et dix-septième...; mais on n'ose nommer aucun corps, ce serait une injustice pour les autres; ils ont tous fait l'impossible. Il n'y avait pas un officier, pas un général, pas un soldat qui ne fût décidé à vaincre ou à périr.

Il ne faut point taire un trait qui honore l'ennemi : le commandant de l'artillerie de la garde impériale russe venait de perdre ses pièces; il rencontra l'Empereur: Sire, lui dit-il, faites-moi fusiller, je viens de perdre mes pièces. « Jeune homme, lui répondit l'Empereur, j'apprécie vos larmes; mais on peut être battu par mon armée, et avoir encore des titres à la gloire.

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Nos avant-postes sont arrivés à Olmutz; l'impératrice et toute sa cour s'en sont sauvées en toute hâte.

Le colonel Corbineau, écuyer de l'Empereur, commandant le cinquième régiment de chasseurs, a eu quatre chevaux tués; au cinquième il a été blessé lui-même après avoir enlevé un drapeau. Le prince Murat se loue beaucoup des belles mancuvres du général Kellermann, des belles charges des généraux Nansouty et d'Hautpoult, et enfin de tous les généraux; mais il ne sait qui nommer, parce qu'il faudrait les nommer tous.

Les soldats du train ont mérité les éloges de l'armée. L'artillerie a fait un mal épouvantable à l'ennemi. Quand on en a rendu compte à l'Empereur, il a dit : « Ces succès me font plaisir, car je n'oublie pas que c'est dans ce corps que j'ai commencé ma carrière militaire. >>>

L'aide de camp de l'Empereur, le général Savary, avait accompagné l'empereur d'Allemagne après l'entrevue, pour savoir si l'empereur de Russie adhérait à la capitulation. Il a trouvé les débris de l'armée russe sans artillerie ni bagages et dans un épouvantable désordre. H était minuit; le général Meerfeld avait été repoussé de Godding par le maréchal Davoust; l'armée russe était cernée; pas un homme ne pouvait s'échapper. Le prince Czartorinski introduisit le général Savary près de

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l'Empereur. « Dites à votre maître, lui cria ce prince, que je m'en vais; qu'il a fait hier des miracles; que cette journée a accru mon admiration pour lui; que c'est un prédestiné du ciel; qu'il faut à mon armée cent ans pour égaler la sienne. Mais puis-je me retirer avec sûreté? Oui, Sire, lui dit le général Savary, si V. M. ratifie ce que les deux empereurs de France et d'Allemagne ont arrêté dans leur entrevue. Eh qu'est-ce ?

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Que l'armée de V. M. se retirera chez elle par les journées d'étape qui seront réglées par l'Empereur, et qu'elle évacuera l'Allemagne et la Pologne autrichienne. A cette condition, j'ai l'ordre de l'Empereur de me rendre à nos avant-postes qui vous ont déjà tourné, et d'y donner ses ordres pour protéger votre retraite, l'Empereur voulant respecter l'ami du premier Consul. Quelle garantie faut-il pour cela? Sire, votre parole. Je vous la donne. Cet aide de camp partit sur-le-champ au grand galop, se rendit auprès du maréchal Davoust, auquel il donna l'ordre de cesser tout mouvement et de rester tranquille. Puisse cette générosité de l'empereur des Français ne pas être aussitôt oubliée en Russie que le beau procédé de l'Empereur qui renvoya six mille hommes à l'empereur Paul avec tant de grâce et de marques d'estime pour lui. Le général Savary avait causé une heure avec l'empereur de Russie, et l'avait trouvé tel que doit être un homme de cœur et de sens, quelques revers d'ailleurs qu'il ait éprouvés. Ce monarque lui demanda des détails sur la journée. Vous étiez inférieurs à moi, lui dit-il, et cependant vous étiez supérieurs sur tous les points d'attaque. Sire, répondit le général Savary, c'est l'art de la guerre et le fruit de quinze ans de gloire; c'est la quarantième bataille que donne l'Empereur. Cela est vrai; c'est un grand homme de guerre. Pour moi, c'est la première fois que je vois le feu. Je n'ai jamais eu la prétention de me mesurer avec lui. Sire, quand vous aurez de l'expérience, vous le surpasserez peutêtre. Je m'en vais donc dans ma capitale. J'étais venu au secours de l'empereur d'Allemagne ; il m'a fait dire qu'il est content. Je le suis aussi.

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A son entrevue avec l'empereur d'Allemagne, l'Empereur lui a dit « M. et Mme Colloredo, MM. Paget et Rasumowki ne

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