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niers pelotons des alliés, et massacre plusieurs soldats bavarois (1).

Sous ces sanglans auspices, le vainqueur fait son entrée dans Troyes à huit heures : ses yeux respiroient la vengeance. Il étoit encore à cheval lorsqu'apercevant un commissaire de police en costume, il lui adresse ces paroles menaçantes : « Il y a ici cinq personnes qui » ont pris la croix de Saint-Louis. Votre Majesté est mal informée, répond le commissaire, il n'y en a que deux. Quelles sont» elles? - Ce sont M. de Widranges et M. de >> Gouault. Quelle est leur moralité?

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Sire, je n'en ai jamais entendu dire que du » bien. — Qu'on les arrête sur-le champ. » Une seule victime étoit restée sous la main de l'oppresseur : c'étoit l'infortuné de Gouault; il venoit de rejeter le conseil de ses amis, qui l'avoient conjuré de fuir. Rien n'avoit pu le décider à s'éloigner de sa femme; il l'adoroit; il lui devoit sa fortune; l'idée de s'en séparer lui sembloit plus cruelle que l'idée même de la mort. Ebranlé un moment à l'approche du danger, par les instances de ses amis et de son beau-père, vieillard octogé

(1) Voyez Pièces justificatives, No. XXXVII.

naire et infirme, il entend son épouse en proie à la douleur, aux convulsions, et les yeux inondés de larmes, lui dire d'une voix pres qu'éteinte: «< Que deviendrai-je si vous me quittez ? » Dès lors plus rien au monde ne peut le décider à s'en éloigner. Il se berce même de l'espoir que Napoléon, par politique, ne le recherchera point, pour ne pas faire connoître à la France et à l'Europe qu'il existe dans Troyes un parti qui s'est prononcé hautement en faveur de la dynastie légitime. Tel fut l'aveuglement d'un homme qui avoit eu le courage, en apprenant l'arrestation du duc d'Enghien, d'offrir sa tête pour sauver celle du prince. Les gendarmes se présentent bientôt, et il va lui-même au-devant d'eux. On le saisit: on le conduit à l'Hôtel-de-Ville devant une commission militaire qui procède à son jugement, ou plutôt à sa condamnation. Une heure s'étoit à peine écoulée qu'un officier survient, se fait ouvrir les portes, et demande si la sentence est prononcée. « Les juges vont aller aux voix, lui dit-on. — Qu'on » le fusille sur-le-champ, répond l'officier, l'empereur l'ordonne. » Le malheureux Gouault est condamné ; le deuil est général dans la ville. Le propriétaire de la maison

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qu'avoit choisie Buonaparte pour y établir son quartier-général, n'écoutant que l'impulsion d'une âme généreuse, ose solliciter une audience: il l'obtient. « Sire, dit M. Duchatel » à Napoléon, un jour de triomphe doit être » un jour de clémence; je viens supplier » Votre Majesté d'accorder à toute la ville de Troyes la grâce d'un de nos malheureux compatriotes qui vient d'être condamné à mort.

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Sortez, répond le tyran d'un air farouche, » vous oubliez que vous êtes chez moi! »

En même temps étoit mandé en sa présence le propriétaire de la maison où avoit logé T'empereur de Russie, et dont la femme (madame Bourgeois ) s'étoit retirée à Langres à l'approche de l'armée. Napoléon, en le voyant, l'accable d'invectives, et lui adresse les sarcasmes les plus grossiers, les plus insultans contre sa femme, dont la conduite étoit irréprochable, et la réputation intacte. « Vous êtes bien heureux, ajoute Napoléon en » le congédiant, de n'être ni noble ni émigré : je vous ferois fusiller sur l'heure, comme je » viens d'en donner l'ordre pour Gouauit. >>

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Il étoit onze heures, et cet infortuné sor-toit de l'Hôtel-de-Ville, escorté par des gendarmes, portant attaché à son dos et à sa

poitrine, un écriteau en gros caractères, avec ces mots : TRAITRE A LA PATRIE, qu'on lisoit à la lueur des flambeaux. Le déchirant et lugubre cortége se dirigeoit vers la place du marché destiné aux exécutions criminelles : là on veut bander les yeux au condamné, il s'y refuse, et dit d'une voix ferme qu'il saura mourir pour son roi. Lui-même donne aux grenadiers le signal de tirer, et c'est en criant: Vive le Roi! Vive Louis XVIII! qu'il rend le dernier soupir.

Puissent être voués à jamais au mépris et à l'opprobre les lâches dénonciateurs qui attirèrent sur cette tête la vengeance inutile d'un tyran implacable! La stupeur et l'effroi régnoient sur toutes les figures; la populace seule laissoit percer une hilarité féroce en revoyant et son bourreau et son maître. Le même jour il rendit un décret de proscription et de mort contre tout Français qui porteroit les signes ou les décorations de l'ancienne dynastie, et contre tous ceux qui, soit en qualité de militaires, ou à tout autre titre, accompagneroient les armées ennemies dans l'invasion du territoire (1).

(1) Voyez Pièces justificatives, No. XXXVIII.

Rien ne pouvoit étancher cette soif du sang, ni les calculs des plus grands intérêts, ni la crainte d'aliéner de plus en plus les cœurs dans un moment si critique.

Le même jugement qui avoit envoyé l'in fortuné Gouault à la mort, condamnoit aussi à la peine capitale et à la confiscation des biens le marquis de Widranges. Il étoit plus coupable encore aux yeux de Napoléon que la victime qu'il venoit d'immoler à sa rage. C'é toit le marquis de Widranges qui, à l'approche des alliés, avoit conseillé d'arborer le drapeau blanc sur les tours de la ville de Troyes; il avoit fait imprimer à mille exemplaires la proclamation du roi à ses peuples, et il l'avoit distribuée lui-même publiquement. Personne n'ignoroit dans la province qu'il s'étoit si hautement déclaré; on savoit qu'à la tête d'une députation il avoit demandé à l'empereur Alexandre le rétablissement du monarque légitime. Les recherches pour se saisir de sa personne furent inutiles, sa mission auprès de MONSIEUR, frère du roi, l'ayant mis hors de toute atteinte.

MONSIEUR l'avoit accueilli avec toute la bonté qui caractérise les princes de son illustre famille. Au moment où ses plus zélés partisans

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