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celle de l'administration publique, ou des négociations. C'étoit donc moins les individus qui excitoient le déchaînement que l'institution elle-même. Façonnée, subjuguée par l'oppresseur, elle étoit devenue en quelque sorte antinationale Mais combien de sénateurs avoient gémi en secret! combien de sénateurs avoient eu le cœur navré des tristes obligations que leur avoit imposées un despotisme pour ainsi dire inévitable! Le colosse une fois ébranlé, on pouvoit s'attendre que le sénat céderoit au vœu public avec autant de facilité qu'il avoit plié sous la volonté impérieuse de Napoléon.

Ce corps se croyoit écrasé sous les débris du trône de l'usurpateur, quand la déclaration suivante de l'empereur de Russie vint lui donner une existence nouvelle.

« Les armées des puissances alliées ont occupé la capitale de la France. Les souverains alliés accueillent le vœu de la nation française. » Ils déclarent :

>>

Que si les conditions de la paix devoient renfermer de plus fortes garanties, lorsqu'il s'agissoit d'enchaîner l'ambition de Buonaparte, elles doivent être plus favorables, lorsque, par un retour vers un gouvernement sage, la France elle-même offrira l'assurance de ce repos.

>> Les souverains proclament en conséquence: >> Qu'ils ne traiteront plus avec Napoléon Buonaparte, ni avec aucun de sa famille ;

» Qu'ils respectent l'intégrité de l'ancienne France, telle qu'elle a existé sous ses rois légitimes; ils peuvent même faire plus, parce qu'ils professent toujours le principe que, pour le bonheur du peuple, il faut que la France soit grande et forte.

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Qu'ils reconnoîtront et garantiront la constitution que la nation française se donnera. Ils invitent par conséquent le sénat à désigner sur-le-champ un gouvernement provisoire qui puisse pourvoir aux besoins de l'administration, et préparer la constitution qui conviendra au peuple français.

» Les intentions que je viens d'exprimer me avec toutes les puissances

sont communes

alliées.

» Signé ALEXANDRE.»

Ainsi des monarques, trop long-temps menacés par les armes de la France, ne s'en vengeoient qu'en lui offrant avec la paix toute son indépendance et le choix d'un gouvernement légitime.

Ainsi le sénat de Napoléon étoit appelé luimême par le réparateur des maux de l'Europe

à participer au grand œuvre de la régénération politique.

Quelle fut la surprise des sénateurs quand, déchus en quelque sorte de leurs fonctions par une révolution si prononcée et si paisible, ils se virent convoqués extraordinairement par le prince Talleyrand de Périgord, en sa qualité de vice-grand-électeur! Son nom seul, il est vrai, et la réputation de ses talens étoient de grands motifs de sécurité, et ne pouvoient manquer d'entraîner les personnages les plus considérables de l'Etat, qui, dans l'ordre civil et militaire, n'avoient servi qu'à regret les violences de Napoléon. A peine convoqués, la plupart des sénateurs se rendent en grand costume à la séance extraordinaire : ils se montrent pâles, décomposés, mais polis et affables, affectant de saluer le public comme s'ils avoient peu compté encore sur la générosité des vainqueurs. A peine le prince Talleyrand leur a-t-il communiqué le sujet de la convocation, à peine sont-ils informés qu'il s'agit de voler au secours d'un peuple délaissé et de sauver la patrie, que l'espérance reparoît sur leur visage, et la fierté dans leur maintien comme dans leurs paroles; ils entrevoient dès lors que, protégés par deux cent mille haïonnettes, ils pourront s'ériger en autorité

libératrice, et se dédommager ainsi du honteux asservissement où les a tenus Napoléon.

Par un premier décret, soixante-cinq sénateurs réunis, secouant le joug impérial, formèrent un gouvernement provisoire, ou comité chargé de rétablir l'action de l'administration de l'Etat. Toutes les voix se portèrent sur le prince Talleyrand, le comte Beurnonville, sénateur, le comte de Jaucourt, sénateur, le duc de Dalberg, conseiller d'Etat, et l'abbé de Montesquiou, ancien membre de l'assemblée constituante; ce choix, inspiré par la modération et par la sagesse, annonçoit que la restauration tendroit vers la liberté publique, et que la France n'auroit à déplorer aucune réaction fâcheuse. Le gouvernement provisoire signala son installation par une adresse aux armées françaises : « Vous n'êtes plus, leur » dit-il, les soldats de Napoléon; le sénat et » toute la France vous dégagent de vos ser

» mens. »

La journée fut couronnée, pour ainsi dire, par une scène éclatante, et qui décela aux yeux les moins clairvoyans les progrès irrésistibles de la restauration.

Dans la matinée l'empereur de Russie et le roi de Prusse avoient parcouru à cheval

les plus beaux quartiers de la ville, et partout sur leur passage les diverses classes de citoyens avoient pu les approcher et les entendre. Loin de satisfaire la curiosité publique, cette extrême affabilité dont la nation française sembloit avoir perdu le souvenir, cette touchante popularité qui relève et pare la grandeur, redoubloient l'empressement général. Le bruit s'étant répandu que les deux souverains iroient le soir à l'Opéra, bientôt une multitude immense vint en assiéger toutes les entrées. Cette vaste salle offrit, au moment de la représentation, l'aspect unique de plusieurs milliers de spectateurs rassemblés de tous les points de l'Europe, parlant diverses langues, et tous confondus dans un seul sentiment, dans un seul vœu : la paix du monde et le salut du genre humain.

L'apparition de l'empereur Alexandre et de Frédéric-Guillaume dans une loge préparée dessus de l'amphithéâtre, excita des transports siunanimes, des acclamations telles que la plume essaieroit vainement de les décrire. Ce n'étoient plus ces honteuses vociférations qu'un groupe d'infâmes satellites proféroit pour un vil salaire, tandis que le reste des spectateurs gardoit un morne silence. C'étoit l'élan

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