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du peuple, et l'on vit des troupes de femmes verser leurs bénédictions sur les soldats de l'Europe qui venoient de délivrer leur pays, et manifester leur exécration contre le dominateur qui l'avoit désolé.

Partout le drapeau blanc flottoit, et les jeunes gens déployoient avec ostentation l'emblème du gouvernement légitime : ils accouroient s'inscrire sur des listes dressées à la hâte pour la formation d'une garde royale (1).

Cependant l'opinion publique ne s'étoit pas encore exprimée d'une manière légale. Le corps législatif, par sa popularité, devenoit le véritable organe des sentimens de la nation; mais dispersé par un coup d'Etat depuis le 31 décembre, il ne pouvoit se réunir assez tôt, ni dans une majorité assez imposante, pour prendre l'initiative du mouvement régénérateur.

Le sénat étoit le seul corps qui possédât quelque autorité; mais la France entière sembloit le maudire comme ayant été l'instrument le plus docile des caprices du tyran. Plusieurs de ses membres d'ailleurs avoient quitté Paris dès le 28 mars; le plus grand nombre s'y trouvoit encore le 30; mais au bruit du canon

(1) Chez M. Charles de Noailles, rue du Faubourg S. Honoré.

presque tous les sénateurs avoient essayé de fuir. Retenus aux barrières, ils s'étoient vus forcés de rentrer dans la ville, et la plupart s'étoient tenus cachés, redoutant les effets de la haine des Parisiens, ou d'une réaction politique. Dans cet instant de fluctuation et d'incertitude, une autorité moins élevée, mais plus rapprochée du peuple, devint le premier interprète des vœux de la nation.

Assemblé à l'hôtel-de-ville, le conseil municipal de Paris ose déclarer le premier qu'il renonce formellement à toute obéissance envers Napoléon, et il exprime le vœu le plus ardent pour que le gouvernement monarchique soit rétabli dans la personne de Louis XVIII et de ses successeurs légitimes; cette résolution courageuse, le conseil municipal la motive dans une proclamation adressée aux Parisiens, et dont les principaux traits méritent d'être consignés dans l'histoire de la restauration.

« Habitans de Paris, vos magistrats seroient »traîtres envers vous et la patrie, si par de » viles considérations personnelles, ils comprimoient plus long-temps la voix de leur >> conscience.

» Elle leur crie que vous devez les maux qui vous accablent à un seul homme : c'est >> lui qui chaque année, par la conscription, » décime nos familles; c'est lui qui, au lieu » de quatre cents millions que la France payoit >> sous nos bons et anciens rois, pour être libre, heureuse et tranquille, nous a surchargés de plus de dix-sept cents millions d'impôts aux

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quels il menace d'ajouter encore ; c'est lui qui »> nous a fermé les mers des deux mondes, qui >> a tari toutes les sources de l'industrie natio» nale, arraché aux champs les cultivateurs, » les ouvriers à nos manufactures.

» A lui nous devons la haine de tous les peuples, sans l'avoir méritée, puisque, » comme eux, nous fûmes les malheureuses >> victimes bien plus que les tristes instrumens » de sa rage.

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N'est-ce pas lui enfin qui, redoutant par» dessus tout la vérité, a chassé outrageuse»ment, à la face de l'Europe, nos législa>>teurs, parce qu'une fois ils ont tenté de la >> lui dire avec autant de ménagement que de dignité ?

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Il n'est pas un d'entre nous qui, dans le » secret de son cœur, ne le déteste comme un » ennemi public; pas un qui, dans ses plus

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» intimes communications, n'ait formé le voeu » de voir arriver un terme à tant d'inutiles > cruautés.

» Le vœu de nos cœurs et des vôtres, nous » serions les déserteurs de la cause publique » si nous tardions à l'exprimer.

L'Europe en armes nous le demande elle » l'implore comme un bienfait envers l'huma» nité, comme le garant d'une paix univer» selle et durable. Parisiens! l'Europe en » armes ne l'obtiendroit pas de vos magistrats, » s'il n'étoit pas conforme à leurs devoirs.

>> Mais c'est au nom de ces devoirs même » et des plus sacrés de tous que nous abjurons » toute obéissance envers l'usurpateur, pour >> retourner à notre maître légitime.

» S'il y a des périls à suivre ce mouvement » du cœur et de la conscience, nous les accep>> tons; l'histoire et la reconnoissance des Français recueilleront nos noms, et les légueront à l'estime de la postérité.

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Oui, magistrats courageux, la postérité, et surtout la patrie vous sauront gré d'avoir pris cette initiative honorable. Honneur au conseil municipal la France et l'Europe leur doivent peut-être leur salut. Honneur aux Badenier,

aux Barthélemy, aux Bellart (1), aux Bonnomet, Boscheron, Delaitre, Gauthier, d'Harcourt, de Lamoignon, Lebeau (2), de Montamant (3), Perignon et Vial! Paris et la France entière doivent une éternelle reconnoissance à ces magistrats énergiques et fidèles.

Il restoit un dernier coup à porter, car la politique réclamoit la coopération des premiers corps de l'Etat, du sénat et du corpslégislatif. Mais pendant dix ans le sénat avoit tenu la France et l'Europe enchaînées aux pieds de l'usurpateur; il avoit plus affligé la terre et plus déshonoré le cœur humain, que le sénat de Tibère et celui de Néron.

Telle étoit du moins, à l'égard de ce premier rouage du gouvernement impérial, l'expression unanime de l'opinion publique. On convenoit cependant qu'il renfermoit une foule de membres estimables qui n'avoient dû leur élévation qu'à leurs talens, à la considération dont ils étoient environnés, ou aux services signalés qu'ils avoient rendus à la patrie: les uns dans la carrière des armes; d'autres dans

(1) Rédacteur de la proclamation, (2) Président du conseil.

(3) Secrétaire du conseil.

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