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particulièrement dans l'infanterie, que par diverses ordonnances. Mais les lois ayant pour objet de réprimer le luxe effréné, répandu depuis les officiers généraux et les colonels jusqu'aux degrés inférieurs de la hiérarchie, étaient demeurées sans efficacité, parce que la considération des chefs se mesurait presque absolument d'après l'état qu'ils tenaient; et à ce vice, propagé du grand au petit, du riche au pauvre, s'ajoutaient des plaies non moins sensibles, telles que l'intrigue, l'esprit de parti, les pernicieuses rivalités entre généraux, et par suite l'insubordination et le défaut d'instruction des troupes. Les ministres, divisés à la cour, absorbés dans une lutte incessante pour la défense de leurs propres positions, couronnaient, en quelque sorte, plus qu'ils ne combattaient ce fâcheux état de désordre.

L'armée française, diminuée par des pertes considérables, avait été contrainte de rétrograder en deçà du Rhin devant celle de l'ennemi. Au camp de Dunkerque, le régiment de dragons de La Ferronnays reçut l'ordre d'aller la renforcer, et il la rejoignit peu après la bataille de Crévelt (23 juin 1758). Cet échec motivait le remplacement du comte de Clermont, prince de la maison de Condé. On lui donna pour successeur dans le commandement le plus ancien des lieutenants généraux employés en cette guerre, le marquis, depuis maréchal, de Contades, officier de mérite, de la part duquel le maréchal de Belle-Isle attendait une plus scrupuleuse docilité à ses directions. L'offensive fut aussitôt ressaisie; l'ennemi se vit obligé de repasser le Rhin; et, à la fin de la campagne, l'ar

mée française s'établit en quartiers d'hiver entre ce fleuve et la Lippe. Ce temps de repos général fournit encore toutefois au jeune Bouillé l'occasion de contribuer vaillamment avec ses dragons (décembre 1758) à la prise de la ville de Rhinfels, que les Prussiens s'étaient flattés de conserver.

Dès les premiers jours d'avril 1759, le prince Ferdinand de Brunswick, général en chef des alliés, s'avança de Fulde sur Francfort, avec quarante mille hommes. Le duc de Broglie, chargé de couvrir cette contrée, l'attendit, à la tête d'environ trente mille combattants, dans une position reconnue d'avance, occupée autrefois par M. de Turenne, et que le maréchal de Belle-Isle avait indiquée. Le choc eut lieu le 13 avril, et la victoire resta aux Français. Dans cette journée, le marquis de Bouillé, placé comme d'ordinaire à l'avant-garde, s'était fait remarquer par sa valeur et par la fermeté avec laquelle sa troupe et lui soutinrent pendant plusieurs heures l'attaque de la cavalerie légère ennemie.

Bien que, de fait, la campagne eût pu sembler ouverte par ce succès obtenu à Berghen, elle ne commença méthodiquement qu'au mois de juin, lors de la jonction des deux armées du Rhin et du Mein, à Giessen. Le plan arrêté paraissait avoir pour objet de refouler l'ennemi au delà du Weser, puis d'entreprendre le siége de Magdebourg, en combinant nos mouvements avec ceux des Impériaux. Ainsi la science de la stratégie s'efforçait de faire tourner avantageusement une guerre peu justifiée par les principes d'une saine politique.

Le prince Ferdinand avait dû se mettre en mesure de protéger le Hanovre. Posté vis-à-vis de lui, à Minden, dans une sage et solide attitude d'expectative, le maréchal de Contades reçut de Paris l'ordre irréfléchi et inopportun de livrer immédiatement bataille. C'était l'effet funeste d'une intrigue de cour. L'humeur du maréchal de Soubise, qui n'avait pu obtenir le commandement de l'une des deux armées, l'irritation communiquée à madame de Pompadour son amie, l'esprit dominateur du duc de Choiseul, qui lui-même dépendait de la bienveillance de la favorite, conspiraient pour rebuter ou pour perdre le vieux et incommode ministre de la guerre. Le nouveau chef du département des affaires étrangères représenta au conseil que les puissances alliées se plaignaient de l'insuffisance des résultats obtenus jusque-là par l'armée française, et désiraient une affaire décisive dont la supériorité de nos troupes devait assurer le succès. Il déclara ne pouvoir faire la politique si l'on ne faisait pas mieux la guerre; et le maréchal de Belle-Isle, pour parer le coup, expédia secrètement l'injonction d'attaquer au plus vite 1, sans pressentir qu'il infligeait un échec (1" août) au général, prudent, étonné mais soumis, à l'armée, vaillante mais conduite par des chefs sans accord.

Dans la retraite qui en fut le résultat, le marquis de Bouillé se signala en repoussant vigoureusement,

(1) Ces détails ont été rapportés au marquis de Bouillé par le chevalier de Vallière, frère du célèbre lieutenant général d'artillerie de ce nom, et qui fut porteur confidentiel du fâcheux message du maréchal de Belle-Isle pour le maréchal de Contades.

avec cent cinquante dragons, un nombreux corps de hussards. Le même jour, chargé du commandement temporaire de l'extrême arrière-garde, qui comprenait aussi cent cinquante autres cavaliers et trois cents volontaires d'infanterie, il voit tout à coup, tandis que ses dragons font rafraîchir leurs chevaux dans la plaine, le reste de sa petite troupe culbuté ou enveloppé sur la hauteur par une brusque irruption de l'ennemi. A son ordre, les dragons brident aussitôt, et sur ses pas s'élancent avec la rapidité de l'éclair contre cinq cents hussards qu'il met en déroute et qu'il poursuit pendant une lieue et demie jusqu'au village de Volkmussen. Le feu des bataillons qui y sont embusqués l'arrête seul et l'oblige d'aller reprendre son poste, laissant le terrain jonché de morts et ramenant des prisonniers.

Le duc de Broglie, nommé maréchal de France, remplaçait M. de Contades dans le commandement en chef; mais l'approche de l'hiver allait interrompre les opérations, et Bouillé profita de cette morte-saison des guerriers d'alors pour venir passer quelques mois à Paris, à la cour. Il y retrouva l'intérêt, la bienveillance de M. de Belle-Isle. Il reçut de ce maréchal des compliments sur l'éclat de sa dernière action, ainsi que la promesse d'être nommé colonel dès qu'il aurait atteint l'âge de vingt-trois ans, exigé par les ordonnances, et même avant, s'il pouvait saisir l'occasion de se distinguer encore. Avec ce nouvel aiguillon et cette flatteuse perspective, Bouillé rejoignit au printemps (1760) l'armée, demeurée stationnaire, et dont la tranquillité n'avait pas été troublée. Le quartier général se trou

vait à Francfort, et le régiment auquel appartenait Bouillé conservait son rang à l'avant-garde.

La campagne allait s'ouvrir à la fin de mai sous les plus heureux auspices. Le maréchal de Broglie inspirait aux troupes une confiance justifiée par son sangfroid, son esprit d'ordre, son coup d'œil sûr, son talent déjà mis à l'épreuve, et par le prestige d'une bataille gagnée : les officiers généraux, à la vérité, partageaient peu ce sentiment; mais on pouvait d'autant plus attendre du commandant en chef, qu'il avait près de lui, à la tête de son état-major, sous le titre de maréchal général des logis, un frère, le comte de Broglie, démesurément ambitieux, doué d'esprit, de génie même, d'une singulière fécondité de ressources, d'un rare courage, d'une âme fortement trempée, fière et en quelque sorte invulnérable au milieu de tous les dangers, à travers tous les accidents. Ces deux hommes, grâce à la variété de leurs moyens mis en commun sous le sceau d'une affectueuse union, semblaient se compléter l'un par l'autre, et leur fraternel accouplement présentait à l'armée remplie d'ardeur tous les avantages de la plus imposante et de la plus féconde direction. Les circonstances n'allaient malheureusement guère la favoriser.

Le même plan stratégique subsistait presque sans modification. Saisissant l'offensive, le maréchal de Broglie s'était assez rapidement avancé en Vétéravie jusqu'à Corbach, où, le 10 juin, il livra un combat heureux. Ce fut là, on le sait, qu'après avoir contribué au succès comme commandant de la réserve, le pétulant et aventureux comte de Saint-Germain, jaloux et

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