Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Napoléon croyait sans doute que les Espagnols imiteraient les Italiens et les Hollandais, dont les Députés aristocrates et bourgeois se sont résignés à le prier de les enchaîner. Déjà même une Junte, établie à Madrid et dirigée par Murat, le prie de donner Joseph pour Roi d'Espagne.-Mais le Peuple, qui partout a plus d'honneur, de patriotisme et de courage que l'Aristocratie et la Bourgeoisie, le Peuple s'indigne, s'insurge, s'irrite, se lève comme un homme d'honneur (dira Napoléon lui-même à Sainte-Hélène), brave tous les périls, et, comme le Peuple français en 92, s'écrie : vaincre ou périr!... Sa fureur est telle que, s'il tenait Napoléon, il le massacrerait, le pendrait, lui arracherait les yeux et la langue, ou le scierait entre deux planches et le couperait en morceaux comme il fera à ses soldats.

Cependant le Sénat, le Conseil-d'Etat, Talleyrand, etc., seront trop lâches pour ne pas approuver toujours, encenser, encourager Napoléon. Le Peuple et l'Armée ne connaissent pas la vérité ou désapprouvent, mais sans pouvoir désobéir à une volonté despotique. C'est donc l'Armée qui devient, malgré elle, l'instrument de l'oppression des Espagnols, et c'est contre elle qu'ils tourneront toute la rage qu'ils ont contre l'Empereur.

[ocr errors]

Dans la première insurrection, à Madrid, 500 Français périssent. Les Français se défendent, attaquent, tuent des milliers d'Espagnols, en livrent une foule d'autres à leurs commissions militaires, et étouffent l'insurrection dans le sang. On devine la nouvelle fureur des Espagnols!... Ils vont devenir cruels, féroces... Les Français useront de représailles... Quelle confusion, quel chaos! Les Moines, qui couvrent l'Espagne, menacés dans leur existence, vont allumer le fanatisme... Les Généraux vont piller les couvents, tuer les Moines... Et si l'Espagne devient, pendant six ans, le théâtre de toutes les atrocités; si Napoléon y fait tuer un million d'Espagnols et 3 ou 400,000 Français; si, par suite, l'Europe est en feu, à qui la faute et la responsabilité?

Une amnistie ramène la paix pour un moment. Une

grande Junte, convoquée à Bayonne pour le 15 juin, et composée des Députés du Clergé, de la Noblesse et de la Bourgeoisie, accepte Joseph et rédige une Constitution. Napoléon nomme Murat Roi de Naples, et revient à Paris, croyant l'Espagne à lui.

Mais l'insurrection éclate de nouveau et devient générale; partout on massacre les malheureux Français isolés; le Général René, qui revient de Portugal, est scié entre deux planches; partout on organise des Juntes insurrectionnelles ; et la Junte supréme de Séville déclare la guerre au nom de la Nation. Les Anglais accourent, et se hâtent de fournir des armes, des munitions, des officiers pour instruire et diriger, des vivres, etc., et une armée Anglaise, outre l'armée Espagnole de La Romana, qui faisait partie de l'armée française en Poméranie, et qu'ils ramènent sur leurs vaisseaux.C'est en vain que Dupont s'empare de vive force de Cordoue, où il augmente la fureur des Espagnols en pillant et en levant des contributions; c'est en vain que Bessières gagne une bataille et tue beaucoup d'Espagnols; c'est en vain que Joseph entre à Madrid (20 juillet), recevant les hommages de quelques fonctionnaires publics Moncey échoue devant Valence; Lefèvre-Desnouettes devant Sarragosse; Dupont, embarrassé par ses fourgons remplis de son pillage, ayant beaucoup de trop jeunes conscrits (à qui la faute?), abandonné par deux régiments Suisses indignés, est forcé de capituler et de mettre bas les armes, à Baylen, avec 15,000 hommes (22 juillet). Les Espagnols portent la fureur jusqu'à violer la capitulation (comme Bonaparte a violé celle de SaintJean-d'Acre et comme il vient de violer toutes les lois de l'honneur à Bayonne), à maltraiter les soldats, à les fouiller comme des voleurs, et à les envoyer prisonniers à Cadix et en Angleterre, tandis qu'on était convenu de les renvoyer en France. Sans doute la défection des Suisses et la violence des Espagnols envers les soldats au mépris d'une capitulation ne peuvent s'excuser ni par le pillage qu'ils reprochent au Général ni par la perfidie qu'ils reprochent à l'Empereur :

mais si les malheureux soldats sont victimes, à qui la première faute?

Quand Napoléon apprend ce désastre, il s'écrie:

« C'est une tache pour le nom français ! Il eût mieux valu qu'ils fussent tous morts les armes à la main! On retrouve des soldats : il n'y a que l'honneur qui ne se retrouve pas !

D

Et sa conduite à Bayonne n'est point une tache à ses yeux ! elle est conforme à l'honneur! Comment un Despote peut-il se plaindre, quand il a donné de pareils exemples? — Aussi, quoiqu'il proteste qu'il fera fusiller Dupont pour avoir sacrifié l'armée à ses fourgons, il n'osera le punir ni de son pillage, ni de sa lâche capitulation!

On conçoit l'effet produit en Espagne, en Europe, en France, par le pillage de Cordoue, la défection des Suisses et la capitulation de Baylen! On devine l'enthousiasme des Espagnols, leur confiance, leur résolution de s'ensevelir sous les ruines de leur Patrie plutôt que de subir un joug étranger.

Joseph est obligé de quitter Madrid avec la garnison (1er août), et Junot, attaqué par Weslesley, commandant 35,000 Anglais, est forcé de capituler, d'évacuer le Portugal, et de s'embarquer sur des vaisseaux britanniques qui les transportent en France. Qu'on juge encore de l'effet!

Cependant Napoléon, qui sent la nécessité de venir luimême en Espagne, sent aussi celle de se prémunir contre une attaque du côté du nord; il se fait céder Flessingue par la Hollande, Kehl vis-à-vis Strasbourg, et Cassel vis-à-vis Mayence; puis, il réunit à la France Parme, Plaisance et la Toscane, divisées en départements; puis, il fait occuper les Etats Romains, et veut exiger du Pape des concessions qu'il refuse; puis, il a une entrevue avec Alexandre, du 6 octobre au 14, à Erfurth, où les deux Empereurs se jurent amitié et alliance; puis, il retire toutes ses troupes d'Allemagne pour les envoyer en Espagne, et lève plus de 200,000 conscrits.

Et, pour compenser tant de sacrifices, il organise une nouvelle NOBLESSE héréditaire; il crée des Princes avec le titre d'Altesse sérénissime, des Ducs, des Comtes, des Barons,

des Chevaliers. Tous les Ministres, tous les Sénateurs, tous les Conseillers d'état à vie, etc., seront Comtes, etc.; tous les membres de la Légion-d'Honneur sont Chevaliers et nobles. Il rétablit les armoiries et les livrées... Et pour rendre cette Noblesse brillante, il voudrait doter ses Princes et ses Ducs de quelques millions de revenus; et, pour les leur donner, il voudrait conquérir l'Europe entière...... Ses favoris, ses protégés, ses fonctionnaires, son armée qu'il flatte, qu'il caresse, qu'il enrichit, sont contents, on le devine; mais la masse de la Nation et du Peuple commence à n'avoir plus d'illusions, à être blasée sur les victoires, à n'être plus sensible qu'aux revers, à voir que Napoléon sacrifie tout à lui et à sa famille, à regretter, à souffrir, à craindre. Mais comment se plaindre? Point de presse, point de Représentation nationale, point de tribune; et toujours des adulations officielles et soldées; le Despotisme ordonne même les vivat, les illuminations, la joie. Il ne sera plus temps à Sainte-Hélène de dire :

« J'ai constitué la nouvelle Noblesse pour écraser l'ancienne et pour satisfaire le Peuple, d'où sont sortis la plupart de ceux à qui j'en conférai les titres, et parce que le plus simple soldat avait le droit d'aspirer au titre de Duc. Je crois même que J'AI EU TORT; car c'était affaiblir ce système d'égalité qui PLAISAIT TANT à la Nation. »

C'est en vain qu'il annonce, en partant pour l'Espagne, que, << avec l'aide de Dieu, il va couronner son frère à Madrid et << planter ses aigles sur les forts de Lisbonne. » Ses prophéties ne s'accompliront pas.

Il écrase cependant les Espagnols en plusieurs combats, c'est tout simple; et Madrid capitule le 4 décembre. Il abolit l'Inquisition, supprime un grand nombre de couvents, et publie une proclamation dans laquelle il parle de sa conquéte, de sa clémence, de ses bienfaits, ajoutant :

« Si vous ne répondez pas à ma confiance, il ne me restera qu'à vous traiter en provinces conquises, et à placer mon frère sur un autre trône. Je mettrai alors la couronne d'Espagne sur ma tête, et je saurai la faire respecter des méchants; car DIeu m'a donné la force et la volonté nécessaires pour surmonter tous les obstacles. »

Mais l'événement prouvera que Dieu le repousse ; et c'est encore en vain qu'il répond à une grande Députation:

« Il n'est aucun obstacle capable de retarder longtemps l'exécution de MES VOLONTÉS... Les Bourbons ne peuvent plus régner en Europe.

D

Et pendant qu'il traite ainsi l'Espagne, voici comme il traite la France. Joséphine ayant répondu (20 novembre 1808) à une Députation du Corps législatif que ce Corps représentait la Nation, Napoléon envoie, de Madrid, l'ordre de faire dire au Moniteur du 15 décembre :

«S. M. l'Impératrice n'a point dit cela: elle connaît trop bien nos Constitutions; elle sait trop bien que le premier Représentant de la Nation, c'est l'Empereur, car tout pouvoir vient de DIEU (la déchéance aussi viendra de Dieu) et de la Nation... Après l'Empereur et ses Ministres est le Sénat, puis le Conseil-d'Etat, puis le Corps législatif, puis chaque Tribunal, puis chaque fonctionnaire public. Le Corps législatif devrait s'appeler Conseil législatif... Ce serait un crime de vouloir représenter la Nation avant l'Empereur.

D

Mais bientôt un courrier vient lui annoncer que l'Autriche reprend les armes ; et Napoléon est forcé de quitter l'Espagne après avoir restauré Joseph, le 22 janvier 1809, et lui avoir donné Jourdan pour conseil.

Nous ne pourrons suivre cette désolante guerre d'Espagne et de Portugal, où le courage de 300,000 soldats envahisseurs échouera devant le patriotisme du citoyen défendant son pays; où l'on verra ce que peut une Nation résolue à s'ensevelir sous ses ruines; où les Français, les Espagnols et les Anglais, seront tour-à-tour vainqueurs et vaincus. Nous dirons seulement, en anticipant sur les faits, que Weslesley serait probablement écrasé et pris, à la bataille de Talaveyra, si Joseph ne commettait pas la faute d'une extrême impatience; que c'est alors qu'il sera nommé Duc de Wellington; qu'il entrera à Madrid, le 12 août 1812, mais pour en être presque aussitôt chassé; que les Portugais offriront la couronne à Soult, qui voudra l'accepter, mais que Napoléon ne le permettra pas; que les Anglais tenteront d'insurger l'armée française en lui promettant Moreau pour chef; que la

« ZurückWeiter »