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réclamer les secours que nous ne pouvons, que nous ne devons et que nous ne voulons pas leur refuser.

Par toutes ces considérations, je propose par forme d'amendement à la loi :

1° De n'exiger des anciens Français, habitants du territoire cédé aux puissances étrangères, qui voudront jouir de la faculté de rentrer dans leur mère-patrie, que leur accorde l'article 17 du traité de paix, de n'exiger d'eux, dis-je, d'autres formalités que celle d'une déclaration authentique à faire dans le délai de trois mois, à compter de la publication de la loi, et de ne leur imposer d'autres conditions que celles d'effectuer leur résidence ou domicile sur le territoire de la France actuelle dans le cours d'une année;

2o De n'imposer que les mêmes formalités et conditions à cet égard, à ceux des habitants des départements de la Belgique et autres, cédés par le traité de paix, qui ont continué à y demeurer pendant dix ans après leur réunion à la France, qui ont satisfait, pendant ce temps, à toutes les charges publiques, et qui, en conséquence, ont joui des droits civils et politiques attachés à la qualité de citoyen français.

M. Duclaux (1). Messieurs, la question soumise à la délibération de la Chambre semble, d'après la discussion qui a eu lieu, devoir être réduite à des termes simples et à un seul point

1° Les habitants de la Belgique, d'une partie de la Savoie et les Piémontais doivent-ils être regardés comme étrangers, et traités par nous en etrangers, lorsque, pendant plus de dix ans, ils ont joui de tous les droits de citoyen français, qu'ils en ont rempli tous les devoirs, partagé les charges et les avantages, aux yeux de l'Europe, avec l'assentiment de toutes les puissances?

2o Le traité de paix qui a séparé du royaume de France le Piémont, la Savoie, la Belgique, a-t-il pu établir entre nos frères puînés et nous, cette extraneïté que les grandes distances établissent entre les peuples?

3° Enfin l'article 3 de la loi proposée ne sacrifie-t-il pas la justice, la reconnaissance à des craintes exagérées, à des craintes contre lesquelles les garanties les plus fortes, les plus nombreuses sont offertes de toutes parts?

S'il en est ainsi, Messieurs, la discussion devient facile, en même temps qu'elle approche du terme. Les droits de citoyen français ne se perdent que par la mort naturelle ou par la mort civile; par le vœu exprimé de renoncer à ces droits; par l'autorisation de transporter son domicile dans un autre Etat; par l'acceptation de fonctions sous l'autorité d'une puissance etrangère; enfin par l'exercice de la domesticité.

Par quel motif accroître, au préjudice de nos anciens frères, solidaires empressés pour l'acquittement des devoirs communs, les causes, les moyens de perdre les droits de citoyen; quels sont nos titres, nos droits pour frapper de mort civile ceux que nous avons compte dans nos rangs pendant près de vingt ans, des hommes que l'Europe entière a reconnus comme citoyens français; qui ont donné les preuves les plus constantes d'attachement, de dévouement aux intérêts de la France; qui ont pris une part si active à sa prospérité et à sa gloire?

Les condamnerons-nous à des épreuves réser vern aux seuls étrangers, à un noviciat humiliant

>cours n'a pas été inséré au Moniteur : nous -n extenso.

qui, n'ayant pour motif que des soupçons, attesterait l'ingratitude la plus odieuse?

Eh quoi! Messieurs, des droits acquis par vingt années d'exercice, non contesté, seraientils moins sacrés que ceux qu'on acquerra par une résidence de dix ans, précédée d'une déclaration de domicile?

Ce que nous ne pouvons pas faire sans injustice, le traité de paix n'a pu l'établir au préjudice des habitants des provinces séparées aujourd'hui de la France-royaume; le traité du 30 mai n'a pas annulé, il n'a pas pu annuler les droits reconnus par des traités antérieurs, des droits exercés pendant quinze ans sous l'autorisation. avec l'assentiment des puissances de l'Europe.

La volonté seule des habitants des pays séparés, peut établir une renonciation individuelle aux droits de citoyen français; l'habitation pendant une année dans les départements jadis français; la renonciation au régime de la France, sont des actes de la volonté particulière; mais ces actes ne peuvent jamais dépendre de nous. Ceux qui ne reconnaîtraient pas cette vérité ne seraient-ils pas injustes?

Plusieurs penseront peut-être que cette loi serait impolitique, qui, refusant de reconnaître aujourd'hui des droits authentiquement reconnus et consacrés, éloignerait de nous, au mépris des plus justes réclamations, laisserait sans patrie des citoyens français, des hommes que leur attachement inaltérable pour leur pays adoptif, rendrait peut-être un objet d'inquiétude pour les souverains actuels de ces provinces.

Si la loi proposée était injuste, si elle était impolitique, nous ne balancerions pas à la rejeter; mais tous nos devoirs seraient-ils remplis? Non, sans doute Messieurs. Il ne suffit pas d'être juste envers les habitants des pays séparés; l'amour de la patrie, sa prospérité, sa gloire nous imposent d'autres devoirs, de nouveaux soins.

Si des sujets que l'on a peiuts comme dangereux, si des hommes turbulents se présentaient, vous avez le droit, vous avez les moyens de repousser loin de vous ces ferments de désordre, et vous devez employer ces moyens avec une rigoureuse sévérité.

Mais vous serez empressés de conserver à la France des fonctionnaires probes, pleins de zèle et de lumières, des militaires qui ont été souvent associés à vos triomphes.

Vous voudrez retenir au centre des lumières. auprès du sanctuaire des sciences, et les écrivains, et les savants, et ces hommes laborieux qui se sont dévoués à la carrière pénible de l'instruction; vous ne laisserez pas enlever à l'industrie, à l'activité française, ni les négociants, ni les fabricants, ni les cultivateurs dont les procédés ingénieux ont perfectionné, dont les capitaux ont accru les produits de l'agriculture.

Sciences, arts, industrie, propriétés, tout nous est offert; il serait imprudent, il serait injuste de tenir éloignés plus longtemps de la grande famille des enfants que des causes majeures semblent en avoir séparés momentanément et contre leur vou. Ils demandent à se réunir pour toujours à cette patrie qu'ils ont adoptée et qu'ils ont bien servi. Empressons-nous, Messieurs, de les accueillir; que leur vou, exprimé légalement, soit appuyé des titres qui constatent leurs droits, et qui rassurent même la défiance.

Soumis aux lois préservatices et surveillantes de la France régénérée, l'hommage qu'ils s'empressent de rendre au gouvernement réparateur des Bourbons, n'est-il pas un nouveau garant

des sentments de nos anciens frères, un gage de leur fidélité?

Que nos anciennes chartes repoussent, que l'ordonnance du 4 juin éloigne momentanément des assemblées nationales les hommes nés hors de la France; qu'ils soient soumis à des formes particulières, c'est une exception, et l'importance des fonctions la motive; mais cette exception n'est que pour un seul cas, et ne s'applique qu'à un très-petit nombre d'individus; les autres ne peuvent être şoumis à la formalité des lettres de naturalisation.

Mais si les Chambres nationales peuvent recevoir dans leur sein des hommes qui semblent en être repoussés, si des services éminents leur méritent un si honorable privilége, comment justifierons-nous, Messieurs, le refus trop injuste de recevoir dans les rangs de simples citoyens français ceux qui s'y sont présentés avec courage et maintenus avec dignité? Nous ne serons point ingrats; nous ne voudrons jamais être injustes.

D'après ces considérations et les motifs qui vous ont été exposés, en admettant les deux premiers articles de la loi, l'article 3 vous paraîtra peut-être remplacé par la rédaction suivante :

Art. 3. Tous les individus agés de trente et « un ans, nés ou résidant dans les pays qui ont « été séparés de la France par le traité du a 30 mai, et qui, pendant dix ans, ont joui des droits de citoyen français, auront la faculté « d'exercer les mêmes droits. »>

Art. 1. A cet effet ils seront tenus:

1° De déclarer dans six mois, à dater de la publication de la présente loi, leur intention de résider en France;

20 De joindre à la déclaration ci-dessus un extrait du registre civique de leur commune, qui détermine l'époque de leur inscription sur la liste des citoyens;

3o De présenter un certificat authentique constatant et leur bonne conduite et les services mi litaires ou civils qu'ils auront rendus.

Art. 5. Les déclarations et certificats en forme seront déposés entre les mains du maire du domicile choisi, lequel en donnera récépissé.

Art. 6. Dans la quinzaine du dépôt, les pièces ci-dessus seront transmises au préfet avec l'avis du maire et celui du sous-préfet; et dans le délai d'un mois le préfet sera tenu d'ordonner l'inscription du nom de l'impétrant sur le registre civique, ou d'établir les motifs de refus. Dans ce dernier cas, l'impétrant se pourvoira auprès de M. le chancelier de France.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRESIDENCE DE M. LAINÉ.

Séance du 29 septembre 1814.

Le procès-verbal de la séance du 28 septembre est lu et adopté.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif aux naturalisations.

M. le Chev Chabaud de la Tour (1). Messieurs, les principes exposés à cette tribune par notre collègue Raynouard me paraissent d'une incontestable vérité, mais il n'en a pas développé toutes les conséquences.

Les ordonnances citées prouvent la libéralité de nos rois; mais, rendues pour des étrangers,

(1) Ce discours est incomplet au Moniteur: Nous le publions in extenso.

elles ne sont point applicables à la question qui nous occupe.

Les habitants de la Belgique, de la Savoie, qui, pendant plus de vingt-deux ans, ont été Français, le sont-ils encore ou ont-ils cessé de l'être? Ontils un droit acquis ou un droit à acquérir? Telle est, ce me semble, la question.

Le rapporteur de la commission, quoiqu'il n'ait pas voulu l'articuler tout à fait, regarde les hommes comme invariablement attachés au territoire et suivant aveuglément son sort. Les Belges, les Savoyards, devenus Français par la conquète, redeviennent Savoyards, Belges, ou toute autre nation, par un traité; la patrie n'est, pour eux, qu'un vain mot; les circonstances, les guerres décident absolument leur sort; leur volonté n'y est pour rien. Ainsi, si des malheurs imprévus séparaient l'Alsace ou la Lorraine de la France, les Alsaciens ou les Lorrains ne seraient plus Français, et nous-mêmes, Français le matin, nous pourrions ne pas l'être le soir. Voilà, Messieurs, la théorie qui sert de base à la loi proposée; voilà le système que je repousse, car je veux toujours rester Français; voilà les principes que vous n'adopterez pas, car vous êtes Français, et vous sentez, comme je le sens moi-même, que toutes les guerres, tous les traités du monde ne pourraient nous enlever le caractère sacré que nous reçumes au berceau et que nous emporterons dans la tombe. Sans cet amour de la patrie, sans ce sentiment indestructible, rien de grand n'eût été fait sur la terre, et l'histoire des hommes n'offrirait pas plus d'intérêt que celle des végétaux ou des minéraux.

Les habitants de l'Europe civilisée ne sont plus attachés à la glèbe, et de même qu'en vendant une terre on ne vend plus ceux qui la cultivent, de même les souverains, en traitant de tel ou tel territoire, ne cèdent pas ceux qui l'habitent sans leur sanction et leur volonté.

Quelque puissance qu'aient les lois, Messieurs, elles ne peuvent régir le passé, faire qu'il n'ait pas existé, changer la nature des choses. De grands résultats, d'immenses conséquences découlent d'une incorporation qui a duré un quart de siècle; vous ne pouvez anéantir ni les uns ni les autres.

Ici, Messieurs, qu'il me soit permis d'arrêter un instant vos regards sur les nombreux habitants nés dans les pays réunis depuis vingtdeux ans. Que votre commission les interroge tous, tous lui répondront :

La France est mon pays; je n'en connais point d'autre.

C'est en France qu'ils sont nés, qu'ils ont été élevés; ce sont des lois françaises qui les ont protégés; c'est pour la France qu'ils ont versé leur sang; beaucoup y sont parvenus à la majorité; d'autres s'y sont mariés, y ont eu des enfants. Est-ce quand ils ont rempli toutes les charges, tous les devoirs de la cité, qu'elle les repoussera de son sein, et n'auront-ils pas plus droit d'en faire partie qu'un Cafre ou un Hottentot?

Les partisans de la loi supposent toujours ce qui est en question, coupent le noeud au lieu de le délier, et posant en fait que les habitants des pays réunis ont, en un instant, perdu des droits acquis par une possession de vingt-deux années, ils leur appliquent toutes les dispositions des lois rendues sur les étrangers. Ah! les souverains de l'Europe ont eu des idées plus libérales : ils leur ont donné six ans pour choisir leur patrie, réaliser et transporter leurs propriétés.

Après avoir enlevé à des Français la qualité qu'ils avaient, on a supposé à ceux qui voudront toujours l'être des qualités qu'ils n'ont pas; ils ont ainsi doublement à se plaindre, et de ce qu'on leur ôte et de ce qu'on leur prête.

Répondrai-je, Messieurs, à des arguments énoncés et répétés à cette tribune, à des arguments tendant à détruire toute proposition nouvelle, à anéantir toute discussion, toute liberté ? D'après ces arguments, ce n'est plus la justice ou l'injustice d'une proposition que vous devez discuter, ce n'est plus l'intérêt de vos commettants que vous devez examiner, la légalité ou l'illégalité de telle ou telle mesuré est indifférente; mais vous devez pressentir d'avance la destinée de vos propositions dans une autre Chambre, et chercher à la deviner. Ainsi des considérations sans bases certaines, des présomptions vagues et indéterminées seraient désormais les règles de votre conduite législative et les fondements de vos décisions.

Loin de moi une telle crainte!

Si d'autres orateurs n'avaient rempli cette honorable tâche, j'appellerais votre attention, Messieurs, sur les services de tous genres rendus à la France par ses nombreux agrégés; sur ces champs qu'ils ont fertilisés, ces manufactures qu'ils ont créées; je vous montrerais les blessures dont sont couverts des milliers d'entre eux, et je fixerais vos regards sur ce guerrier célèbre qui, à Zurich, nous préserva de l'invasion ennemie, et qui, dans le système proposé, serait lui-même étranger à cette France qu'il sauva!

Je craindrais, Messieurs, d'affaiblir, en les reproduisant, les motifs qui nous furent développés hier avec tant de force et de clarté par notre collègue Flaugergues; ils sont présents à notre mémoire, et c'est en les appuyant que j'ai l'honneur de vous proposer l'amendement suivant :

« Tout habitant d'un pays réuni avant le traité d'Amiens à la France, est citoyen français sur la seule déclaration de vouloir toujours l'étre.

« Le mode et la forme de cette déclaration sont déterminés par le Roi. »

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. Chabaud de la Tour.

M. Pémartin (1). Messieurs, au point où cette discussion est arrivée, je la réduis à cette simple question.

Les habitants des pays qui ont été réunis à la France pendant la Révolution, peuvent-ils être incorporés à la grande famille, s'ils ont été au service militaire pendant dix ans, soit dans leur propre pays, soit dans les autres départements de la France, sans obtenir des lettres de naturalité?

Je pense, Messieurs, qu'il est de la munificence nationale de les admettre; mais je suis loin de penser qu'aucune raison de celles qu'on a alléguées, puisse les soustraire à cette condition; je la crois au contraire indispensable.

M. le rapporteur de la commission vous a exposé l'état de la législation, en matière de naturalisation, avec autant de justesse que de simplicité; il en a conclu l'acceptation de la loi proposée, comme contenant tout ce qu'une sage politique, et la justice, peuvent désirer vis-à-vis des hommes estimables qui ont rendu des services utiles.

Notre collègue, M. Raynouard, qui repousse cette formalité, qui veut au contraire user d'une

(1) Ce discours est incomplet au Moniteur: nous le publions in extenso.

générosité très-étendue, a soutenu que parce que les habitants des départements, aujourd'hui séparés de la France, étaient devenus Français pendant la réunion, ils ont le droit de l'être irrévocablement, s'ils demandent à conserver leurs titres acquis, sans nulle formalité de leur part, qu'une simple déclaration. Je ne sais. Messieurs, sur quoi on peut appuyer une pareille assertion; elle ne peut être fondée sur les principes en matière de naturalisation, elle ne peut l'être sur la politique ni sur la justice. Elle n'est basée sur aucun traité.

Oui, sans doute, ils furent incorporés à la France par droit de conquête, ou par des conventions particulières: mais cet état n'a été que momentané. Une nouvelle conquête, ou un nouveau traité des puissances belligérantes les en a détachés et les a remis dans leur état primitif, en les soumettant à une domination étrangère; et, dès lors, ils sont devenus étrangers eux-mêmes.

Notre collègue a invoqué le principe qui veut que du jour où un traité de paix incorpore des pays à un autre Etat, les habitants de ce pays conquis, s'ils acceptent la condition du traité, deviennent membres de cet Etat, participent aux droits de ses autres citoyens, et font, comme eux, partie de la grande famille.

Je conviens, Messieurs, que lorsque les Hambourgeois, les Savoyards, les Hollandais, les Romains, les Genevois et les Belges ont été incorporés à la France, ils sont devenus membres de cet Etat et ont du participer aux droits des autres citoyens pendant la durée de l'incorporation; mais lorsque cette incorporation n'existe plus, ou que le conquérant renonce à la conquête qui avait incorporé ces Etats, lorsque enfin le traité est dissous, ce principe n'a plus d'application.

De grands événements politiques qui se succédèrent opérèrent, j'en conviens, cette étrange, bizarre et gigantesque réunion qui, certes, ne pouvait pas être d'une longue durée.

Un autre grand événement, en sens contraire, est venu dissoudre cet édifice colossal; les quarante-quatre départements qui avaient été réunis sont rentrés dans les limites: chacun des peuples a repris sa première existence; leur état politique plus ou moins violent, qui a duré pendant la conquète a disparu. Les Genevois, les Belges, les Hambourgeois, les Hollandais, les Savoyards et les Romains, tous sont rentrés dans leur premier état. Dès lors, ils n'ont pu conserver, au delà d'un traité qui n'existe plus, un caractère qui toujours était subordonné à l'exécution de ce même traité...

Il n'est donc plus possible d'en argumenter; la cause a disparu, l'effet doit aussi disparaître. Je le répète, ils sont sous une domination étrangère. dès lors, ils ne sont ni ne peuvent être Français, et s'ils veulent le devenir, ils doivent se soumettre à la législation qui existe.

Notre collègue a invoqué l'édit de Louis XIV. de 1687, qui accordait aux marios étrangers la faveur d'être réputés régnicoles après cinq ans de service sur ses vaisseaux de guerre; et la déclaration de 1715, qui accordait le même privilége aux gens de guerre et soldats étrangers, après dix ans de service dans ses armées, sans avoir besoin de lettres de naturalité.

Mais que peut-on conclure d'une pareille disposition? Certes, elle vient à l'appui de mon système. Alors, comme aujourd'hui, il fallait des lettres de naturalisation pour être réputé régnicole. Louis XIV, par une sage politique, voulut récompenser des étrangers qui se dévouaient au

service de la France, et leur accorda la faveur d'être réputés régnicoles sans avoir besoin de lettres de naturalité. Ce fut une exception à leur égard, exception qui confirme la règle; et la loi qui, dans ce cas particulier, leur accordait cette faveur, leur tenait lieu de lettres de naturalité.

Mais aujourd'hui ce n'est plus la même chose: la législation actuelle est constante; les étrangers ne peuvent jouir de ces droits qu'en se confor mant aux conditions prescrites par la loi du 22 frimaire an VIII et du Code civil. L'ordonnance du 4 juin en a confirmé les principes d'une manière bien authentique; est-il nécessaire d'y déroger? Certes, Messieurs, vous ne le penserez pas, lors, surtout, que le système de nos adversaires tendrait à étendre le droit de cité sur toute la population des Etats voisins, si chacun des individus voulait en user: car, d'après leur principe, la réunion pendant dix ans leur aurait acquis un droit irrévocable; idée, j'ose le dire, aussi impolitique que contraire aux vrais principes.

Raisonnant toujours d'après son système, notre collègue prétend qu'on ne pourrait exiger des habitants des départements réunis les conditions exigées par notre législation, qu'en donnant à ces lois un effet rétroactif, puisque, réunis à la France, ils n'avaient pas besoin de s'y soumettre, et qu'ils n'auraient pas même pu les exécuter.

Mais n'a-t-on pas vu que la loi elle-même dispense de ces conditions ceux qui déjà ont dix années de résidence, et que, par l'article 2, le Roi se réserve, lorsqu'il le jugera convenable, d'accorder, même avant ce temps, des lettres de déclaration de naturalité? Et l'amendement proposé par la commission remplit encore ce vou d'une manière plus positive. Ainsi donc, le temps de résidence leur serait compté à l'égard de ceux qui, par leurs services, voudraient devenir Français.

La loi prend les choses dans l'état actuel; et si l'on ne peut plus contester cette vérité, qu'aujourd'hui les Romains, les Hollandais, les Belges et les autres peuples soumis à d'autres dominations que la nôtre, sont des étrangers, il n'est pas raisonnable de prétendre qu'on donne un effet rétroactif à la loi qui exige des lettres de naturalisation, s'ils veulent devenir Français, et profiter de la faveur que la loi leur offre.

Notre collègue suppose encore un étranger qui serait venu habiter Liége ou Nice, qui aurait rempli les formalités exigées par le Code civil, et qui serait devenu Français; il demandé si cet étranger, muni de ce titre légal, cesserait d'être Français.

Encore, Messieurs, une digression; car on peut dire ici, quel rapport y a-t-il entre ce cas et la question qui nous occupe? Aucun, sans doute; mais je m'en empare et j'en raisonne en faveur de mon système.

Je réponds à mon collègue, et je pense, comme lui, qu'une fois ce titre bien acquis, rien ne pourrait lui faire perdre la qualité de citoyen français. Il faudrait respecter un pareil droit; car j'admets celui qui a un titre légal et j'indiqué à celui qui ne l'a pas, mais qui a des droits pour l'obtenir, les movens à prendre, les conditions et les formes à remplir, et jusque-là il demeure éloigné de l'association par la même raison que l'autre y est admis.

C'est la différence qui existe entre celui qui est en règle d'avec celui qui ne l'est pas.

Une autre considération employée par notre collègue est prise de ce que le dernier traité de

paix ordonne qu'il sera tiré une ligne pour séparer quelques portions du territoire uni à la France, qu'on ne rend pas intégralement.

Il argumente de ce que les habitants de ces portions de pays, qui resteront unies à la France n'auront pas besoin de lettres de naturalité, et comment leurs voisins, dit-il, qu'un seul ruisseau sépare, pourront-ils perdre cette qualité par l'effet d'une ligne de géomètre?

Etrange raisonnement, sans doute! Je réponds qu'ils ont perdu cette qualité, moins par l'effet de la ligne de démarcation du géomètre, que par l'effet de la condition du traité, qui a attribué, si je puis m'exprimer ainsi, la rive droite à l'une des parties belligérantes, et la rive gauche à l'autre partie condition à laquelle doivent se soumettre les habitants qui se trouvent ainsi placés, si du moins ils veulent continuer d'y résider. Et c'est ici le cas du principe par lui reconnu, qui veut que du jour où un traité de paix unit ou incorpore des pays conquis à un autre Etat, les habitants du pays conquis, s'ils acceptent la condition du traité, deviennent membres de cet Etat.

Notre collègue prévoit encore le cas éventuel d'un nouveau traité, qui pourrait disposer du sort de ces portions de départements réunis qui restent à la France; il demande si les députés de ces départements perdraient leur qualité de citoyen français.

Ici, je n'emploirai d'autre réponse que l'application du principe de droit public dont je viens de parler.

Si, en pareil cas, les habitants du pays conquis acceptent la condition du traité, ils deviennent membres de cet Etat; par la même raison, ils cessent de l'être s'ils en sont démembrés et s'ils n'acceptent pas la condition.

D'ailleurs, en pareille circonstance, on peut dire que tout dépendrait de la condition qui pourrait avoir lieu par rapport à ce cas particulier.

Espérons d'ailleurs, Messieurs, que ce cas n'arrivera pas; ayons plus de confiance dans les intentions et dans la magnanimité des hautes puissances, à qui nous devons cette paix qui fait aujourd'hui le bonheur de tous les peuples, qui depuis trop longtemps en étaient privés. Espérons qu'elle sera de longue durée.

A tous ces moyens, Messieurs, qui n'ont pu me convaincre, notre collègue M. Dumolard en a ajouté un autre il a invoqué l'article 17 du traité de paix du 30 mai, qui accorde six ans aux habitants naturels et étrangers, pour disposer de leur propriété, et la faculté de se retirer dans tel pays qu'il leur plaira de choisir.

Je ne vois pas non plus quels avantages on peut en tirer pour la question qui nous divise. J'ai beau pénétrer le sens de cet article, j'ai beau y chercher quelque chose qui accorde, dans le cas prévu, aux habitants des pays réunis, la quàlité de citoyen français, sans nulle formalité. j'avoue que je n'y découvre pas le moindre mot qui puisse même faire présumer une pareille idée. et certes, quand il s'agit d'un droit aussi important, d'une dérogation aux droits communs, et à des principes de droit public aussi fondamentaux, rien ne saurait suppléer aux dispositions expresses qui seules pourraient consacrer l'exception au principe.

C'est ici une de ces dispositions ordinaires et fondées autant en politique qu'en justice, une faveur qu'on accorde aux citoyens après des roubles civils et de longues guerres, la faculté de dis

poser de leur propriété et d'aller se fixer là où ils jugeront à propos. Mais outre qu'il n'est pas dit précisément qu'ils viendront se fixer en France ou ailleurs, il suffit qu'il n'y ait pas de dispositions qui les dispense des formalités requises pour devenir régnicoles, pour qu'ils doivent s'y soumettre. Mais, Messieurs, qu'il me soit permis de rappeler un fait encore récent à votre mémoire. Comment se ferait-il que nous eussions changé en si peu de temps d'opinions et de principes! Avonsnous oublié avec quel zèle et avec quelle éloquence notre collègue, M. Dumolard, à défendu ces mêmes principes que la loi proposée consacre aujourd'hui, dans l'affaire d'un de nos estimables collègues que nous n'avons pu conserver parmi nous, et qui a emporté nos regrets? Vous m'entendez déjà, je parle de M. Pictet - Diodati, de Genève.

Vous savez qu'il se présentait avec des lettres patentes obtenues par ses auteurs, et qui avaient été enregistrées au parlement de Dijon, qui l'autorisaient à assister à des assemblées bailliagères, et qu'il fut même maintenu dans ce droit lors des Etats généraux de 1789.

Nous lui avons dit, avec M. Dumolard, qui fut un des principaux défenseurs des prérogatives essentielles pour la qualité de citoyen français : Vous n'êtes pas né en France, vous ne pouvez donc y exercer aucun droit; nous lui avons opposé notre Charte, nous lui avons dit: Fixez-vous en France, obtenez des lettres de naturalisation; jusque-là, vous ne pouvez exercer aucun droit en qualité de citoyen français; vous êtes étranger.

Et aujourd'hui, Messieurs, en contradiction avec vous-mêmes, lorsque le Roi vous propose une loi sage, qui consacre les vrais principes en matière de législation, nous regarderions comme français des départements qui ne font plus partie de la France, parce qu'un droit de conquête les y auraient réunis momentanément! Les Romains, les Hollandais, les Genevois, les Hambourgeois et les Savoyards pourraient aussi venir se confondre dans la cité et devenir Français, sans nulles formalités! Ah! non, Messieurs, l'idée n'est pas raisonnable, elle n'est ni juste ni politique; ce n'est pas ainsi qu'on accorde des droits de cette importance; tous les peuples en furent toujours jaloux, ayons aussi notre orgueil national, soyons justes et généreux en faveur des étrangers qui ont rendu des services à l'Etat, soyons-le vis-à-vis de ceuxlà qui, de bonne foi, se sont associés à nous pendant la tourmente révolutionnaire, qui en ont partagé nos sollicitudes et nos dangers; mais soyons-le avec méthode, soyons-le avec discernement. La loi proposée me paraît empreinte du sceau d'une sagesse profonde, elle a prévu ce que vous désirez et ce que nous désirons tous.

Ceux qui pendant dix ans auront exercé les droits de citoyen français, pourront obtenir des lettres de nationalité; les dispositions des articles 1 et 2 et l'amendement proposé par la commission leur assure cette facilité.

Ceux des fonctionnaires publics, ceux de nos anciens collègues, que nous avons vus siéger à côté de nous, jouiront de cette prérogative, s'ils le désirent; il en sera de même des braves militaires qui ont concourru à la gloire de nos armées; tous pourront l'obtenir; ils s'honoreront de tenir cet avantage de la munificence nationale; consacrons le principe, et que le monarque soit le dispensateur de ce titre honorable.

Sa justice, sa magnanimité, sa noble et généreuse politique garantissent que vos vœux ni les leurs ne seront pas déçus. C'est ainsi, Messieurs,

que vous concilierez les principes du droit public, les droits personnels des citoyens, la foyauté française, et l'intérêt de l'Etat, que nous ne devons jamais perdre de vue.

Je vote pour le projet de loi, avec l'amendement de la commission.

M. Raynouard attache la plus grande importance à l'assentiment donné par le peuple belge à sa réunion à la France. Cette réunion, dit l'ora teur, a été prononcée par une loi solennelle qui a déclaré que les habitants de la Belgique jouiraient de tous nos droits civils et politiques. On leur a dit Vous serez Français comme nous. Ce n'est pas tout; le souverain qui gouvernait cette contrée a expressément reconnu son incorporation à la France par le traité de Campo-Formio, en 1797. Il a renoncé formellement à cette possession; il n'y a plus eu aucune différence entre le peuple français et le peuple belge, dont l'assentiment a eu tous les caractères, tous les effets qui pouvaient le rendre certain et incontestable. Comment cette qualité de Français, ce droit même serait-il perdu? Le vainqueur peut disposer du domaine, mais non des hommes. Oui, les Belges sont encore Français et ne peuvent être considérés autrement. Encore s'ils eussent été rendus à leur ancien souverain; mais lorsqu'ils passent sous une autre domination, n'ont-ils pas le droit de se refuser à l'adopter? Ne sont-ils pas libres de profiter de l'article 17 du traité qui les autorise à disposer de leurs biens et de leur personne?

M. Raynouard n'est point persuadé que l'amendement de la commission puisse remplir l'objet de ceux qu'il a proposés. Si cela était, pourquoi les aurait-on combattus? Il a réclamé formellement les priviléges de citoyen français en faveur des militaires, des manufacturiers, de ceux qui ont exercé des fonctions publiques, tandis qu'on les assimile à des étrangers, quoiqu'il les regarde de droit et de fait comme véritablement Français.

Mais, dit-on, quel moyen de reconnaître ceux qui veulent profiter de ce droit acquis? L'orateur ne s'oppose point à ce qu'on les soumette à une déclaration préalable, pourvu qu'on ne puisse refuser de les admettre."

M. Raynouard cite l'exemple des anciens habitants du comtat Venaissin, qui n'avaient besoin que de prouver qu'ils étaient d'Avignon, pour être considérés comme régnicoles. L'orateur persiste dans la proposition des trois amendements qui terminent sa première opinion.

M. Laborde invoque les principes du droit public reconnu de toutes les nations depuis la création des sociétés. Il prétend que d'après ces principes les citoyens suivent de droit et de fai les vicissitudes des événements, et sous quelque domination qu'ils se voient assujettis, ne conservent, ne rétiennent rien de toute situation antérieure.

L'opinant cite et interprète dans ce sens plusieurs publicistes. S'appuyant aussi sur l'autorité de l'histoire moderne, il demande si, lorsque le Portugal,après avoir appartenu longtemps aux souverains de l'Espagne et redevenant corps de nation sous le sceptre de la maison de Bragance, la nation espagnole s'est crue fondée à faire valoir le droit d'une longue incorporation qui avait precédé cet événement.

La distinction établie par M. Flaugergues lui paraît une subtilité pour échapper à la force des principes qui pressent les adversaires du proje! de loi. Si vous prononcez, dit-il, une exception en faveur des Belges, que répondrez-vous à ceux

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