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Laissant l'Europe morne et dans la plus vive attente, il passe le Niemen, inonde la Lithuanie, dédaigne la conquête plus utile de la Volhinie et de l'Ukraine; néglige d'organiser la Pologne derrière lui, et, avec une armée et des bagages immenses, il court sur Moscou par une seule route; il court sur Moscou, persuadé qu'il dictera la paix dans cette capitale, reviendra vainqueur et maître de là terre: mais l'inexorable destin avoit lancé ses arrêts. Napoléon rencontre un peuple antique et encore près de la nature, inaccessible aux deux puissans auxiliaires, le mensonge et la terreur, qui lui ont frayé la route à l'asservissement de l'Europe. Il ne pouvoit être vaincu que par un plan de campagne plus gigantesque et plus effrayant que le sien: Moscou fut sacrifié, et ce sacrifice complet sauva la Russie et l'Europe. La constance sublime de l'empereur Alexandre, les exploits glorieux de ses soldats, l'inébranlable fidélité de ses peuples, précipitèrent l'agresseur, du faîte de la puissance, dans l'abattement et l'infortune. Buonaparte, enivré, s'assoupit au milieu des décombres fumans de Moscou incendié, sans songer à la rigueur du climat et au retour prochain de l'hiver. D'un souffle la Providence

dispersa son armée superbe; les frimas, la faim, la misère, le fer des Russes, la lance des Cosaques, l'anéantirent. Une entreprise commencée avec des forces si prodigieuses, échoua parce que son chef insensé avoit voulu franchir les bornes posées par la nature, et heurter tous les préceptes de la sagesse. On eût dit que la révolution française, après avoir bouleversé l'Occident, étoit allée frapper le Nord, et se briser à ses pieds. L'Europe fut traversée par une large ligne de dévastation, comme sous le féroce Attila, mais avec la différence que le second fléau de Dieu se dirigea de l'Occident vers le Nord, tandis que le premier, déchaîné par le Nord, avoit fait trembler l'Occident. Tel fut le résultat de cette campagne. Dès ce moment le génie militaire de Napoléon sembla frappé de paralysie.

Echappé, comme par miracle, à travers des milliers d'escadrons russes et tartares, à travers des plaines couvertes de neige, de cadavres et de débris, Napoléon ne trouva de sûreté que dans sa propre capitale, où il reparut, non en vainqueur, mais en roi fugitif. Il étonna bien plus encore par son insensibilité que par l'immensité de ses revers, Mais ses flatteurs vouloient mettre sa gloire

à couvert, en s'efforçant de persuader à la France que les élémens seuls et la fortune l'avoient trahi; comme si un froid rigoureux au mois de novembre, sous le cinquantecinquième degré de latitude, eût présenté un phénomène incroyable.

En moins de quatre mois on avoit vu le théâtre de la guerre transporté du Dnieper et de la Dwina sur l'Oder et sur l'Elbe.

Une grande révolution dans les rapports politiques des cabinets de l'Europe devoit être la suite d'une vicissitude si prompte, si éclatante. Buonaparte n'avoit point d'alliés fidèles; tous aspiroient à secouer le joug de vasselage que le dominateur décoroit du nom d'alliance. Le traité qui unissoit déjà la Russie, la Grande-Bretagne et la Suède, offroit à tous les Etats voisins un nouveau point d'appui et de réunion. La Prusse s'y rattacha la première. Telle fut l'origine de la confédération générale qui se forma si rapidement contre la prépondérance de Buonaparte. En vain des monarques magnanimes lui présentent généreusement la paix, et ne réclament que le sacrifice de ses prétentions sur l'indépendance de l'Europe. Ni les malheurs publics, ni l'industrie anéantie, ni l'aspect des champs sans culture,

il

ni l'épuisement de toutes les ressources, ni tant de familles plongées dans le deuil, rien ne peut le fléchir; il veut remplir l'univers du bruit de son nom, et il n'est point arrêté par le spectacle déchirant du vaste continent de l'Europe, partout couvert des ossemens confondus de guerriers de nations différentes, qui ne se haïssent point, et que les distances auroient dû préserver. Les leçons du malheur et de l'histoire sont nulles devant son ambition; il ne sait tirer, de tant de désastres, aucun moyen de salut et de paix; il reste insensible auxravages; et comme si le ciel, dans sa colère, lui eût mis un épais bandeau sur les yeux, se persuade, que la France est inépuisable; qu'elle lui prodiguera de nouveaux soldats, de nouveaux trésors, pour reconquérir l'Europe. En effet, tout aussi aveuglés que Napoléon, les corps de l'Etat provoquent des sacrifices immenses. Une sage prévoyance commandoit de rendre la France inexpugnable; de former et d'exercer les nouvelles levées dans des camps derrière le Rhin; conseils pusillanimes aux yeux de Buonaparte ! Il repasse le fleuve, comme si un mauvais génie l'eût poussé au cœur de l'Allemagne. Là il hasarde toute sa fortune dans deux batailles rangées; là, dans

les champs de Lutzen et de Bautzen, il arrache avec peine la victoire à l'armée combinée russe et prussienne, qui se retire en Silésie, sans rien perdre de sa contenance et de sa fierté. Déjà la puissance de Napoléon étoit dépourvue d'appui dans l'opinion publique. Son armée n'avoit gagné que du terrain, tandis que les armées russes et prussiennes combattoient pour sauver les peuples, et que les peuples étoient là pour les soutenir. Mais, ébloui du faux éclat de deux trophées plus brillans que solides, il se croit encore le dieu de la guerre, ne songe pas même qu'il a réveillé l'Autriche, que les Saxons et les Bavarois, poussés par le courage du désespoir, vont se réunir à la confédération européenne. Sáns égard pour un lien serré par la contrainte, l'Autriche fait marcher ses troupes, qui, placées en première ligne, deviennent la grande armée des alliés. Elle est repoussée, il est vrai, sous les murs de Dresde; mais une armée française, reprenant l'offensive en Bohême, est écrasée à la bataille de Culm, gagnée par le roi de Prusse en personne, bataille décisive pour l'issue de la campagne. Une autre armée veut prendre également l'offensive en Silésie; Blucher la repousse. Deux corps, encore plus

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