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CHAPITRE III

Campagne de Bessarabie.
Expédition en Circassie.

1806-1812.

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Voyage à Jassy. Prise d'Anapa.
Nomination de lieutenant. - Inspec-

Voyage à

tion des colonies et troupes de la Nouvelle-Russie. Pétersbourg. Expédition de mon frère Louis en Circassie. Maladie du duc de Richelieu. Nomination de lieutenant dans la garde impériale russe. — Nomination d'aide de camp de l'empereur Alexandre Ier. — Voyage de madame Narishkin à Odessa et en Crimée. Prise de Soudjouk-Kalé. - Expédition en Circassie. Invasion de la Russie. - Peste d'Odessa. duite du duc de Richelieu.

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Con

En sortant du lazaret, je trouvai mon brevet de souslieutenant à la suite de l'armée; et une lettre ministérielle m'attachant à la personne du duc de Richelieu en qualité d'aide de camp. Malgré ma jeunesse, à cause de ma parenté et surtout de son affection pour moi, M. de Richelieu me confia la direction de sa maison et le règlement de toutes ses dépenses.

Trois semaines après mon admission dans l'armée russe, nous entrions en campagne contre la Turquie; l'armée, commandée par le général Michelson, se divisait en trois corps distincts: le premier, sous les ordres du duc de Richelieu, ayant le lieutenant-colonel comte de Venanson pour chef d'état-major; le second, commandé par le général de Meyendorff; le troisième, sous les ordres du général en chef. Notre colonne, forte de quatre mille hommes. d'infanterie, six cents chevaux et douze pièces de canon,

traversa le Dniester sur un pont de bateaux, construit sous la direction de mon frère, entra en Bessarabie et s'empara sans brûler une amorce de la forteresse turque d'Ak-Kerman. Les fortifications, armées de quatre-vingtcinq pièces de canon en bronze, du calibre 24, étaient en bon état, mais la garnison se composait seulement de douze bombardiers - artilleurs, quatre janissaires, trente Albanais et du commandant, Tapchi-Bachi, borgne, manchot, boiteux, âgé de soixante-dix-huit ans; la forteresse fut démantelée et les canons envoyés à Sébastopol. Au même moment, Yousouf-Pacha ouvrait les portes de Bender au général Meyendorff; le général en chef entrait en Moldavie; la Bessarabie et le Boudjack restaient au pouvoir des Russes, moins la forteresse d'Ismail; les ordres de Pétersbourg défendaient de pousser plus vivement l'attaque. Deux corps d'armée restèrent en observation l'un sur le Pruth, l'autre sur le Danube. M. de Richelieu rentra à Odessa avec son état-major, laissant le commandement de sa colonne au comte de Langeron.

Au mois de février 1807, une ambassade, composée de trois boyards moldaves, envoyés par leur divan, vint prier le duc de Richelieu « d'honorer leur capitale de sa présence auguste ». paroles textuelles, écrites en français. Le duc accepta; les ambassadeurs partirent en toute hâte annoncer la réussite de leur mission et préparer la réception.

La suite de M. de Richelieu se composait de deux aides de camp, un jeune Livonien et moi; un secrétaire russe, un médecin français, le docteur Scudéry, sept domestiques; en tout, douze personnes, réparties dans trois calèches à six chevaux. D'Odessa nous allions coucher à Tyraspol, sur le Dniester, en face de Bender; le len

demain, à Kyschenew, première ville de Moldavie. MM. Balche et Canons nous y attendaient, chargés par le divan de complimenter le duc de Richelieu, de l'escorter jusqu'à Jassy, et de commander les chevaux de poste nécessaires pour nos voitures.

La Moldavie est un pays charmant, le sol en est très fertile; la population, d'origine romaine, ainsi qu'il est facile encore de le voir par la beauté, la régularité des traits et la forte constitution des habitants, celle des paysans surtout, offre matière à d'intéressantes études. Si leur langage ne venait rappeler leur origine, on aurait grand'peine à retrouver dans l'attitude humble, rampante et craintive de toutes les classes, suite d'une longue servitude, les descendants de ces soldats, fils et pères des dominateurs du monde. La langue usuelle de la Moldavie est un mélange de latinité et de mots turcs, slaves ou grecs, introduits par des vainqueurs barbares.

Avant d'arriver à Jassy, nous visitions le fameux mur de Trajan, rempart de vingt-cinq lieues de long, élevé derrière un large fossé et construit par ces infatigables légions romaines, pour mettre une barrière entre les soldats colonisants et les hordes qui les avoisinaient. On nous assigna pour logement à Jassy le palais de M. Costaki de Balche, frère du délégué venu au-devant de nous. Il nous reçut fort gracieusement et nous installa somptueusement.

La ville était pleine de généraux, d'officiers d'état-major de tous grades; car les Russes faisaient encore la guerre suivant l'ancienne méthode. Les troupes prenaient leurs quartiers d'hiver, et pendant ce temps de repos, on complétait et réorganisait les cadres, les effectifs et le matériel de l'armée. Napoléon, ce prodigue d'hommes, ne pouvait s'accommoder de cette méthode, trop lente pour son vaste

génie; il l'appelait surannée, et se battait en toutes saisons, quand il le jugeait avantageux. Il en a été cruellement puni cinq ans plus tard. Lors de l'expédition de Russie, s'il avait employé cette ancienne manière de faire la guerre, et pris ses quariters d'hiver à Smolensk, tous les désastres qui ont accablé son armée, invincible jusqu'alors, ne lui seraient pas arrivés.

Heureusement pour nous, cette mode n'avait pas gagné les bords du Pruth; durant un mois, les bals, les concerts, les comédies, les dîners les plus recherchés se succédèrent sans interruption.

Je vais essayer de donner une idée de la société de Jassy à cette époque. Les hommes portaient de grandes barbes, étaient coiffés de kalpaks, espèce de turban en fourrure, revêtus des plus riches étoffes, chaussés de babouches jaunes, en un mot gardaient tout le type oriental. Ils conservaient dans leur attitude la gravité ennuyeuse des Turcs, et cependant, pour trancher de Européen civilisé, laissaient, contre leur volonté et leurs usages, une liberté illimitée à leurs femmes, qui ne manquaient pas d'en abuser. Elles suivaient les dernières modes de Paris ou de Vienne, imitaient les allures des dames de l'ancienne Cour de France; leurs 'meubles mêmes venaient de Paris. Madame Costaki de Balche nous reçut un jour à midi, dans son lit, sous prétexte de migraine: coiffée d'un bonnet des plus coquets, revêtue d'une camisole brodée, ornée de dentelles magnifiques et de noeuds du rose le plus frais; un châle de cachemire d'un grand prix couvrait le lit, de splendides vases de porcelaine, garnis des fleurs les plus rares, décoraient tous les coins; un demi-jour savamment calculé complétait cette mise en scène, et nous rappelait les boudoirs de nos élégantes.

Dans cette Capoue moderne, où nous rencontrâmes presque tous des beautés peu cruelles, Théodorite de Crussol s'éprit éperdument et demanda la main d'une jeune veuve de dix-huit ans, ravissante brune avec des yeux bleus, fille d'une princesse St...... Ce mariage réunissait jeunesse, beauté, naissance, fortune; la partie morale seule laissait à désirer. Théodorite écrivit au duc d'Uzès, son père, pour solliciter son consentement; mais la duchesse de la Trémoille, princesse de Tarente, sœur de la duchesse d'Uzès, toutes deux de l'illustre famille de Châtillon-Châtillon, résidait à Pétersbourg; elle fut informée de la folie que son neveu voulait faire, et mit sa sœur au courant de la situation. Les obstacles, les lenteurs augmentèrent l'amour des jeunes gens, et la séduisante Moldave ne sut rien refuser à son adorateur. Heureusement pour Crussol, il dut rejoindre en toute hâte l'armée, qui entrait de nouveau en campagne. Quant à sa belle, elle se consola en épousant quelques semaines plus tard le général baron H.... Théodorite de Crussol, épuisé par les fatigues de la campagne de 1812, mourut en 1813 dans une petite ville du duché de Varsovie. Mon frère fut assez heureux pour entourer de soins et de consolations notre ami d'enfance; nous avions en effet bien joué ensemble à Londres en 1798; à cette époque, le duc et la duchesse d'Uzès, émigrés, habitaient la même maison que ma mère, sur Golden square.

Après trois semaines passées au milieu des plaisirs les plus variés, il fallut songer à rejoindre nos gouvernements; les troupes avaient quitté leurs cantonnements, se dirigeant sur le Danube; d'importantes opérations militaires allaient commencer dans quelques jours et sur plusieurs points en même temps. Avant de retourner à Odessa, où de nombreuses occupations l'attendaient, M. de

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