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core moins du caprice; mais quels pouvaient donc être ses motifs? J'en fus préoccupé, triste, malheureux tout le jour. La nuit arriva et le même sentiment qui m'avait agité toute la journée m'em+ pêchait de dormir. Je repassais avec douleur, dans mon esprit, tout ce qui pouvait avoir rapport à cet objet, quand un trait de lumière vint m'éclairer tout-à-coup. Que prétends-je de l'Empereur, me dis je? le faire descendre à l'exécution de petits détails déjà beaucoup trop au-dessous de lui! Nul doute que le dégoût et une humeur secrète auront dicté le silence qui m'a affecté. Devons-nous lui demeurer inutiles? Ne pouvonsnous le servir qu'en l'affligeant? Et alors, beaucoup de ses observations passées me revinrent à l'esprit. Ne lui avais-je pas donné connaissance de la chose, ne l'avait-il pas approuvée, que voulais-je de plus * ? C'était à moi, désormais, à agir. Aussi mon parti fut pris à l'instant. Je résolus d'aller en avant sans lui en reparler davantage : et, pour que la chose demeurât secrète, je me promis de la garder pour moi seul.

Il y avait quelques mois que j'étais parvenu à faire passer la fameuse lettre en réponse à Sir Hudson Lowe, touchant les commissaires des alliés, la première, la seule pièce qui, jusque-là, eût été expédiée en Europe. Celui qui avait bien

* Le journal du Docteur O'Méara m'apprend, au bout de six ans, que j'avais précisément deviné l'Empereur.

voulu s'en charger m'avait apporté un grand mor ceau de satin, sur une partie duquel elle fut écrite. Il m'en restait encore; c'était là précisement mon affaire. Ainsi tout concourait à me précipiter vers le gouffre où j'allais tomber.

Dès que le jour parut, je donnai à mon fils, de la discrétion duquel j'étais sûr, le reste du satin, sur lequel il passa toute la journée à tracer ma lettre au Prince Lucien. La nuit venue, mon jeune mulâtre fut fidèle à sa parole. Il était un peu tailleur ; il cousit lui-même, ce que je lui confiai, dans ses vêtemens, et prit congé, moi lui promettant encore de nouvelles choses s'il revenait, ou lui souhaitant un bon voyage si je ne devais pas le revoir; et je me couchai le cœur allégé, l'esprit satisfait comme d'une journée bien et heureusement remplie. Que j'étais loin en ce moment d'imaginer que je venais de trancher, de mes propres mains, le fil de mes destinées à Longwood!!

Hélas! on va voir que 24 heures n'étaient pas écoulées, que, sous le prétexte de cette lettre, j'étais enlevé déjà de Longwood, et que ma personne et tous mes papiers se trouvaient au pouvoir et à l'entière disposition du Gouverneur Sir Hudson Lowe. A présent, si l'on me demande comment je pouvais avoir aussi peu de défiance et ne soupçonner aucunement qu'il était possible qu'on me tendît un piége; je réponds que mon domes*tique m'avait paru honnête, je le croyais fidèle, et puis j'étais encore étranger à toute idée d'agens

provocateurs; invention nouvelle dont les Ministres Anglais d'alors peuvent réclamer l'honneur, et qui a tant prospéré depuis sur le continent !

P

MON ENLÈVEMENT DE LONGWOOD.

Réclusion au secret à Sainte-Hélène.

Espace d'environ six semaines.

Mon enlèvement de Longwood.

25.-Sur les quatre heures l'Empereur m'a fait demander; il venait de finir son travail, et il s'en montrait tout content. "J'ai fait avec Bertrand "de la fortification toute la journée, m'a-t-il dit, "aussi m'a-t-elle parue très-courte." J'ai déjà dit que c'était, dans l'Empereur, un goût nouveau, tout-à-fait du moment, et Dieu sait comme ils sont précieux ici.

J'avais rejoint l'Empereur sur l'espèce de gazon qui avoisine la tente; de-la nous avons gagné le tournant de l'allée qui conduit au bas du jardin. On a apporté cinq oranges dans une assiette, du sucre et un couteau; elles sont fort rares dans l'île, elles viennent du Cap; l'Empereur les aime beaucoup; celles-ci étaient une galanterie de Lady Malcolm, l'Amiral répétait cette offrande

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toutes les fois qu'il en avait l'occasion. Nous étions trois en ce moment auprès de l'Empereur; il m'a donné une de ces oranges à mettre dans ma poche pour mon fils, et s'est mis à couper et à préparer lui-même les autres par tranches; et, assis sur le tronc d'un arbre, il les mangeait et en distribuait gaîment et familièrement à chacun de nous. Je rêvais précisément, par un instinct fatal, au charme de ce moment! Que j'étais loin, hélas! d'imaginer que ce devait être le dernier don que je pourrais recevoir de sa main !...

L'Empereur s'est mis ensuite à faire quelques tours de jardin; le vent était devenu froid: il est rentré et m'a fait le suivre seul dans le salon et la salle de billard qu'il parcourait dans leur étendue. Il me parlait de nouveau de sa journée, me questionnait sur la mienne; puis, la conversation s'étant fixée sur son mariage, il s'étendait sur les fêtes qui avaient amené le terrible accident de celle de M. Schwartzemberg, dont je me promettais intérieurement de faire un article intéressant dans mon Journal, quand l'Empereur s'est interrompu tout-à-coup pour considérer, par la croisée, un groupe considérable d'officiers Anglais qui débouchaient vers nous par la porte de notre enclos: c'était le Gouverneur entouré de beaucoup des siens. Or, le Gouverneur était déjà venu le matin, a fait observer le Grand-Maréchal qui entrait en ce moment; il l'avait eu chez lui assez longtemps; de plus, a-t-il ajouté, on parlait d'un cer

tain mouvement de troupes. Ces circonstances ont paru singulières; et ce que c'est pourtant qu'une conscience coupable! l'idée de ma lettre clandestine me revint à l'instant, et un secret pressentiment m'avertit aussitôt que tout cela me regardait. En effet, peu d'instans après, on est venu me dire que le Colonel Anglais, la créature de Sir Hudson Lowe, m'attendait chez moi. J'ai fait signe que j'étais avec l'Empereur, qui m'a dit quelques minutes après: "Allez voir, mon cher,

ce que vous veut cet animal." Comme m'éloignais déjà, il a ajouté: "Et surtout revenez "promptement." Et voilà pour moi les dernières paroles de Napoléon. Hélas! je ne l'ai plus revu! Son accent, le son de sa voix, sont encore à mes oreilles. Que de fois depuis je me suis complu à y arrêter ma pensée et quel charme, quelle peine peut tout-à-la-fois renfermer un douloureux souvenir !

Celui qui m'avait fait demander était le complaisant dévoué, l'homme d'exécution du Gouverneur, avec lequel je communiquais, du reste, assez souvent à titre d'interprête. A peine il m'aperçut, que, d'une figure bénigne, d'une voix mielleuse, il s'enquit, avec un intérêt tendre, de l'état de ma santé : c'était le baiser de Judas car, lui ayant fait signe de la main de prendre place sur mon canapé, et m'y asseyant moi-même, il saisit cet instant pour se placer entre la porte et moi:et, changeant subitement de figure et de

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