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Cependant, durant tous ces colloques on avait fait venir mon domestique, on l'avait questionné, on l'avait retiré une première fois de mon service, puis rendu; et enfin retiré tout à fait.

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Je rendis compte du tout à l'Empereur, qui m'approuva fort de n'avoir pas voulu laisser introduire un espion, disait-il, au milieu de nous. "Mais comme votre privation, ajouta-t-il, d'une "manière charmante, est dans l'intérêt de tous, il "n'est pas juste que vous en souffriez seul; faites ❝ venir Gentilini, mon valet de pied, qu'il prenne "son service auprès de vous; il sera enchanté de gagner quelques Napoléons de plus: vous lui "direz d'ailleurs que c'est par mon ordre." Gentilini s'y rendit d'abord avec gaîté; mais le soir même le pauvre garçon vint me dire qu'on lui avait fait observer qu'il n'était pas convenable qu'un domestique de l'Empereur servît un particulier!!!... Et l'Empereur poussa la bonté jusqu'à faire venir Gentilini pour lui en donner l'ordre de sa propre bouche.

C'était ainsi que ce Gouverneur continuait à nous persécuter journellement et sous toutes les formes, bien que je n'en dise plus rien; non que je m'y accoutumasse, mais parce que dans la masse de nos peines, celles qui ne nous venaient que de sa mauvaise humeur n'étaient plus que de légers accessoires. Et en effet, qu'auraient-elles pu être auprès de nos grandes misères?....

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Si l'on s'est bien pénétré de toute l'horreur de notre situation, on me voit jeté, et probablement pour jamais sur une plage déserte à deux mille lieues de la patrie, confiné dans une étroite prison, sous un ciel, dans un climat, sur un sol, qui ne sont pas les nôtres. On me voit errer vivant dans les sinuosités du tombeau, seul terme probable de tant de maux. J'ai perdu ma femme, mes enfans, mes amis, bien qu'ils jouissent encore de la vie ; mais leur univers n'est plus le mien: et privé désormais de la communication des hommes, il me reste à pleurer les épanchemens de l'amitié, les douceurs de la famille, les intimités, les charmes de la société. . . . Certes, en lisant ceci, il n'est personne sans doute, quels que soient ses opinions, son pays, ses dispositions naturelles, qui ne m'accorde sympathiquement quelques regrets, et ne se sente arracher quelque mouvement de commisération, tant il me voit à plaindre; eh bien pourtant, il aurait tort; je vais me rendre enviable !...

Quel est celui dont le cœur ne bat à de certains actes d'Alexandre ou de César? Qui approcherait sans emotion des vestiges de Charlemagne ? De quel prix ne nous seraient pas les paroles, le son de voix de Henri IV? Eh bien! aux moindres symptômes de quelqu'abattement moral, si je sentais le besoin de retremper mon ame, le cœur plein de telles sensations, l'esprit rempli de telles

idées, je m'écriais: Je possède tout cela, mieux que tout cela; et ici, ce ne sont point de seules illusions, de simples ressouvenirs d'histoire ; je suis aux côtés mêmes de l'objet vivant qui a accompli tant de prodiges. Chaque jour, à chaque instant, je considère à mon gré les traits de celui dont un clin-d'œil ordonna tant de batailles et décida de tant d'empires; je lis sur ce front que décorent les lauriers de Rivoli, de Marengo, d'Austerlitz, de Wagram, d'Jéna, de Friedland; je puis presque toucher cette main qui régit tant de sceptres et distribua tant de couronnes; qui saisit les drapeaux d'Arcole et de Lodi; qui, dans une occasion solennelle, rendait à une femme éplorée les seules preuves de la culpabilité de son mari; j'entends cette même voix qui, à la vue des pyramides d'Egypte, prononçait à ses soldats: "Enfans, du "haut de ces monumens 40 siècles nous contem

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plent!" qui, arrètant sa suite à la vue d'un convoi de blessés Autrichiens, disait en se découvrant: “Honneur et respect au courage malheu"reux." Je cause presque familièrement avec celui-même dont les conceptions ont manié l'Europe, qui se faisait un passe-temps des embellissemens de nos villes et de la prospérité de nos provinces, qui nous avait élevés si haut dans l'esprit des peuples, et avait porté notre gloire jusqu'aux nues!... Je le vois, je l'entends, je le soigne, je m'efforce de lui être agréable, je le console peutêtre !... quelle situation!... Eh bien! à présent TOME IV. Septième Partie.

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me plaint-on encore une foule, au contraire, n'enviera-t-elle pas mon sort? Qui, au fait, obtint un tel bonheur, réunit des circonstances pareilles aux nôtres ?...

Nouvelles occupations de l'Empereur.-Sur les grands capitaines; la guerre etc. etc.-Ses idées sur diverses institutions pour lebien-être de la sociéte. - Avocats. Curés. Autres objets.

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14.-L'Empereur, sur les six heures, m'a fait appeler dans sa chambre. Il venait de dicter, m'at-il dit, un fort beau chapitre sur les droits maritimes; il me parlait d'autres plans d'ouvrages; j'ai osé lui rappeler les 14 paragraphes dont il avait déjà eu l'idée, et que j'ai déjà mentionnés ailleurs. Il en a écouté le ressouvenir avec plaisir, et a assuré qu'il y viendrait certainement un jour.

Il s'est mis de là à lire et à corriger des notes précieuses qu'il avait dictées au Grand-Maréchal, sur la différence des guerres anciennes et modernes, sur l'administration des armées, leur composition, etc. etc. Puis, s'étant mis à causer et se lançant sur le sujet, entr'autres choses il a dit: "Il n'est pas de grandes actions suivies qui soient "l'œuvre du hasard et de la fortune: elles déri"vent toujours de la combinaison et du génie. "Rarement on voit échouer les grands hommes "dans leurs entreprises les plus périlleuses. Regardez Alexandre, César, Annibal, le GrandGustave et autres, ils réussissent toujours; est-ce

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parce qu'ils ont du bonheur qu'ils deviennent "ainsi de grands hommes ? Non; mais parce

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qu'étant de grands hommes, ils ont su maîtriser "le bonheur. Quand on veut etudier les ressorts “de leurs succès, on est tout étonné de voir qu'ils "avaient tout fait pour l'obtenir.

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"Alexandre, à peine au sortir de l'enfance, conquiert, avec une poignée de monde, une partie "du globe; mais fut-ce de sa part une simple irruption, une façon de déluge? Non; tout est "calculé avec profondeur, exécuté avec audace, "conduit avec sagesse. Alexandre se montre "tout à la fois grand guerrier, grand politique, "grand législateur; malheureusement quand il "atteint le zénith de la gloire et du succès, la tête "lui tourne ou le cœur se gâte. Il avait débuté "avec l'ame de Trajan, il finit avec le cœur de "Néron et les mœurs d'Héliogabale." Et l'Empereur développait les campagnes d'Alexandre, et je voyais le sujet sous un jour tout nouveau.

Passant ensuite à Cesar, il disait: qu'au rebours d'Alexandre, il avait commencé sa carrière fort tard, et qu'ayant débuté par une jeunesse oisive et des plus vicieuses, il avait fini montrant l'ame la plus active, la plus élevée, la plus belle; il le pensait un des caractères les plus aimables de l'histoire.

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César," observait-il, "conquiert les Gaules et les "lois de sa patrie; mais, est-ce au hasard et à la "simple fortune qu'il doit ses grands actes de

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