"meure d'accord, c'est que les intéressés, les con"tradicteurs ne sont plus. Mais qu'est alors cette " vérité historique, la plupart du temps? Une fable 66 convenue. Ainsi qu'on l'a dit fort ingénieuse"ment dans toutes ces affaires, il est deux portions "essentielles fort distinctes: les faits matériels "et les intentions morales. Les faits matériels, "sembleraient devoir être incontroversables; et "pourtant, voyez s'il est deux relations qui se res"semblent: il en est qui demeurent des procès ❝ éternels. Quant aux intentions morales, le 66 moyen de s'y retrouver, en supposant même de "la bonne foi dans les narrateurs? Et que sera"ce s'ils sont mus par la mauvaise foi, l'intérêt et la passion? J'ai donné un ordre; mais qui a pu "lire le fond de ma pensée, ma véritable inten"tion? Et pourtant chacun va se saisir de cet "ordre, le mesurer à son échelle, le plier à son "plan, à son système individuel. Voyez les di"verses couleurs que va lui donner l'intrigant dont "il gêne ou peut au contraire servir l'intrigue, la "torsion qu'il va lui faire subir. Il en serà de "même de l'important à qui les ministres ou le "souverain auront confidentiellement laissé échapper quelque chose sur le sujet; il en sera de "même des nombreux oisifs du palais qui, n'ayant dù "rien de mieux à faire que d'écouter aux portes, "inventent faute d'avoir entendu. Et chacun "sera si sûr de ce qu'il racontera! et les rangs in"férieurs, qui le tiendront de ces bouches privi "légiées, en seront si sûrs à leur tour! et alors les 'mémoires, et les agenda, et les bon mots, et les "anecdotes de salon d'aller leur train!.... Mon cher, voilà pourtant l'histoire! J'ai vu me disputer, à moi, la pensée de ma bataille, me dis 66 puter l'intention de mes ordres, et prononcer "contre-moi. N'est-ce pas le démenti de la créa"ture vis-à-vis de celui qui a créé? N'importe, "mon contradicteur, mon opposant aura ses par"tisans. Aussi, est-ce ce qui m'a préservé d'ecrire mes mémoires particuliers, d'émettre mes senti"mens individuels, d'où fussent découlées natu"rellement les nuances de mon caractère privé. "Je ne pouvais descendre à des confessions à la Jean-Jacques, qui eussent été attaquées par le "premier venu. Aussi, j'ai pensé ne devoir vous "dicter ici que sur des actes publics. Je sais "bien encore que ces relations même peuvent être "combattues; car quel est l'homme ici bas, quelque soit son bon droit et la force et la puissance "de ce bon droit, que la partie adverse n'attaque "et ne démente. Mais, aux yeux du sage, de l'im"partial, du réflechi, du raisonnable, ma voix, après tout, vaudra bien celle d'un autre, et je re"doute peu la décision finale. Il existe, dès aujourd'hui, tant de lumières, que quand les pas❝sions auront disparu, que les nuages seront passés, je m'en fie à l'éclat qui restera. Mais que d'er"reurs intermédiaires! On donnera souvent beaucoup de profondeur, de subtilité de ma part "à ce qui ne fut peut-être que le plus simple du 66 monde; on me supposera des projets que je n'eus jamais. On se demandera si je visais en effet " à la monarchie universelle ou non. On raison 66 nera longuement pour savoir si mon autorité "absolue et mes actes arbitraires dérivaient de "mon caractère ou de mes calculs; s'ils étaient 66 produits par mon inclination ou par la force des "circonstances; si mes guerres constantes vinrent "de mon goût, ou si je n'y fus conduit qu'à mon 66 corps défendant; si mon immense ambition, tant reprochée, avait pour guide ou l'avidité de la “domination, ou la soif de la gloire, ou le besoin "de l'ordre, ou l'amour du bien-être général; car "elle méritera d'être considérée sous ces diverses "faces. On se débattra sur les motifs qui me dé"terminèrent dans la catastrophe du Duc d'Enghien †, et ainsi d'une foule d'autres événemens. "Souvent on alambiquera, on tordra ce qui fut 66 * Quelqu'un de beaucoup de lumières et de beaucoup d'esprit, qui avait été fort avant dans la confiance de l'Empereur et avait eu un grand nombre de rapports directs avec lui, me disait, après la première abdication, avec une intime conviction, que le projet de Napoléon avait été, ses conquêtes achevées, d'abandonner Paris, pour aller faire de Rome la capitale du grand empire. J'avais 'alors si peu de connaissance de l'Empereur que cela me donna beaucoup à penser; mais aujourd'hui je me demande où mon historien pouvait avoir pris cela. + On sait à combien de versions multipliées, à quelle foule de conjectures ce triste événement donna lieu. 66 "tout-à-fait naturel et entièrement droit. Il ne " m'appartenait pas à moi de traiter ici spéciale"ment tous ces objets: ils seraient mes plaidoyers, "et je le dédaigne. Si, dans ce que j'ai dicté sur "les matières générales, la rectitude et la sagacité "des historiens y trouvent de quoi se former une opinion juste et vraie sur ce que je ne mentionne pas, tant mieux. Mais à côté de ces faibles étincelles, que de fausses lumières dont ils se "trouveront assaillis!...Depuis les fables et les mensonges des grands intrigans, qui ayant eu "chacun leurs buts, leurs menées, leurs négocia"tions particulières, lesquelles, s'identifiant avec "le fil véritable, compliquent le tout d'une ma"nière inextricable, jusqu'aux révélations, aux "porte-feuilles, aux assertions même de mes mi"nistres, honnêtes gens qui, cependant, auront à "donner bien moins ce qui était que ce qu'ils au"ront cru; car en est-il qui ayent eu ma pensée générale tout entière? Leur portion spéciale “ n'était, la plupart du temps, que des élémens du grand ensemble qu'ils ne soupçonnaient pas. Ils "n'auront donc vu que la face du prisme qui leur "est relative; et encore, comment l'auront-ils "saisie! Leur sera-t-elle arrivée pleine et en"tière? n'était elle pas elle-même morcelée? Et pourtant il n'en est probablement pas un qui, d'après les éclairs dont il aura été frappé, ne "donne pour mon véritable système le résultat "fantastique de ses propres combinaisons; et deTOME IV. Septième Partie. .66 66 66 R "là encore la fable convenue qu'on appellera l'his"toire; et cela ne saurait être autrement : il est "vrai que comme ils sont plusieurs, il est probable "qu'ils seront loin d'etre d'accord. Du reste, "dans leurs affirmations positives, ils se montre"raient plus habiles que moi, qui, très-souvent, "aurais été trés-embarrassé d'affirmer avec vérité "toute ma pleine et entière pensée. On sait que "je ne me butais pas à plier les circonstances à "mes idées; mais que je me laissais en général " conduire par elles or, qui peut, à l'avance, ré"pondre des circonstances fortuites, des accidens "inopinés ? Que de fois j'ai donc dû changer es"sentiellement ! Aussi ai-je vécu de vues géné"rales, bien plus que de plans arrêtés. La masse "des intérêts communs, ce que je croyais être le "bien du très-grand nombre, voilà les ancres aux"quelles je demeurais amarré; mais autour des"quelles je flottais la plupart du temps au hasard, etc. etc." C'est précisément à la suite de paroles aussi remarquables que se présente pour moi la meilleure occasion, sans doute, de revenir sur un point historique que j'ai promis depuis long-temps (Voyez la 1re partie), et qui eût dû avoir sa place fort antérieurement; je veux dire la conspiration de Georges et Pichegru, et le jugement du Duc d'Enghien. On va connaître tout-à-l'heure la véritable cause de cette transposition et d'un aussi long retard. "Il y avait quelque temps," disait l'Empereur, |