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fait perdre trois heures; et quand le Ministre paraît dans l'appartement de Drouet, la réunion est déjà dispersée depuis un quart d'heure ; il ne trouve que Drouet et Darthé; et, feignant une méprise, il leur demande excuse pour ne pas leur inspirer de défiance.

Mais comment deux visites de la Police peuvent-elles ne pas convaincre d'une trahison! On soupçonne Germain, qui seul n'était pas à la réunion; et c'est Grisel qui prend sa défense! C'est lui qui a l'adresse de prouver qu'il n'y a que de l'inquiétude de la part de la Police!

Rassuré par Grisel lui-même, on se réunit donc encore le 20, chez Massart, avec les 12 agents révolutionnaires.

Ce même jour 20, au soir, Barras (qui, soupçonnant la conspiration et voulant la trahir, a demandé, dès le 30 germinal, à conférer avec Germain, autorisé par le Directoire secret) fait offrir aux conjurés (suivant Buonarotti), par Rossignol, de se mettre à leur tête avec son état-major ou de se constituer en ôtage dans le faubourg Saint-Antoine, se gardant bien néanmoins de les prévenir de la trahison de Grisel. Mais quelle duperie d'avoir quelque confiance dans un Barras! Si c'est évidemment un hardi fripon qui veut soutirer leurs secrets pour les perdre, quelle incroyable crédulité dans les conjurés !

Ils viennent de décider, dans la réunion Massart, qu'ils se rassembleront, une dernière fois, demain matin 21, chez Dufour, faubourg Poissonnière, pour fixer le jour de l'insurrection, lorsque, le même soir du 20, Barras et les quatre autres Directeurs donnent l'ordre d'arrestation. L'armée de l'intérieur, sur laquelle les conjurés comptaient, se met en mouvement pour les arrêter dans les lieux indiqués par Grisel; et le 21 (10 mai), au matin, Babeuf et Buonarotti sont arrêtés dans la cachette du premier, rue de la GrandeTruanderie, dans la chambre où ils viennent de passer la nuit ensemble, tandis que Darthé, Germain, Drouet et d'autres, sont arrêtés chez Dufour. Presque tous les membres des

Comités sont arrêtés ailleurs; beaucoup de Démocrates sont arrêtés en même temps et conduits à l'Abbaye ; et le Peuple, qu'on croyait prêt à l'insurrection, laisse arrêter tous ses chefs, que la Police lui signale comme une bande de voleurs. -Tous les papiers, 22 liasses, 447 pièces, sont saisis chez Babeuf.-On fait aussi des arrestations à Rochefort, Cherbourg, Arras, Saintes, Bourg, Toulouse.

Interrogé par le Ministre de la police, Babeuf nie qu'il soit le chef de la conspiration et refuse de nommer personne; mais il avoue qu'il est un des conspirateurs.

Enfermé dans la tour du Temple et mis au secret, il écrit presque aussitôt, à ce Directoire qu'il voulait immoler, une longue lettre confidentielle dont voici la substance :

Regarderiez-vous au-dessous de vous, citoyens Directeurs, de traiter avec moi comme de Puissance à Puissance? Vous avez vu (par les pièces saisies) de quelle vaste confiance je suis le centre! Vous avez vu que mon parti peut bien balancer le vôtre!.... Est-il de votre intérêt, est-il de l'intérêt de la Patrie, de donner de l'éclat à la conjuration que vous avez découverte ? Je ne le pense pas.... Qu'arriverait-il si cette affaire paraissait au grand jour? Que j'y jouerais le plus glorieux de tous les rôles. J'y démontrerais avec toute la grandeur d'âme, avec l'énergie que vous me connaissez, la sainteté de la conspiration, dont je n'ai jamais nié d'être membre..... On peut me condamner à mort... Mais mon échafaud figurerait glorieusement à côté de celui de Barnvelt et de Sidney. Veut-on, dès le lendemain de mon supplice, me préparer des autels auprès de ceux où l'on révère aujourd'hui comme d'illustres martyrs les Robespierre et les Goujon! Ce n'est point là la voie qui assure les Gouvernements et les Gouvernants.... Vous avez vu que vous ne tenez rien lorsque je suis sous votre main... Vous avez à redouter toutes les autres parties de la conspiration; en me frappant vous irriteriez toute la Démocratie de la République française.... Entreprendriezvous de vous délivrer en total de cette vaste secle Sans-culotide qui n'a pas encore voulu se déclarer vaincue ?.,. Mais vous avez besoin d'un parti pour vous soutenir ; et ôtez celui des patriotes, vous êtes exclusivement vis-à-vis des Royalistes. Que de chemin croyezvous qu'ils vous feraient voir si vous êtiez seuls contre eux!... Mais direz-vous, les Patriotes nous sont aussi dangereux que les Royalistes, et peut-être plus. Vous vous trompez... Moi, je puis vous dire qu'ils ne voulaient pas votre mort: ils voulaient marcher par

d'autres voies que celles de Robespierre; ils ne voulaient point de sang; ils voulaient seulement vous reprendre le pouvoir..... Il est temps encore de revenir... Ne dédaignez pas mon avis, qui est que l'intérêt de la Patrie et le vôtre consistent à ne pas donner de célébrité à l'affaire présente... Ne croyez pas intéressée la démarche que je fais... La mort ou l'exil serait pour moi le chemin de l'im mortalité, et j'y marcherais avec un zèle héroïque et religieux; mais ma proscription et celle de tous les Démocrates ne vous avanceraient point et n'assureraient pas le salut de la République... J'ai ̧ réfléchi qu'au bout du compte vous ne fûtes pourtant pas constamment les ennemis de cette République; vous fùtes même évidemment Républicains de bonne foi: pourquoi ne le seriez-vous pas encore?... Pourquoi ne reviendrions-nous pas tous de notre état extrême pour embrasser un terme raisonnable?.... Les Patriotes, la masse du Peuple, ont le cœur ulcéré : faut-il le leur déchirer encore plus ?... Ne mériteraient-ils pas bien, ces Patriotes, au lieu qu'on aggrave leurs blessures, qu'on songe enfin à les guérir? Vous aurez, quand il vous plaira, l'initiative du bien, parce qu'en vous réside toute la force de l'administration publique. Citoyens Directeurs, gouvernez populairement, voilà tout ce que ces mêmes Patriotes vous demandent. En parlant ainsi pour eux, je suis sûr de n'être pas démenti par eux. Déclarez qu'il n'y a point eu de conspiration sérieuse. Cing hommes, en se montrant grands et généreux, peuvent aujourd'hui sauver la Patrie. Je vous réponds encore que les Patriotes vous couvriront de leurs corps, et vous n'aurez plus besoin d'armées entières pour vous défendre. Les Patriotes ne vous haïssent pas, ils n'ont haï que vos actes impopulaires. Je vous donnerai aussi alors, pour mon propre compte, une garantie aussi étendue que l'est ma franchise perpétuelle. Vous savez quelle mesure d'iufluence j'ai sur cette classe d'hommes, je veux dire les Patriotes: je l'emploierai à les convaincre que, si vous êtes Peuple, ils doivent ne faire qu'un ayec vous. Il ne serait pas si malheureux que l'effet de cette simple lettre fût de pacifier l'intérieur de la France. En prévenant l'éclat de cette affaire, ne préviendrait-on pas en même temps ce qui s'opposerait au calme de l'Europe?

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Il nous est impossible d'exprimer le douloureux étonnement que nous cause la méditation de chaque passage de cette lettre. Que d'imprudence et de légèreté dans tous les faits antérieurs, si le parti Démocrate est sans force et s'il est réduit à implorer la grandeur et la générosité d'hommes comme Barras ! Et s'il est assez puissant et redoutable pour

balancer celui du Directoire, comment l'arrestation de quelques chefs peut-elle tout changer et tout métamorphoser; faire abandonner la Constitution de 93, proclamée nécessaire au bonheur du Peuple; rendre légitime la Constitution de Ian 3, proclamée radicalement usurpatrice et nulle; justifier les auteurs de cette Constitution, proclamés criminels de lèze-majesté populaire; changer en Républicains de bonne foi les cinq Directeurs et les 750 Législateurs, proclamés usurpateurs et oppresseurs, proscrits et voués à la mort, et publiquement traités de scélérats par Babeuf quelques jours auparavant (p. 315)? Comment cette arrestation peut-elle déterminer à se livrer pour ainsi dire au traître Barras et à ses collègues ; à les défendre au lieu de les immoler; à défendre avec eux la Constitution de l'an 3; à abandonner le système de la Communauté, que le Directoire et les Conseils n'adopteront certainement pas, et dont on ne leur fait pas une condition; à renoncer même au milliard demandé pour les soldats, au logement, à l'habillement, à la distribution des biens, qu'on demandait pour le Peuple ?...

Aussi, des phrases ne suffisant pas pour changer les faits, le Directoire, qui sait parfaitement que Babeuf serait impuissant à transformer les Patriotes en amis du Gouvernement puisqu'il n'a pas eu la puissance d'agir sans les Montagnards, s'empresse de publier cette lettre, convaincu qu'elle ne peut être considérée que comme une amende honorable, et qu'elle ne peut produire qu'un effet fatal à ses ennemis ; et en même temps, le 23 floréal (12 mai), il adresse aux Conseils un message qui commence par ces horribles mots : Mort! mort! mort! Puis, il annonce :

« Qu'un affreux complot devait éclater demain à la pointe du jour; que son objet était de renverser la Constitution, d'égorger le Corps législatif, le Directoire, l'État-major, toutes les Autorités de Paris, de livrer la ville au pillage et au massacre. Il appelle les conspirateurs des ennemis du Peuple, qui voulaient le plonger dans de nouveaux malheurs en détruisant son ouvrage (comme si la Constitution de l'an 5 était l'ouvrage du Peuple! comme si son véritable ouvrage n'était pas plutôt la Constitution de 95, détruite par le Di

rectoire)!.... Il les appelle des Amis des Rois, qui voulaient assassiner la liberté au nom de la liberté, détruire la République, et courber les Français sous le joug détesté du Despotisme en les faisant passer par toutes les horreurs de l'anarchie. »

Signé CARNOT, président.

Carnot adresse en même temps toutes les pièces, et désigne l'infâme Grisel sous le titre de citoyen Grisel.

Qu'on juge de l'effroi et de la fureur des 750 Législateurs, de leurs parents, de leurs amis, de tous les fonctionnaires publics, de tous les riches et de tous les propriétaires ! Qu'on juge des cris, des imprécations, des anathèmes, de tous les journaux royalistes contre les Babouvistes! A leurs yeux, les Egaux sont plus noirs que les Jacobins, que la Terreur, que les Hébertistes proscrits par la Terreur elle-même. La réprobation est presque unanime, dit l'Histoire parlementaire; personne n'ose prendre leur défense, si ce n'est Pache et Antonelle. Et le Peuple, qui n'a pas eu le temps de connaître la doctrine de Babeuf, cachée dans quelques numéros de deux journaux proscrits et clandestinement distribués, le Peuple, qui ne peut comprendre un système social qui ne lui est pas suffisamment expliqué, le Peuple reste muet et déconcerté.

A l'instant on accorde au Directoire tout ce qu'il demande, notamment d'éloigner à 10 lieues de Paris les 198 ex-Conventionnels non réélus, tous les fonctionnaires sans emploi, tous les officiers destitués.

Bientôt Drouet, membre du Conseil des 500, est décrété d'accusation par les Conseils, et envoyé devant la HauteCour séante à Vendôme. Les Conseils, violant encore deux fois la Constitution, décident que tous les autres accusés seront distraits de leurs juges naturels, le jury de Paris, envoyés devant la même cour à Vendôme, et privés du recours en cassation. 114 voix dans les deux Conseils se prononcent en faveur de Drouet et des conjurés.

59 Démocrates sont mis en accusation, dont 17 contumaces. Parmi ces accusés ou remarque les ex-Conventionnels

T. IV.

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