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ment comme le désire la police, tout peut être perdu, comme Brutus et Cassius ont perdu la République romaine pour avoir cédé à l'impatience de leurs soldats et livré le combat avant le jour qu'ils avaient jugé seul convenable pour une victoire assurée. Mais le Directoire secret, cédant à l'impatience des Démocrates, redoutant les soupçons et les calomnies, se laissant entraîner par la masse aveugle au lieu de la diriger, se décide à presser l'insurrection avant que l'opinion publique soit éclairée.

Le 11 floréal, violant son propre réglement qui lui fait une loi de la prudence et du secret, il commet la faute énorme d'appeler cinq Généraux et officiers, Fion, Rossignol, Massart, Germain et Grisel. Il leur fait connaître tous ses travaux, tous ses plans, toutes ses forces, leur donne lecture de l'acte insurrecteur, les constitue en Comité militaire, et les charge de préparer le plan d'attaque et de défense. Voici Grisel, presque inconnu, qui, sans nécessité, est rendu possesseur de tous les secrets de la conspiration, après avoir obtenu la confiance par la seule manifestation (toujours facile) d'un ardent Républicanisme.

Le Comité militaire se réunit le 12 et propose un plan le 15.- On fait imprimer des guidons ou petits drapeaux portant diverses inscriptions.

Au même moment, deux Officiers de la Légion de police, qui se trouvent de service auprès du Directoire exécutif, proposent de poignarder les cinq Directeurs pendant la nuit suivante et de commencer immédiatement l'insurrection : le Directoire secret refuse parce qu'on n'est pas encore prêt, n'ayant ni poudre ni argent, et seulement une somme de 240 francs, qui sera même saisie par la police.

Mais tout-à-coup, la division éclate soit entre le Comité militaire et le Directoire secret, soit entre le Directoire secret et le Comité montagnard, soit entre les membres du Directoire secret. Les Généraux Fion et Rossignol, liés avec le Comité montagnard, surpris de ne voir aucun Conventionnel dans le Directoire secret, menacent de se retirer si les deux Comités

conspirateurs ne sont pas réunis en un seul, et engagent même le Comité Amar à demander cette réunion, effectivement demandée par Ricord en son nom.-Mais Bodson, accusant les Montagnards d'avoir tout perdu au 9 thermidor (ce qui s'applique également à Babeuf) et de n'agir encore que par ambition personnelle, déclare qu'il vaut mieux tout abandonner que de s'exposer à une catastrophe qui achèverait l'oppression du Peuple; et cette opinion irrite un autre membre jusqu'à accuser Bodson lui-même de pusillanimité. Tout n'est-il pas perdu quand on en vient à une pareille mésintelligence là où l'estime, la confiance, l'identité d'opinions et de sentiments et l'union la plus parfaite, sont d'une indispensable nécessité?

Le Directoire secret ne se dissimule pas que l'adjonction des Montagnards rendra bien plus difficile l'établissement de la Communauté, et qu'il faudra les y contraindre après l'insurrection. Cependant, désespérant de réussir sans eux, il décide la réunion et le rétablissement de la Convention exclusivement composée des 68 Montagnards proscrits, mais à condition 1o qu'on y adjoindra 83 Députés élus par l'insurrection; 2° qu'on exécutera l'acte insurrecteur relatif aux biens, aux habillements et aux logements à distribuer au Peuple; 3° qu'on exécutera le décret constituant dont nous avons parlé (p. 311).

Ricord, appelé le lendemain dans le Directoire secret, accepte tout sauf ratification; mais le Comité montagnard refuse, et chaque Comité prend la résolution d'agir séparément et de combattre l'autre c'est la guerre entre eux, d'autant plus que, pendant ces diverses négociations, le Directoire secret a fait aux Montagnards les plus cruels reproches sur leurs crimes ou leurs erreurs au 9 thermidor et depuis.

Cependant, après avoir refusé, avec une hauteur et un orgueil aristocratique bien opposés aux principes de l'égalité et de la véritable souveraineté du Peuple, le Comité montagnard, divisé lui-même, accepte les conditions le 18 floréal; et l'on va marcher d'accord: mais le succès n'est-il pas impossible dans une pareille coalition! Et d'ailleurs, remarquons

qu'il ne s'agit plus que d'une conspiration ordinaire avec le but général et vague de toutes les conspirations précédentes, l'égalité. Remarquons même qu'on découvrira bientôt que les Montagnards n'ont accepté qu'avec la perfide pensée d'éluder leurs engagements et de combattre ensuite la Communauté. Néanmoins, on convient d'une réunion générale des trois Comités, pour le lendemain 19, chez Drouet.

Là, et dans deux autres réunions consécutives, on décide que l'insurrection éclatera le 22 ou le 23.

Les conspirateurs comptent sur plus de 17,000 combattants (4,000 révolutionnaires de Paris; 1,000 des départements; 1,500 fonctionnaires destitués; 500 officiers chassés; 500 militaires détenus; 1,000 canonniers; 1,500 grenadiers du Corps législatif; 6,000 soldats de la Légion de police; 1,000 vétérans) et la masse des ouvriers. Ils comptent aussi sur l'artillerie du camp de Vincennes et sur les 8,000 hommes du camp de Grenelle, dont Grisel garantit le dévouement à la Démocratie.

Nous ne parlons pas du plan d'attaque et de défense ni des moyens préparés: c'est la guerre contre un Gouvernement armé; c'est un combat dans lequel chaque parti peut être vaincu et écrasé par le vainqueur. On fera comme la Bourgeoisie de la Garde nationale s'insurgeant au 13 vendémiaire (p. 270) et comme les Royalistes voudront bientôt faire. Si l'insurrection populaire triomphe, elle jugera et condamnera les membres les plus coupables du Directoire et des deux Conseils, comme l'insurrection royaliste du 13 vendémiaire aurait massacré la Convention sur place, comme tous les partis vainqueurs jugent ou proscrivent le parti vaincu. Remarquons seulement que le Directoire insurrecteur doit tout diriger, et que (quoique M. Thiers dise le contraire) toute tentative de pillage et de vengeance individuelle sera sévèrement réprimée comme essentiellement contraire à l'intérêt du Peuple.

N'apercevant personne plus capable de diriger la Nation délivrée, le Directoire insurrecteur décide aussi qu'il propo

sera au Peuple de lui continuer le pouvoir exécutif, pendant un an, auprès de la nouvelle Convention nationale composée de 170 membres au plus.

Et dans les deux ou trois jours qui lui restent avant l'insurrection, le Directoire secret arrête les institutions transitoires par lesquelles il compte préparer la Communauté.

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Car, au demeurant, dit Buonarotti, le Comité, loin de prétendre donner l'égalité de fait le lendemain de l'insurrection, quoique décidé à ne rien négliger de ce qui pouvait en hâter l'établissement complet, ne se croyait pas en état d'en fixer l'époque. Il sentait la nécessité d'une marche graduelle en rapport avec le progrès de l'opinion et avec le succès de ses premières mesures. N'eût-il fondé que l'éducation commune, il eût beaucoup fait pour l'Humanité. »

L'établissement de la grande et parfaite Communauté nationale, dit-il ailleurs, était le dernier but des travaux du Comité ; cependant il se serait bien gardé d'en faire l'objet d'un ordre le lendemain de son triomphe et de contraindre les opposants à y prendre part. »

Cependant, Babeuf ne craint pas d'annoncer la conspiration, de déclarer la guerre et de chanter victoire :

◄ Les émissaires des Tallien, des Legendre, des Barras, et ces honnêtes gens eux-mêmes, dit-il dans son Tribun du Peuple, se trémoussent pour tâcher de nous faire tomber dans le plus abominable des piéges... Ils osent vous faire entendre qu'ils sont prêts à se constituer les vengeurs des forfaits qu'ils ont commis... Ils disent que Barras et Carnot sont d'excellents Républicains qui doivent faire cesser les maux du Peuple et qu'il faut se rallier à eux... Ceux qui n'ont jamais cessé de vous assassiner, de vous affamer, veulent sauver leurs têtes criminelles... Mais nous ne devons pas souffrir que ces êtres odieux prennent un fusil et s'alignent comme simples soldats au milieu de nous. Si le Peuple de France agissait autrement à leur égard, il serait le plus lâche des Peuples; il ne mériterait plus qu'un seul homme fort et sage employât ses moyens pour faire triompher la liberté... Nous voulons faire une révolution pour assurer à jamais le bonheur du Peuple... Ne donnez donc dans aucun panneau..... Ils disent qu'ils ont les soldats; ils en ont menti; les soldats ne sont point à eux; ils sont les nôtres. Oui, le soldat n'ira qu'avec nous et pour nous. Tant mieux que les scélérats qui nous vexent nous aient fait venir une grosse armée! nous n'en serons que plus forts! Ainsi, le jour du Peuple, nous irons tous ensemble à une victoire sûre, sous

l'unique direction des hommes du Peuple, lorsqu'ils nous marqueront ce jour heureux. »

Mais des phrases ne sont pas des faits, des allégations ne sont pas des réalités! Et n'est-ce pas folie d'aveatir et de menacer ainsi des révolutionnaires comme Barras, Tallien, Legendre, etc., qui ont su faire le 9 thermidor? Que dira la Postérité d'une pareille confiance, si tous ces chants de victoire se transforment en une effroyable catastrophe amenée par l'imprudence des chefs?

Or, Grisel a tout révélé au Directoire dès le 15; et de ce moment, instrument de la Police, c'est lui qui montre le plus de haine contre les Tyrans, le plus de dévouement au Peuple, le plus d'impatience révolutionnaire; c'est lui qui accuse les autres de tiédeur; si quelqu'un émet quelque proposition d'ajournement, c'est lui qui la repousse ; si le manque d'argent arrête, c'est lui qui en promet, disant qu'il se saignera par patriotisme, affirmant qu'il vient d'arracher 10,000 francs à son aristocrate d'oncle. Deux jours après sa trahison, il écrit au Directoire secret qu'il organise les sous-officiers démocrates du camp de Grenelle en petits groupes de quatre pour éviter les trahisons, et qu'il leur distribuera 35,000 fr. en assignats qu'il a demandés à son frère qui les lui doit, et 10,000 fr. qu'il va demander à son cousin notaire à Paris.

Cependant la Police, qui veut arrêter tous les conjurés réunis, se présente le 18 chez Ricord où Grisel croyait que les deux Comités devaient se rassembler; et chose étonnante, cette visite ne donne pas de soupçon. Convoqué lui-même pour la réunion des trois Comités, le 19, chez Drouet, Grisel fait connaître le lieu et l'heure; et cette fois, le Ministre de la police, qui dirige l'opération en personne, qui arrive à onze heures à la tête d'un détachement d'infanterie et de cavalerie, qui entoure la maison et qui entre brusquement de vive force en violant la Constitution qui défend les visites domiciliaires pendant la nuit, ne peut manquer de les prendre tous mais un mal-entendu, une erreur dans l'exécution d'un ordre, a

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