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L'Empereur à décrit l'effet que produisit sur les Mameloucks notre manière de combattre, à la première rencontre. (Campagne d'Egypte, citée plus haut.)

Cependant la nouvelle arriva au Caire, le 5 juillet, qu'une armée d'infidèles était débarquée, qu'elle avait attaqué et pris Alexandrie, qu'elle était fort nombreuse en infanterie, mais qu'elle n'avait pas de cavalerie. Les beys et leurs kiachefs poussèrent des cris de joie; le Caire fut illuminé. « Ce sont des pastèques à couper, » disaient-ils. Il n'était aucun Mamelouck qui ne se promît de rapporter une centaine de têtes; cette armée, fût-elle de cent mille hommes, serait anéantie, puisqu'il faudrait qu'elle traversât les plaines qui bordent le Nil! Les infortunés, c'est avec ces illusions qu'ils se préparèrent à marcher à la rencontre de l'armée française !!! Un bey partit, le 5 au soir, avec six cents Mameloucks pour se porter sur Damanhour rallier les Arabes du Baheiréh et retarder la marche de l'armée. Il arriva le 10 à Damanhour, comme la division Desaix, qui formait l'arrière-garde, quittait ses bivouacs. Desaix marchait, en colonnes serrées, par division, son artillerie à la tête et à la queue, ses bagages au centre, entre ses deux brigades. A la vue de l'ennemi, il fit prendre les distances de peloton et continua sa marche, côtoyé, escarmouchant avec cette belle cavalerie qui enfin se décida à le charger. Aussitôt Desaix commanda : Par peloton, à droite et à gauche en bataille, feu de deux rangs. Il serait difficile de peindre l'étonnement et le mécompte qu'éprouvèrent les Mameloucks quand ils virent la contenance de cette infanterie et l'épouvantable feu de mitraille et de mousqueterie qui leur portait la mort si loin dans toutes les directions. Quelques braves moururent sur les baïonnettes. Le gros de la troupe s'éloigna hors de la portée du canon. Desaix rompit alors son carré, continua sa marche, n'ayant perdu dans ce combat que quatre hommes. Quand Mourad-Bey apprit cet étrange événement, qu'il ne pouvait s'expliquer, il s'emporta contre le bey et ses kiachefs, et les traita de lâches qui s'étaient laissé imposer par le nombre, comme si des Mameloucks

devaient jamais compter pour quelque chose des piétons en plaine.

Il devait être bientôt détrompé. La bataille de Ramanieh mit fin à ses illusions.

Dès ce moment, dit l'Empereur, il désespéra de son salut. Il comprit qu'il n'y avait pas égalité d'armes, que la bravoure n'était pas suffisante pour vaincre, et que l'infanterie n'était pas aussi méprisable qu'il se l'était imaginé jusqu'alors. Au fait, les dix mille Mameloucks n'eussent pas craint d'attaquer, en plaine, une armée de cinquante mille Ottomans. Ils répandirent au Caire mille bruits. Tout ce qu'ils voyaient, tout ce qu'ils avaient ouï raconter, ou appris par leur propre expérience, bouleversait tellement leurs idées, que cela les portait à croire au sortilége. Le sultan français était un sorcier qui tenait tous ses soldats liés par une grosse corde-blanche, et, selon qu'il la tirait d'un côté ou d'un autre, ils allaient à droite ou à gauche; se remuant tout d'une pièce. Ils le nommaient le Père du Feu pour exprimer la vivacité du feu de la mitraille, et de la fusillade de son infanterie.

Cette bataille gagnée, il fallait s'emparer du Caire, et pour cela traverser le désert. Ici commençaient les difficultés véritables. C'étaient celles qui résultaient du découragement de l'armée dans ce pays aride et abandonné. Voici ce passage qu'on lit à ce sujet dans le Mémorial de M. de Las-Cases:

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L'Empereur disait qu'aucune armée dans le monde n'était « moins propre à l'expédition d'Égypte que celle qu'il y condui«sit : c'était celle d'Italie. Il serait difficile de rendre le dégoût, « le mécontentement, la mélancolie, le désespoir de cette aramée, lors de ses premiers moments en Égypte. L'Empereur << avait vu deux dragons sortir des rangs, et courir à toute « course se précipiter dans le Nil. Bertrand avait vu les géné«raux les plus distingués, Lannes, Murat, jeter, dans des << moments de rage, leurs chapeaux bordés sur le sable, et les <«< fouler aux pieds en présence des soldats. L'Empereur expliquait ces sentiments à merveille. Cette armée avait rempli

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« sa carrière, disait-il; tous les individus en étaient gorgés de a richesses, de grades, de jouissances et de considération; ils « n'étaient plus propres aux déserts ni aux fatigues de l'Égypte. Aussi, continuait-il, si elle se fût trouvée dans d'autres mains que les miennes, il serait difficile de déterminer les excès dont elle se fût rendue coupable.

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Les Hébreux, ajoute l'Empereur dans ses Mémoires (1) dans le désert de l'Égarement, regrettaient les marmites d'Égypte, pleines de viande, d'oignons et de toutes sortes de légumes dont ils pouvaient manger tout leur saoûl, disaient-ils. Les Français ne cessaient d'appeler à grands cris les délices de l'Italie. Depuis quinze jours leur mécontentement avait été en augmentant. Ils comparaient ce peuple barbare qu'ils ne pouvaient pas entendre, les demeures de ces misérables fellahs, aussi abrutis que leurs buffles, ces arides plaines découvertes et sans ombre, ce Nil, chétif ruisseau qui charriait une eau sale et bourbeuse, enfin ces horribles hommes du désert, si laids, si féroces, et leurs femmes plus sales encore, aux plaines fleuries et abondantes de la Lombardie, au peuple sociable, doux et éclairé des États vénitiens. Ils se plaignaient d'être dans un pays où ils ne pouvaient se procurer ni pain ni vin. On leur répondait que, loin d'être misérable, ce pays était le plus riche du monde; qu'ils auraient du pain, du vin, aussitôt qu'ils seraient au Caire; que le pays où ils étaient avait été le grenier de Rome, et était encore celui de Constantinople. Rien ne pouvait calmer les imaginations effarouchées. Quand les Francs racontaient les beautés et l'opulence du Caire, les soldats répondaient tristement : « Vous nous avez dit la même << chose de Damanhour. Le Caire sera peut-être deux ou trois fois plus grand, mais ce sera un ramassis de cabanes dépour« vues de tout ce qui peut rendre la vie supportable. >> Napo. léon s'approchait souvent de ses soldats; il leur disait : « Que « ce Nil qui répondait si peu, dans ce moment, à sa réputa⚫tion, commençait à grossir, et que bientôt il justifierait tout « ce qu'ils en avaient ouï raconter; qu'ils campaient sur des

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1 Campagnes d'Égyte et de Syrie, par le général Bertrand.

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« monceaux de blé, et que, sous peu de jours, ils auraient des « moulins et des fours; que cette terre si nue, si monotone, « si triste, sur laquelle ils marchaient avec tant de difficulté, « serait bientôt couverte de moissons et de riches cultures, qui leur représenteraient l'abondance et la fertilité des « rives du Pó; qu'ils avaient des lentilles, des fèves, des poules, des pigeons; que leurs plaintes étaient exagérées; « que la chaleur était excessive, sans doute, mais serait supportable quand ils se trouveraient en repos et seraient organisés; que, pendant les campagnes d'Italie, les mar«ches, au mois de juillet et d'août, étaient aussi bien fatigantes. >> Mais ces discours ne produisaient qu'un effet passager. Les généraux et les officiers murmuraient plus haut que les soldats. Ce genre de guerre était encore plus pénible pour eux, et contrastait davantage avec les commodités des palais et des casins d'Italie.

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L'armée était frappée d'une mélancolie vague que rien ne pouvait surmonter; elle était attaquée du spleen. Plusieurs soldats se jetèrent dans le Nil pour y trouver une mort prompte. Tous les jours, après que les bivouacs étaient pris, le premier besoin des hommes était de se baigner. En sortant du Nil, les soldats commençaient à faire de la politique, à s'exaspérer, à se lamenter sur la fâcheuse position des choses. « Que sommes« nous venus faire ici? Le Directoire nous a déportés!... Quelquefois ils s'apitoyaient sur leur chef, qui bivouaquait constamment sur les bords du Nil, étant privé de tout comme le dernier soldat. Le dîner de l'état-major consistait souvent en un plat de lentilles. « C'est de lui dont on voulait se dé«faire, disaient-ils; mais, au lieu de nous conduire ici, que ne « nous faisait-il un signal; nous eussions chassé ses ennemis « du palais, comme nous avons chassé les Clichiens. » S'étant aperçus que partout où il y avait quelques traces d'antiquités, les savants s'y arrêtaient et faisaient des fouilles, ils supposèrent que c'étaient eux qui, pour chercher des antiquités, avaient conseillé l'expédition. Cela les indisposa contre eux. Ils appelaient les ânes, des savants. Caffarelli était à la tête de la commission. Ce brave général avait une jambe de bois. Il se donnait

beaucoup de mouvement. Il parcourait les rangs pour prêcher le soldat. Il ne parlait que de la beauté du pays, des grands résultats de cette conquête. Quelquefois, après l'avoir entendu, les soldats murmuraient; mais la gaieté française reprenait le dessus. « Pardi, lui dit un jour un grenadier, vous vous mo« quez de cela, genéral, vous qui avez un pied en France!! » Ce mot, répété de bivouac en bivouac, fit rire tout le camp. Jamais cependant le soldat ne manqua aux membres de la commission des arts, qu'au fond il respectait; et, ce premier mouvement passé, Caffarelli et les savants furent l'objet de leur estime. L'industrie française venait aussi à l'aide des circonstances. Les uns broyaient le blé pour se procurer de la farine, les autres en faisaient d'abord rôtir le grain dans une poële, et, ainsi rôti, le faisaient bouillir, et en obtenaient une nourriture saine et satisfaisante.

Ici vient se placer naturellement cette admirable description du désert que l'Empereur a donnée dans sa relation des Campagnes d'Égypte et de Syrie'.

On trouve de l'eau, de l'herbe et des arbres dans les déserts de l'Amérique; on trouve de l'eau et de l'herbe dans les déserts de la Tartarie: on ne trouve ni eau, ni herbe, ni arbres dans les déserts de l'Afrique et de l'Arabie. Ces déserts sont arides et nus. Les déserts d'Égypte ne sont séparés par aucune ligne naturelle des grands déserts de l'Arabie, de la Nubie et de la Libye. Ils forment la partie de ces déserts compris dans les limites de l'Égypte, possédés par des tribus qui vivent des inondations du Nil. Leur étendue est de quarante à quarante-deux mille lieues carrées; la population, de cent cinquante à cent soixante mille âmes, ce qui fait quatre habitants par lieue carrée. Les déserts de l'Afrique seraient inhabitables pour l'homme s'ils ne produisaient le chameau.

Le chameau est l'image du désert, grand, maigre, difforme, monotone, patient, mais d'un caractère sauvage et méchant

1 Campagne d'Égypte et de Syric, publiées par le général Bertrand.

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