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(comme nous devons tous le désirer) les propriétaires y soient rappelés par le vœu de la population entière.

Mais il ne faut pas vous le dissimuler, Messieurs, des succès obtenus, pour être durables, dépendent des dispositions suivantes.

Il faut que le gouvernement, en arrivant dans la colonie, aborde franchement et loyalement la grande question de l'état des noirs; il faut qu'il leur fasse toutes les concessions que comportent les progrès de la civilisation de l'Europe combinés avec l'existence nécessaire et indispensable des colonies; il faut que les noirs y soient bien convaincus que la France exige d'eux un travail fixe sur les habitations auxquelles ils sont attachés, un travail assidu, un travail régulier sans vagabondage, sans excès, mais aussi un travail récompensé, sans mauvais traitements.

Il faut que les colons retournent sur leurs propriétés avec le désir et la volonté d'y faire des revenus, d'y créer des produits, d'y soigner leurs cultivateurs avec humanité et bienveillance; il faut que les fonctionnaires publics qui seront appelés à remplir des emplois dans la colonie, concourent, par leur intégrité et leur vigilance, au maintien de ses nouvelles lois organiques, et ne sacrifient pas, au désir de faire une prompte fortune, les devoirs sacrés que leur impose la justice du Roi et le bonheur de ses sujets.

Il faut que le commerce de France prenne confiance dans les efforts du gouvernement, dans ses intentions bienfaisantes, et qu'il les séconde de toute sa puissance.

Il faut enfin que le chef qui gouvernera la colonie donne le premier l'exemple de la modération et de l'économie, seuls moyens réparatoires des établissements épuisés.

Si je me permets, Messieurs, d'indiquer ici tous les moyens propres à atteindre le but de la restauration de la colonie de Saint-Domingue, c'est que je l'ai habitée assez longtemps pour avoir pu y remarquer:

1o Les espérances démesurées inspirées aux noirs de la colonie;

2o Les prétentions des hommes de toutes couleurs;

3o Les dispositions des colons à vouloir gouverner et administrer la colonie, au lieu de ne s'occuper que de l'administration de leurs propriétés;

4° L'esprit d'ambition et de cupidité de beaucoup de fonctionnaires publics;

5° Le système exclusif que professe le commerce de France, sans penser qu'il existe des natures d'objets de première nécessité pour les colonies qu'il ne peut fournir, et qu'elles ne peuvent obtenir que de l'étranger.

Et finalement, parce que j'ai vu trop souvent que les prodigalités et le luxe du chef de la colonie servaient d'exemple et d'excuse à celles des colons.

Je reviens donc maintenant à la pétition des propriétaires de Saint-Domingue.

Ils vous exposent, Messieurs, que des délais peuvent apporter de nouveaux obstacles au rétablissement de l'ordre dans cette colonie;

Que des secours, des capitaux sont nécessaires, et qu'on ne peut les obtenir qu'avec des garanties et des sûretés qu'il faut déterminer;

Que d'immenses créances pèsent sur presque tous les propriétaires; que leur remboursement écessite des mesures législatives pour régler dre de leur concurrence avec les nouvelles nces que réclame le rétablissement des usines es cultures;

Qu'enfin il est indispensable d'adopter, pour le régime intérieur de Saint-Domingue, des modifications que les circonstances actuelles prescrivent.

La récapitulation des demandes contenues dans cette pétition suffit pour en faire connaître la justice votre commission pense donc que la chambre doit la prendre en considération.

Relativement aux délais qui paraissent inquiéter les colons de Saint-Domingue, votre commission est d'avis, qu'attendu l'utilité de la faire arriver avant les grandes chaleurs, il est bien désirable que cette expédition parte dans le commencement de novembre.

Mais indépendamment de cette considération, combien de motifs puissants doivent décider le gouvernement à ne point l'ajourner au delà de cette époque!

Oui, Mesieurs, lorsque la colonie, en proie à des guerres intestines et sanglantes, marche à grands pas à sa perte, sous l'influence d'une politique profonde et cachée, au but qui lui est marqué par l'intérêt commercial d'une nation rivale, vous ne pouvez rester dans une coupable inaction.

Une destruction totale et prochaine serait le résultat infaillible des convulsions auxquelles elle est livrée, si les malheurs d'une portion considerable de vos concitoyens, et l'intérêt immense de tout ce qui constitue le commerce du royaume, n'obtenaient que l'expression stérile de votre compassion.

En conséquence, votre commission est d'avis de proposer à la Chambre de supplier humblement Sa Majesté de présenter:

10 Une loi qui règle le régime intérieur de Saint-Dominique, quant à l'état des noirs déjà existants ou qui pourraient y être introduits :

2o Une autre loi qui fixe les droits civils et politiques à accorder aux hommes de toutes couleurs, propriétaires dans la colonie :

3. Une autre loi qui détermine l'époque du remboursement de toutes les sommes dues par les propriétaires, antérieurement au 1er avril 1814, pour ce qui concerne des avances faites dans la colonie; de telle sorte, que les dettes anciennes ne puissent venir qu'à une époque donnée, en concurrence avec les dettes par eux nouvellement contractées pour le rétablissement de leurs cultures et leur retour dans cette colonie. 4° Que Sa Majesté sera égalemeut suppliée d'ordonner les dispositions nécessaires pour l'expédition et l'envoi à Saint-Domingue de colons et des forces de terre et de mer qu'elle jugera nécessaires au succès d'une opération qui intéresse si éminemment la prospérité de la France, et dont les résultats heureux doivent rappeler son commerce à son ancienne splendeur.

Plusieurs membres appuient les conclusions du rapport; d'autres demandent l'impression.

M. le Président. Comme le rapport que vous venez d'entendre contient une proposition, je dois consulter la Chambre pour savoir si elle la prend en considération.

Cette question est mise aux voix.

La Chambre prononce l'affirmative, et ordonne ensuite l'impression du rapport et son renvoi dans les bureaux.

M. Lajard (de la Seine), organe de la commission des pétitions, entretient l'Assemblée d'un très-grand nombre de demandes d'un intérêt plus ou moins marqué.

Les unes sont renvoyées à des commissions occupées d'objets qui y ont rapport;

La Chambre déclare qu'il n'y a lieu à délibérer sur les autres, comme étant hors du cercle de ses attributions.

M. Bedoch au nom de la méme commission. Messieurs, le sieur Lacroix de Fronfrède, chevalier de Saint-Louis, a adressé à la Chambre une pétition dans laquelle il expose que par le contrat de mariage de sa fille aînée, du 28 floréal an III, il s'obligea à payer aux époux une pension.

Qu'il entendait alors que cette pension ne serait payée qu'en assignats: mais qu'il est néanmoins forcé, d'après les dispositions de la loi du 11 frimaire an VI, de la payer en numéraire sans réduction.

Que le payement le réduit à la misère, puisque sa fortune est absorbée par la pension qu'on exige de lui avec la plus grande rigueur.

Il prie la Chambre de proposer une loi, qui, en rapportant celle du 11 frimaire an VI, dispose que la pension par lui faite à sa fille aînée sera réduite, conformément au tableau de dépréciation du papier-monnaie.

Votre commission, Messieurs, a examiné cette pétition, et elle a été unanimement d'avis que la demande du sieur Lacroix de Fonfrède ne devait point être accueillie.

L'article 17 de la loi du 11 frimaire an VI est ainsi conçu :

« Les sommes, rentes et pensions dues, à titre de pure libéralité, par des actes entre-vifs ou à cause de mort, quand bien même elles seraient affectées sur des successions ouvertes depuis la dépréciation du papier-monnaie, seront acquittées en numéraire métallique, sauf la réduction des dernières sommes, rentes et pensions, dans le cas seulement où elle est autorisée par la loi du 17 nivôse an II. »

Il est certain, d'après cet article, que la pension faite, au mois de floréal an III, par le sieur Lacroix de Fonfrède à sa fille aînée, doit être acquittée en numéraire, sans réduction; et il est possible que le montant de cette somme absorbe une grande partie, ou même toute la fortune du débiteur. Mais ce n'est point là un motif assez puissant pour déterminer le rapport de la loi du 11 frimaire an VI.

Les lois relatives aux actes passés pendant la dépréciation du papier-monnaie ont pu blesser quelques intérêts particuliers, mais il serait imprudent, et peut-être même dangereux de revenir sur les dispositions qu'elles contiennent. Le remède serait assurément pire que le mal qu'on voudrait réparer. On sacrifierait, en faveur de quelques individus, le repos et la tranquillité de la majeure partie des Français.

Si le sieur Lacroix de Fonfrède et la famille dont il est chargé manquent de pain, la loi vient à son secours.

Le Code civil oblige, en effet, les enfants à fournir des aliments à leurs pères, lorsque ceux-ci sont dans le besoin.

Que le pétitionnaire s'adresse aux tribunaux, et il obtiendra de la justice ce que son gendre et sa fille aînée lui refusent.

On obligera ceux-ci à lui payer une pension ou à souffrir une réduction sur celle qui leur est due par leur père et beau-père. On prendra sans doute en considération, pour régler la réduction, l'état et la position du pétitionnaire, la fortune et la position de son gendre et de sa fille aînée. Votre commission vous propose donc, Messieurs, de passer à l'ordre du jour sur la pétition du sieur Lacroix de Fonfrède.

La conclusion du rapporteur est adoptée.

L'ordre du jour étant épuisé, la Chambre se forme en comité général.

La séance publique a été renvoyée à lundi.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

COMITÉ SECRET DU 16 SEPTEMBRE 1814.

M. le baron Bouvier prononce le discours suivant, sur la proposition de M. Dumolard relative aux attributions de la cour de cassation (1):

Messieurs, la question soumise en ce jour à la discussion de la Chambre est d'un haut intérêt. Je vous apporte le tribut de mes réflexions sur le sujet qui doit vous occuper.

Lorsque après la destruction de ces grands corps demagistrature qui, malgré leurs prétentions quelquefois exagérées, n'ont pas moins rendu de grands services à la monarchie et à l'Etat, l'Assemblée constituante, dépassant elle-même les limites de la prudence, couvrit la France d'une multitude de tribunaux, institués juges d'appel les uns des autres, elle organisa en quelque manière l'anarchie dans l'administration de la justice. La nécessité de créer un tribunal suprême chargé de régler la marche de ces tribunaux, d'éclairer leurs décisions et de veiller au maintien des lois, fut aussitôt reconnue. Le tribunal de cassation fut institué; sa principale attribution consista à réprimer la violation des lois et à réparer les méprises qui seraient commises dans leur application, sans qu'il lui fût permis de s'occuper du fond des affaires; il fut statué que l'examen et le jugement en seraient renvoyés à un autre tribunal.

L'ordre public voulait cependant qu'on mit un terme aux débats judiciaires et à l'obstination des plaideurs. On devait surtout obvier au scandale d'une divergence continuelle de sentiments entre le tribunal régulateur et les siéges inférieurs ; comme la diversité de leurs opinions ne pourrait provenir que de quelques incertitudes dans la loi ou de son ambiguïté, il fallut pourvoir aux moyens de la faire cesser. La loi du 27 septembre 1790 ordonna que,« lorsque le jugement au«rait été cassé deux fois, et qu'un tribunal aurait « jugé en dernier ressort de la même manière « que les deux premiers, la question ne pourrait plus être agitée au tribunal de cassation, qu'elle « n'eût été soumise au Corps législatif qui, en « ce cas, porterait un décret déclaratoire de la «<loi; et que lorsque ce décret aurait été sanc«tionné par le Roi, le tribunal de cassation s'y « conformerait dans ses jugements. »

Cette disposition fut insérée textuellement dans la constitution de 1791. La Constitution de l'an III l'a aussi adoptée, avec cette seule différence que le décret déclinatoire devait avoir lieu après une première cassation. Ce point important ne fut point prévu dans la Constitution de l'an VIII. La loi du 27 ventôse de la même année suppléa en partie à cette omission: elle détermina que,« lors«que après une cassation, le second jugement, sur « le fond, serait attaqué par les mêmes moyens que le premier, la question serait portée devant « toutes les sections réunies de la cour de cassa« tion. »

Cette disposition ne prohibait pas un nouveau recours, après l'arrêt solennel de cassation; la même contestation aurait pu être portée successivement devant tous les tribunaux. Ce fut pour

(1) Le discours de M. le baron Bouvier ne se trouve pas au Moniteur.

obvier à cet abus que le chef du gouvernement fit présenter, le 12 septembre 1807, au Corps législatif une loi qui régla les cas et les formes dans lesquels l'interprétation de la loi serait demandée; le pouvoir exécutif, qui avait une part plus active dans la législation, se réserva ou s'attribua le droit de donner l'interprétation de la loi, dans la forme des règlements d'administration publique.

Tel est, Messieurs, le dernier état des choses pour ce qui concerne le sujet de votre délibération.

Notre collègue M. Dumolard a provoqué la réformation de l'article 2 de la loi du 16 septembre 1807; il a demandé que la puissance législative fût rétablie dans le droit d'interpréter la loi.

Les motifs de sa proposition, qu'il a développée avec le talent et l'indépendance d'opinion qui le font remarquer, sont tirés de cette règle du droit romain, qui décide que l'interprétation de la loi appartient à l'autorité qui l'a rendue.

En adoptant ce principe, votre commission centrale propose d'autres dispositions qui tendent à faire déclarer que « le second arrêt de la cour « de cassation aura, pour les parties, et sous le << rapport du point de droit consacré par la cour « de cassation, l'autorité de la chose jugée et que « le tribunal ou la cour chargée de juger le fond « devra s'y conformer. >>

Elle demande aussi que cet arrêt soit inséré dans le Moniteur et qu'il en soit adressé une expédition au chancelier de France, pour être pourvu, s'il y a lieu, à la rédaction d'une loi interprétative. Cette loi ne changerait rien aux jujements qui auraient acquis l'autorité de la chose jugée, et conséquemment elle ne serait d'aucune utilité pour la partie dont le procès aurait donné lieu à l'interprétation de la loi.

Tel est, Messieurs, le projet que votre commission vous a présenté. Le rapporteur, notre collègue, M. Chantereyne, l'a appuyé sur des raisonnements spécieux que l'élocution élégante de l'orateur a semblé relever encore.

Je n'ai pas le dessein de suivre M. le rapporteur dans les digressions auxquelles il s'est abandonné. La Chambre n'a point à s'expliquer sur la constitutionnalité de la cour de cassation. L'utilité de cette grande institution est avouée généralement, et la reconnaissance que la France entière et l'ordre judiciaire, particulièrement, doivent à ce corps de magistrats si distingués par leurs lumières, par leur intégrité, ainsi que par leur vigilance et leur sollicitude pour le maintien des lois, est aussi une garantie de la perpétuité de cet établissement.

Je me renferme donc dans le point de la question sur laquelle la discussion est ouverte.

Après que la cour de cassation aura annulé deux arrêts ou jugements en dernier ressort, dans la même affaire, entre les mêmes parties et par les mêmes moyens, l'interprétation de la loi serat-elle donnée dans la forme des règlements d'administration publique, ainsi qu'il est prescrit par l'article 2 de la loi du 16 septembre 1807?

Ou bien cette interprétation ne pourra-t-elle être donnée que par la puissance législative, dans les formes ordinaires des lois, comme M. Dumolard l'a proposé?

La Chambre doit-elle donner son assentiment à l'immense attribution de puissance dont le projet de loi présenté par sa commission investirait la cour de cassation, s'il était adopté?

Je m'explique d'abord sur la proposition de M. Dumolard.

Les principes les plus vrais en matière de lé

gislation sont susceptibles d'être modifiés, selon les circonstances où il s'agit de les appliquer. J'estime que la mesure par laquelle il serait déterminé que le pouvoir législatif aurait exclusivement l'interprétation de la loi, dans les cas expliqués dans celle du 16 septembre 1807, serait, dans certaines occasions, d'une exécution impossible. Dans toutes les circonstances, j'y vois de grands inconvénients.

Aussi longtemps que les sessions de l'Assemblée législative, placée près du pouvoir exécutif, ont été permanentes, aussi longtemps que la lé gislation n'a pas été partagée en plusieurs branches, il n'y a point eu d'obstacle à l'observation, même rigoureuse, du principe qui attribue l'interprétation de la loi à l'autorité qui en a eu la pensée et qui l'a rendue.

Mais notre système actuel de législation exige que ce principe soit modifié. La puissance législative est exercée par le Roi, par la Chambre des pairs et par celle des députés. Ces trois pouvoirs doivent être unanimes pour le complément de la loi. La différence très-possible d'opinion de l'un ou de l'autre de ces pouvoirs avec les deux autres, serait un empêchement absolu à l'émission de la loi interprétative. Quel sera le sort des affaires ou des procès pour le jugement desquels l'interprétation de la loi aura été demandée? Les tribunaux et les cours resteront-ils dans une fluctuation perpétuelle et aussi préjudiciable à l'ordre public qu'aux intérêts des particuliers, ou bien devrat-on abandonner à l'arbitraire du juge la décision des affaires les plus importantes? Sans règles fixes, les tribunaux auront chacun leur jurisprudence; les oracles de la justice n'offriront plus qu'une diversité affligeante; le respect et la confiance dus aux actes de l'autorité judiciaire éprouveront une atteinte funeste; la chicane éternisera les procès; la ruine des plaideurs en sera le résultat inévitable; les divisions et les haines qu'une législation sage tâche toujours de prévenir, et qu'elle doit s'efforcer d'étouffer, les perpétueront, et la société sera continuellement troublée.

Ces inconvénients ne seront ni moins graves, ni moins fréquents dans les affaires criminelles. Leur expédition ne comporte que les retardements indispensables de l'instruction des procès de cette nature. Un citoyen injustement poursuivi ou accusé, restera-t-il pendant un temps indéfini sous le poids des soupçons les plus infamants? Sa liberté, sa fortune, son repos, ses droits les plus sacrés, les intérêts les plus précieux pour sa famille seront violés ou compromis, sans que la législation, qui devrait le protéger, puisse lui prêter son assistance. Ces inconvénients, Messieurs, n'échapperont point à votre sagesse; ils appellent toutes vos méditations.

Ils ont frappé votre commission. Elle a cru y remédier en vous proposant de déclarer « que le « second arrêt de la cour de cassation rendu, « toutes les sections réunies, sous la présidence << du chancelier de France, aurait, pour les par« ties et sous les rapports seulement du point de « droit consacré par cette cour, l'autorité de la « chose jugée, et que le tribunal ou la cour << chargée de juger le fond serait tenu de s'y con«former, sauf à pourvoir, s'il y avait lieu, à la « rédaction d'une loi interprétative. »

Ce système est en opposition avec tous les principes; il renferine le germe d'une puissance inconnue jusqu'à présent dans la cour de cassation: il change la nature et tous les caractères de son institution; il viole l'indépendance des cours et

des tribunaux ; il tendrait à consacrer quelquefois l'injustice.

Les constitutions n'ont établi que deux degrés de juridiction. Par le projet, la cour de cassation est, en quelque manière, transformée en cour suprême d'appel, puisque son second arrêt aura l'autorité de la chose jugée, quoique cependant elle soit sans pouvoir pour l'exécuter.

D'après le projet, le second arrêt de la cour de cassation ne donnera pas lieu nécessairement à la rédaction d'une loi interprétative. L'interprétation pourra seulement être demandée par M. le chancelier, si ce magistrat suprême juge à propos d'en faire la proposition. Ainsi, toutes les incertitudes que la loi du 16 septembre 1807 a eu pour objet de faire cesser, se reproduiront.

Ne statuant que dans l'intérêt des parties, sans que le point de droit qu'elle aura décidé devienne nécessairement le sujet d'un règlement d'administration générale, la cour sera entraînée peutêtre à prendre connaissance du fond des procès, contre la prohibition formelle de toutes les constitutions et des lois concernant son institution.

Loin de moi, Messieurs, la pensée que cette cour, cédant à la séduction du pouvoir, songe jamais à étendre ses attributions! Mais serait-il prudent d'adopter des mesures qui amèneraient, inême sans l'intention formelle de les renouveler, des abus qui ont excité quelques plaintes?

Sous le prétexte, par exemple, que l'on ne doit pas violer la loi qui veut que les contrats soient exécutés tels que les parties les ont souscrits, n'est-il pas souvent arrivé que la cour régulatrice, interprétant elle-même leurs convictions, a cassé dès arrêts qui les avaient autrement expliquées ?

N'est-ce pas à ce sujet que le savant magistrat, qui remplit près cette cour le ministère public, la rappelait à l'observation des règles de son institution, qui défendent qu'elle connaisse jamais du fond des affaires, et lui retraçait les principes consacrés par la loi du 16 septembre 1807 (1)? Vous ne voudrez pas, Messieurs, que le respect dů à l'autorité de la chose jugée soit exposé à de nouvelles atteintes.

Quel rôle se propose-t-on de faire jouer au tribunal jugeant en dernier ressort, ou à la cour à laquelle le procès sera renvoyé après le second arrêt de cassation? On l'assujettit à se conformer à cet arrêt. Que devient l'indépendance du juge, qui ne doit obéir qu'à la loi et à sa conscience? L'autorité de la cour de cassation est très-respectable sans doute, mais, après tout, cette cour n'est pas infaillible. Dans le cas particulier, les doutes qui pourront se former contre sa doctrine seront fortifiés par l'opinion contraire que deux cours souveraines auront émise et motivée. La troisième cour, partageant, peut-être, l'avis des deux autres, sera donc réduite à délibérer contre son propre vou; pour ne pas confirmer un acte qu'elle regardera comme ayant consacré une fausse doctrine et une injustice, elle changera l'état de la question, plutôt que d'être asservie à une opinion que ses lumières et la conscience des juges la porteront à réprouver. Est-il rien qui compromette davantage leur dignité!

La décision de la cour de cassation n'ayant d'autorité que dans l'intérêt des parties, la même question pourra être présentée à cette cour, et devenir le nouveau sujet de sa délibération. Elle

(1) Voyez dans le Répertoire de jurisprudence, au mot SOCIÉTÉ.

ne sera plus entièrement composée des mêmes magistrats; plusieurs de ceux qui auront participé aux premiers arrêts intervenus déjà sur la mème question, mieux éclairés, auront peut-être changé d'avis. Ils ne se regarderont pas comme étant liés par l'explication qui aura été faite de cette loi par de précédents arrêts. Il pourra donc s'établir une jurisprudence différente dans le même tribunal et sur la même question.

La jurisprudence de la cour de cassation ne sera d'aucune utilité, même comme doctrine, aux autres cours et tribunaux. Ils ne seront pas tenus de s'y conformer, la cour de cassation n'ayant sur eux, pour le cas dont il s'agit, qu'une autorité de doctrine. Ainsi la jurisprudence et la legislation n'auront aucune fixité sur ce point.

Votre commission propose que la loi interprétative, qui pourra intervenir sur la question controversée, ne change rien à l'arrêt de la cour de cassation qui aura pour toutes les parties l'autorité de la chose jugée.

Ainsi, une partie qui aura eu en sa faveur trois arrêts de cours impériales et la loi interprétative, sera victime d'une erreur contre laquelle elle n'aura pas cessé de réclamer, et qui aura consommé la ruine de sa fortune et peut-être aussi de son honneur!...

Mais il n'en est pas de l'acte qui interprète une loi comme de la loi même. Celle-ci ne peut pas rétroagir sur le passé; l'interprétation de la loi n'ayant pour objet que de déclarer qu'elle a toujours dû être entendue en un seul sens et exécutée de telle manière, on ne saurait la considérer comme une nouvelle disposition. C'est encore une règle de droit que l'acte qui explique une loi déjà faite n'est pas introductif d'un droit nouveau. Is qui declarat nihil novi dat (1). Il serait donc souverainement injuste que le plaideur, dont le recours aurait donné lieu à l'acte interprétatif de la loi, fût privé du bénéfice qui devrait lui en résulter.

A la vérité, on objecte que l'arrêt de la cour de cassation devant, dans le systême proposé, être regardé comme ayant acquis l'autorité de la chcse jugée, le principe que je viens d'expliquer n'est plus applicable.

Je sais qu'il n'y a que le sort des jugements ou arrêts qui auraient été rendus antérieurement sur le sens de la loi interprétée, et contre lesquels le recours serait encore ouvert, qui restent sous l'influence de la loi interprétative; mais les explications que je viens de donner ne démontrent pas moins évidemment les dangers et l'injustice de la nouvelle attribution de puissance que l'on propose d'accorder à la cour de cassation."

Je ne parle pas de la précaution de faire insérer, toujours d'après le projet de la commission, l'arrêt de cette cour dans le Moniteur.

La commission n'a pas eu, sans doute, l'intention que les tribunaux dussent regarder les décisions de la cour de cassation comme des règles invariables de conduite et d'opinion pour eux. Ces décisions ne sauraient jamais avoir l'effet des dispositions générales et réglementaires des lois, et je ne présume pas qu'il soit dans vos desseins, Messieurs, d'associer la cour de cassation au partage du pouvoir législatif.

Que faut-il conclure de cette discussion? Qu'on doit maintenir l'autorité et l'indépendance des cours et des tribunaux, faire respecter l'autorité de la chose jugée, circonscrire la cour de cassa

(1) L. 21, ff. Quis test. fac. pos.

tion dans ses pouvoirs et dans ses attributions, au lieu de leur donner une extension dangereuse sous une multitude de rapports; fixer le sens des lois qui présentent de l'ambiguïté ou de l'incertitude, et donner promptement au juge des règles invariables d'opinion sur les lois dont l'interprétation est trouvée nécessaire.

Il serait à désirer, sans doute, et ce vœu est bien dans ma pensée, il serait à désirer, dis-je, tant pour l'observation rigoureuse d'un principe de droit public, que pour l'intérêt des citoyens, que les trois pouvoirs qui constituent la puissance législative concourussent toujours à l'interprétation de la loi.

J'ai exposé les obstacles, quelquefois insurmontables, que notre système de législation oppose à l'application de ce principe dans la plupart des affaires civiles soumises à la décision des cours et tribunaux, mais surtout dans les matières criminelles.

Le maintien de l'article 2 de la loi du 16 septembre 1807 me paraît lever tous les empêchements dont j'ai exposé les inconvénients et les dangers, et la liberté publique, les droits de la puissance législative n'essuieront aucune atteinte de son exécution.

Ce n'est pas faire la loi, ainsi que je l'ai établi, que d'expliquer une disposition déjà faite. L'interprétation n'a pour objet que d'énoncer, de développer un principe déjà renfermé dans une loi... Car je ne suppose pas que, sous le prétexte d'expliquer une loi, on pourrait en changer l'esprit, le sens et l'expression. Ce ne serait plus une interprétation, ce serait remplacer une loi par une autre, et le concours des trois pouvoirs législatifs est de nécessité absolue pour la confection de la loi.

Les juges peuvent interpréter la loi; ils se rendraient même coupables de déni de justice s'ils refusaient de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi; toutes les décisions de la cour de cassation ne sont en quelque sorte que des interprétations des lois.

Comment le Roi, chef suprême de l'Etat, duquel toute justice émane, dont les magistrats ne sont que les délégués, en qui réside la branche la plus essentielle du pouvoir législatif, qui a exclusivement, dans le sens absolu, le droit de proposer la loi, qui la sanctionne, qui doit veiller à son exécution, qui fait tous les règlements qu'il juge nécessaires pour l'intelligence et l'observation de la loi, comment, dis-je, le Roi, dont l'action et l'autorité sont permanentes, serait-il incompétent pour l'interpréter?

Ces grands corps de magistrature qui ont prétendu partager avec le souverain la puissance législative, les parlements, ont-ils jamais contesté au monarque le droit d'interprétation?

En quoi l'exercice de ce droit blesserait-il l'indépendance du pouvoir judiciaire? Quels sont les intérêts individuels qui pourraient en souffrir? La loi n'a jamais pour objet que l'intérêt commun. Le monarque, lorsqu'il interprète une loi, ne statue rien sur des intérêts particuliers; il prononce abstractivement des personnes et des choses que la question controversée a pu concerner. Il ne s'occupe spécialement d'aucun individu, d'aucun fait, d'aucune action. Il n'agit que dans l'intérêt général.

On craint les entreprises qu'on a reprochées à l'ancien conseil des parties, et dans ces derniers temps, au conseil d'Etat. On paraît appréhender qu'en multipliant à dessein les interprétations, les justiciables ne soient trop facilement distraits

de leurs juges naturels, que les évocations ne se renouvellent, etc., etc.

Il ne faut pas exagérer les dangers d'une mesure qui n'en présente aucune. Il ne faut pas changer l'état de la question. On ne doit pas séparer l'intérêt des particuliers de l'intérêt public, parce que ces intérêts sont corrélatifs.

De quoi s'agit-il ici? de déterminer un moyen prompt de départager la cour de cassation et les cours ou tribunaux qui auront été divisés d'opinion sur le véritable sens d'une loi, dont l'appli cation sera devenue nécessaire pour la terminaison d'un procès qui aura été soumis, après une discussion publique, à leur décision.

Quels si grands inconvénients pourront donc résulter de l'interprétation d'un point de droit donnée par le Roi, sur le rapport qui lui sera fait par son chancelier, qui aura été présent à la discussion solennelle de la question controversée, et qui aura connaissance des motifs sur lesquels les diverses opinions auront été appuyées? Que s'il plaît à Sa Majesté de s'entourer encore, en cette circonstance, des personnes qui auront l'honneur d'être admises à ses conseils, et qu'il jugera plus dignes d'éclairer sa justice, ne sera-ce pas une nouvelle preuve de son respect pour la loi? Et qu'est-ce que tout ceci a de commun avec les suppositions dans lesquelles certaines imaginations semblent se complaire? Pourquoi d'ailleurs exagérer toujours ? Si j'ouvre les annales de la justice, je vois que ces conseils du Roi, objet de tant de déclamations, n'ont proposé que rarement et avec une grande circonspection l'annihilation de certains arrêts de quelques cours souveraines; je vois que plus souvent ces conseils ont défendu les intérêts du peuple contre l'envahissement et les entreprises de la puissance, qu'ils ont prévenu et fait réparer bien des injustices.

N'est-ce pas le monarque en son conseil qui a réhabilité la mémoire des Calas et d'autres victimes de la haine et de l'esprit de parti? N'est-ce pas le monarque en son conseil quí a protégé les communes contre les usurpations de plusieurs seigneurs qui étaient parvenus à faire sanctionner, par des arrêts surpris à la justice des cours, ces usurpations, ainsi que les acquisitions qu'ils avaient faites, au prix le plus vil, des propriétés les plus précieuses de ces communes?

Ces ordonnances, ces édits par lesquels les chefs de l'auguste famille qui occupe le trône de France ont successivement extirpé la tyrannie féodale, n'ont-ils pas été délibérés et pris par nos rois en leur conseil? Et cet autre arrêt qui a détruit en France les restes de la servitude, aboli le droit de suite dans tout le royaume, celui de la mainmorte dans tous les domaines du Roi, n'a-til pas été un acte résolu en son conseil d'Etat par ce monarque dont les vertus n'ont eu de comparable et d'égal que ses malheurs? Mais je termine cette digression, et je reviens à mon sujet. Il ne me semble pas possible que le Roi abuse de la faculté qu'il aura d'interpréter la loi dans les cas expliqués dans celle du 16 septembre 1807. Aucun intérêt ne pourrait l'y engager, puisque l'interprétation de la loi n'a et ne peut avoir. comme la loi elle-même, d'autre objet que l'iatérêt commun.

Si le Roi voulait mal user de sa puissance, au préjudice des citoyens qui ont des discussions entre eux ou avec le gouvernement, il en aurait bien autrement la facilité dans les questions de conflit d'attribution qui sont très-communes, et assez ordinairement d'un grand intérêt pour les particuliers.

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