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Rappeler ce fait était indispensable pour que l'incident dont il s'agit aujourd'hui soit apprécié à sa juste valeur.

Dans le courant de janvier dernier, le lieutenant-colonel Karatassos, nommé aide de camp du roi sous le ministère de M. Mavrocordato, en avril 1844, six jours après la formation du cabinet, vint demander à S. M. un congé de quelques semaines pour aller à Constantinople. Le lieutenant-colonel Karatassos alléguait des affaires de famille, et appuyait sa demande d'une lettre d'un homme de sa connaissance, médecin au service du grand-vizir Réchid-Pacha, qui lui conseillait de venir à Constantinople, et lui promettait que les dispositions bienveillantes qu'il y rencontrerait l'aideraient à rentrer en possession de certaines terres en Macédoine appartenant autrefois à sa famille.

Le lieutenant-colonel Karatassos avait été, en 1841, impliqué dans les troubles qui éclatèrent sur les frontières de Thessalie; il fut préventivement arrêté: mais, depuis cette époque, sa conduite avait été en tout point honorable et régulière; elle ne donnait aucun motif de refuser un congé dont la demande était motivée par des intérêts sérieux, on pourrait dire justifiée par la garantie d'un homme connu pour jouir de la bienveillance du premier fonctionnaire de l'empire. Il est bon de ne pas omettre que les relations tranquilles mais constantes du lieutenant-colonel Karatassos n'étaient pas en Grèce avec les hommes que la Sublime Porte et son ministre à Athènes considéraient comme les fauteurs d'intrigues dont quelquefois ils semblaient s'inquiéter. Ajoutons enfin que l'entrée du territoire ottoman n'avait jamais été refusée aux gens compromis en 1841, que M. Musurus venait même de viser le passe-port de plusieurs individus compris dans cette catégorie, et particulièrement celui d'un homme allant en Macédoine, qu'il savait être signalé par un grand cabinet comme chef de l'hétérie macédonienne. Évidemment le gouvernement du roi n'avait aucune raison de soupçonner l'existence d'instructions de la Porte interdisant le visa pour telle ou telle classe d'individus, ni officiellement, ni confidentiellement; de telles instructions ne lui avaient pas été communiquées, et depuis il a été prouvé que, ni de la mission à Athènes, ni de Constan

tinople, les agents consulaires ottomans n'avaient reçu des ordres conformes à de telles instructions.

Le foi trouva donc convenable d'accorder ce congé; un passeport fut délivré par l'autorité compétente, et dans la matinée du 24 janvier, jour du départ d'un paquebot pour Constantinople, le lieutenant-colonel Karatassos se présenta à la chancellerie ottomane pour en obtenir le visa. Un refus fut signifié par un des employés de la mission, qui avait pris les ordres de son chef. Le roi, informé, mais sans soupçons, attendit un éclaircissement. Le soir, un secrétaire de la légation se présenta chez M. le président du conseil pour lui dire que, M. Musurus ayant autrefois écrit contre M. Karatassos, il ne pouvait viser son passe-port pour la Turquie. M. Colettis répondit que la position du lieutenantcolonel auprès du roi était le gage de sa conduite; que cette garantie devait lever les obstacles, et que, si M. Musurus motivait ainsi le visa à accorder, il serait certainement désapprouvé par son gouvernement, qui ne manquerait pas de prendre en considération les égards dus au souverain.

Le secrétaire ottoman se retira en promettant d'apporter le lendemain la réponse de M. Musurus; le 25 janvier se passa sans que cette réponse fût donnée: elle valait certainement la peine que M. Musurus tînt à voir M. le président du conseil ; il devait d'autant plus y tenir, qu'un bal auquel il était invité devait avoir lieu le soir à la cour. Le roi, avant d'entrer, s'informa où en était l'affaire qui commencait à préoccuper les esprits. Le président du conseil en rendit compte à S. M., qui, trouvant les procédés peu convenables, dit à M. Musurus en l'abordant: « Je croyais, monsieur, que le roi et ses garanties auraient mérité plus de respect que nous n'en avez montré. » Paroles qui, nous tenons à le dire, n'ont nullement le caractère d'une offense, mais uniquement celui d'un regret. M. Musurus ne répondit rien, resta au bal à peu près deux heures, s'entretint avec plusieurs personnes connues pour la violence de leur opposition, et ne sortit qu'après avoir eu avec M. le président du conseil une explication où, pour la première fois, il parla de l'ordre qu'il avait reçu de son gouvernement de refuser le visa aux gens compromis

en 1841.

Par le premier paquebot partant pour Constantinople, M. le président du conseil s'empressa, en racontant les faits, de fournir à la Porte, par l'entremise de M. le Chargé d'affaire de Grèce à Constantinople, les explications propres à l'éclairer sur la conduite de M. Musurus, et de donner, en la justifiant sur ce qui s'était passé, l'assurance que les intentions du roi et de son gouvernement n'étaient pas de nature à éveiller les soupçons ni les susceptibilités. Par la même occasion, M. Musurus transmit à son gouvernement une note adressée à M. Colettis, où l'incident était représenté sous les couleurs les plus sombres, où le manque de procédés était atténué par l'assertion qu'une démarche avait eu lieu de sa part le 24. Cette note contenait la première mention officielle des instructions dont M. Musurus, en quittant le bal, avait argüé pour la première fois.

M. Musurus ayant donc parlé d'une visite au président du conseil, dans la matinée du 24, le fait dut être vérifié, et nous sommes obligé de dire que M. Colettis, qui avait passé la plus grande partie de la journée chez lui, qui avait reçu de nombreuses visites, celles de plusieurs ministres étrangers, n'avait pas reçu la visite de M. Musurus, et que, quand il avait été absent, aucun des hommes de service à sa porte n'avait vu M. le ministre de Turquie, aucune carte n'avait été laissée, aucune lettre n'avait été adressée pour demander une entrevue. Enfin le secrétaire, qui, le 24 au soir, avait vu M. Colettis, n'avait dit aucun mot de cette visite, à laquelle, au dire de la note, ce secrétaire avait pris part.

La Sublime Porte, ne tenant aucun compte de la conduite antérieure de M. Musurus et des représentations qu'elle avait motivées, supposant le gouvernement grec informé des instructions relatives au visa, tenant les égards dus à un souverain et à son gouvernement pour exactement observés, induite en erreur sur l'origine et l'époque de la nomination du lieutenant-colonel Karatassos aux fonctions d'aide de camp du roi, aussi bien que sur plusieurs circonstances secondaires; la Sublime Porte, disonsnous, sans s'enquérir de la valeur d'une accusation portée par son représentant contre le souverain et le gouvernement auprès desquels il était accrédité, déclara le sultan offensé dans la per

sonne de M. Musurus, demanda une réparation dans un délai de trois jours, fixa les termes de cette réparation, et si elle était refusée ordonna à son ministre de quitter la Grèce.

Une résolution si précipitée causa au roi une douloureuse impression; cependant, ne perdant pas de vue le grand intérêt des bonnes relations entre les deux pays, voyant que les déclarations de la Porte élevaient l'incident jusqu'à la hauteur des deux couronnes, S. M. adressa, en date du 13 février, une lettre autographe à S. M. le Sultan, lettre concue dans les termes les plus propres à expliquer les paroles adressées à un agent qui semblait avoir oublié le but élevé de son mandat.

Cette lettre, tout le monde en conviendra, contient le désaveu le plus formel de toute intention blessante, et l'expression la plus franche du désir de maintenir les meilleures relations. Le président du conseil écrivit le même jour à A'ali-éfendi une lettre dont personne ne peut nier la parfaite convenance, et qui fut communiquée à M. Musurus, dans la ferme persuasion qu'informé de la démarche royale, il se déterminerait à attendre de nouveaux ordres. Un désir sincère de conciliation l'eût ainsi conseillé. D'autres inspirations l'emportèrent, et M. le ministre de Turquie, sur sa demande réitérée, reçut ses passe-ports.

La lettre autographe du roi ne trouva pas à Constantinople l'accueil qu'on était en droit d'attendre. S. M. le Sultan répondit en termes obligeants qu'il serait plus conforme à la dignité des deux couronnes de remettre la question à la sagesse des ministres. Ce fut dans le même sens qu'A'ali-éfendi répondit à M. Collettis.

On avait donc à Constantinople d'abord, sinon aggravé, au moins élevé la question en la plaçant entre les deux souverains; plus tard, on remettait le débat aux deux gouvernements. Celui de S. M. Hellénique ne put se méprendre sur la portée et le but de ces résolutions successives; en exprimant ses regrets, il entra dans la nouvelle voie, et ne tarda pas à tenter une seconde démarche conciliatrice. Tout en se prononçant par le motif même du désir d'un arrangement sincère et durable contre le retour de M. Musurus, il proposa, en date du 10 mars, d'envoyer à Constantinople un ministre dont le premier devoir serait d'exprimer

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combien son gouvernement regrettait que des circonstances fâcheuses eussent amené une altération momentanée dans les bons rapports entre les deux pays. Le Chargé d'affaires de la Grèce dut en outre déclarer que tout ministre ottoman, représentant fidèle des sentiments et des intentions de son gouvernement, serait accueilli à Athènes avec tous les égards dus à l'Envoyé du sultan, et recevrait au premier moment de son arrivée les témoignages les plus précis du désir de faire ressortir de l'incident même une entente conforme aux intérêts réciproques.

Cette démarche, qui, si le sultan avait pu se croire offensé, pouvait être considérée comme une réparation; cet appel sérieux aux intérêts vrais des deux pays, ne triompha pas d'une prévention malheureusement trop profonde; on y répondit par l'interruption complète des rapports diplomatiques et par la menace de mesures coercitives.

Pendant que tout cela se passait, une des grandes puissances, gardienne jalouse de la paix en Europe, proposa spontanément, dans l'intérêt de la Porte, autant que dans l'intérêt de la Grèce et de tant d'autres intérêts solidaires, un mode d'arrangement. M. le prince de Metternich fit, en date des 10 et 13 mars, les propositions suivantes :

La Grèce devait déclarer à la Porte qu'elle recevrait tout ministre, fût-ce même M. Musurus, avec les égards dus au représentant d'une puissance amie, pourvu qu'il arrivât avec des instructions conformes aux sentiments manifestés dans la lettre du sultan. Le gouvernement de S. M. Hellénique devait s'engager à tenir à ce représentant arrivant à Athènes un langage qui, sans coûter à la dignité du roi et du pays, exprimât le regret de ce qui avait amené une fâcheuse complication.

La Porte devait se tenir pour satisfaite de cette déclaration, envoyer à la place de M. Musurus un musulman; ou si elle tenait à renvoyer M. Musurus, ce ne devait être que pour peu de temps.

'Le gouvernement de S. M. Hellénique, appréciant les sages et bienveillantes intentions de M. le prince de Metternich, renonça à ses protestations contre le retour de M. Musurus et accéda, le 28 mars, à la proposition du médiateur. Le gouvernement de

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