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L'occupation de Saint-Eustache par les Anglais suscitait à M. de Bouillé d'extrêmes embarras sous le rapport des subsistances: depuis le commencement de la guerre, cette île approvisionnait nos colonies, presque entièrement abandonnées par le commerce de France. Pour y suppléer, le gouverneur général s'appliqua efficacement à se créer avec les Danois des relations, pour ainsi dire, toutes nouvelles, mais qui bientôt devaient le dédommager amplement. A ce sujet, on ne peut s'empêcher de remarquer encore combien les mesures, tant politiques qu'administratives, prises avec non moins de suite que de résolution par le marquis de Bouillé, contribuèrent, au milieu de la guerre et lorsque ces mers étaient couvertes de nombreux bâtiments ennemis pendant huit ou dix mois de l'année, à entretenir constamment les îles du Vent dans un état de véritable abondance. La liberté des ports et le facile écoulement des denrées avaient, en effet, attiré tous les bâtiments de l'Europe à la Martinique, devenue ainsi un marché général et pourvue à cette époque de ressources infinies pour des troupes et pour des escadres considérables, tandis que durant le cours de la paix précédente elle avait eu peine à fournir à sa propre consommation.

Le 30 avril enfin, parut la flotte française destinée à agir aux Antilles et annoncée depuis quelque temps à M. de Bouillé qui l'attendait impatiemment. Commandée par le comte de Grasse et composée de vingt vaisseaux de ligne, cette armée navale avait, à la faveur d'une manœuvre judicieuse et hardie, conservé le vent sur l'escadre anglaise, forte de dix-huit bâti

ments de pareil rang; et, à la suite d'un combat vigoureux, elle venait d'assurer l'entrée, dans la baie du Fort-Royal, d'un convoi de cent cinquante voiles, qu'elle escortait et qui portait un approvisionnement considérable de vivres pour les troupes, la marine, le commerce, des munitions de guerre, cinq mille hommes de recrues, un bataillon irlandais de huit cents soldats, et quelques détachements d'artillerie.

Les dépêches du ministère témoignaient une grande confiance au gouverneur général et abandonnaient à son zèle, à son activité, à son courage le soin de profiter avec succès du court séjour de nos forces de mer dans les Antilles, qu'elles devaient quitter avant l'hivernage pour se porter vers la Nouvelle-Angleterre. C'était fixer à la fin de juin le terme des opérations offensives. M. Bouillé ne perdit pas un instant pour préparer l'embarquement d'un corps de quatre ou cinq mille hommes, destiné à quelque rapide entreprise contre les îles anglaises. Antigues, Saint-Christophe, Sainte-Lucie eussent exigé des siéges peut-être trop prolongés. M. de Bouillé arrêta donc ses vues sur Tabago. Il y reconnaissait le but de la seule expédition qu'un délai si restreint permit d'effectuer sans rien compromettre : conquête assez importante d'ailleurs, puisqu'elle devait ravir aux Anglais les moyens d'inquiéter le commerce des îles du Vent, et procurer au contraire à notre marine un mouillage d'où elle pût surveiller les mouvements des ennemis autour de la Barbade, leur principale place d'armes.

Afin d'assurer plus de chances de réussite à son pro

jet, le marquis de Bouillé juge utile d'attirer par une fausse attaque l'attention des Anglais vers Sainte-Lucie. L'escadre, portant trois mille hommes de troupes, va opérer cette démonstration, tandis que quinze cents soldats, qui seront dirigés en même temps contre Tabago et protégés par deux vaisseaux, l'un de soixante et quatorze, l'autre de cinquante canons, ainsi que par quelques frégates, semblent devoir suffire pour consommer en deux ou trois jours le succès d'une vive et brusque action.

Ce plan commence à recevoir son exécution dès le 8 mai. Cinq cents hommes, tirés de la Guadeloupe et de la Dominique, vont en outre être réunis pour appuyer au besoin le mouvement sur Sainte-Lucie, Deux vaisseaux, avec les transports et les troupes destinées à l'attaque de Tabago, partent pour Saint-Vincent, et le même jour l'escadre entière met à la voile. Il s'agit de saisir l'instant où elle sera en mesure de protéger le débarquement à Sainte-Lucie, et les petits navires chargés de soldats ainsi que les frégates ont pris les devants. M. de Bouillé, monté sur l'une de ces dernières, aperçoit trois bâtiments anglais de force semblable qui entrent au Carénage, sans que notre armée navale ait fait aucune disposition pour les arrêter. Au milieu de la nuit il parvient lui-même sur les côtes, avec la résolution d'opérer sa descente à l'anse Bẻthune, en dépit des brisants qui la bordent. Arrivé près du Gros-Ilêt, il prend la tête de son convoi avec un lougre, et ordonne aux quinze autres bâtiments de le suivre de très près. L'ennemi, ayant découvert la présence de cette flottille, allume des feux sur l'un des

forts les plus élevés. La proximité des batteries alarme les officiers de nos frêles navires: l'équipage de celui qui porte M. de Bouillé murmure, et accuse le pilote d'un excès de témérité. Le gouverneur général passe alors à l'avant, encourage ce marin, et fait commander aux bateaux de ne point s'écarter de lui. Les ennemis commencent bientôt leurs décharges: plusieurs voiles sont percées par les boulets; néanmoins tous les bâtiments réussissent à mouiller à fort courte distance du rivage. Les canots dont ils sont pourvus ne peuvent contenir que cinq ou six soldats. Bouillé débarque le premier, avec quatre grenadiers, pour reconnaître le terrain. Quoique la mer soit très grosse, en moins de deux heures toutes les troupes ont pris terre. Elles se mettent aussitôt en marche vers le Gros-Ilêt, bourg situé à une demi-lieue du point de débarquement, sans rencontrer de résistance, et s'emparent d'une garde de trente hommes, de plusieurs officiers, de nombreux fusils et effets d'habillement. L'ennemi s'est retiré dans le camp retranché où l'observe déjà un corps de cinq cents hommes débarqué en un autre endroit. L'emploi d'une batterie de mortiers devient nécessaire. M, de Bouillé en prépare l'établissement; il fait demander à M. de Grasse les pièces que ses vaisseaux ont dû apporter; mais l'amiral répond que, découvrant l'escadre anglaise au vent, il se propose de regagner d'abord la Martinique, où l'appelle l'urgence de quelques réparations. Surpris de ces difficultés, Bouillé reconnaît qu'elles ne lui laissent plus que le devoir de songer au rembarquement: il l'effectue donc sans essuyer de pertes, emmenant même cent cinquante prisonniers,

dont plusieurs officiers; et le 13 la flotte et les troupes rentrent au Fort-Royal.

L'armement destiné à agir simultanément contre Tabago a cependant été retardé par des incidents imprévus. M. de Bouillé en est d'autant plus contrarié qu'il appréhende que l'amiral anglais n'ait le temps de secourir cette colonie. Il persuade en conséquence à M. de Grasse de mettre à la voile, le 25, avec ses vingtdeux vaisseaux, portant trois mille soldats. En route le gouverneur général apprend que dès la veille M. de Blanchelande, à la tête d'un bataillon de Royal-Comtois, arrivant de Saint-Vincent, ainsi qu'il lui avait été prescrit, pour coopérer à l'expédition, a débarqué vers le sud à la baie de Courlande, a forcé les batteries, pris la ville de Scarborough et les forts qui en défendent l'entrée, mais n'a pas encore jugé à propos d'attaquer le corps principal des ennemis, postés sur une montagne retranchée et garnie d'artillerie.

Bouillé, aussitôt que les manoeuvres navales le lui permettent, se hâte de descendre au même endroit avec treize cents hommes. Par ses ordres, trois cents autres, sous le marquis du Chilleau, débarquent également à la baie de Man of war, plus au vent. Le général ne veut pas perdre un instant : il redoute toujours les efforts de Rodney pour jeter un secours dans l'île. Il s'élance en tête des cent premiers grenadiers : le reste des troupes le suivra à mesure qu'elles auront été formées sur le rivage par les soins du vicomte de Damas. Après une marche de nuit de plus de huit heures, il rejoint effectivement le corps venu de Saint-Vincent et dont l'inaction l'étonne. Informé alors que l'ennemi

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